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Au Canada, le gain de valeur sur une résidence principale est protégé du fisc. Certains contribuables se servent depuis longtemps de cette règle pour éviter l’impôt sur un «sideline». Est-ce juste? Non, le fisc manque de mordant.
Au Canada, le gain de valeur sur une résidence principale est protégé du fisc. Quand on fait un gain sur une résidence désignée comme principale, le gain peut être exempté d’impôt au choix du contribuable.
La logique est simple: on paye sa maison sur 25 ans, le gouvernement nous donne une pause. On se dit que la maison est le patrimoine raisonnable aux besoins de la famille, on ne lui enlève pas l’usufruit d’un éventuel gain.
Tout ça est logique en théorie. Le problème demeure toujours lorsque des personnes étirent le concept. Certains contribuables se servent depuis longtemps de cette règle pour éviter l’impôt sur un «sideline». Est-ce juste? Non, le fisc manque de mordant.
Prenons un exemple facile à comprendre. Un entrepreneur en construction, appelons-le Sylvain, bâtit une maison pour la revendre et voit son gain imposé comme du revenu d’entreprise. Pourquoi ? Parce qu’il fait de la construction de maisons une activité commerciale. Donc, Sylvain à la fin de l’année paye de l’impôt sur son activité commerciale.
Son amie Brigitte est plus ratoureuse. Elle «change d’idée souvent». En somme, Brigitte a toujours le même discours prévisible comme l’intensité de la libido d’un adolescent de 15 ans. Brigitte aime la rénovation. Elle tombe en amour avec une maison à remettre en ordre. Elle la rénove rapidement et met l’accent sur les travaux esthétiques. Elle met la maison «au goût du jour». Une fois les travaux terminés, elle y habite quelques mois et oups, elle a «un goût de changement» et «tombe en amour» avec une autre maison… toujours à rénover.
Brigitte fait ça depuis des années, elle déménage chaque deux ou trois ans. Chaque fois, Brigitte désigne sa résidence comme une résidence principale et voit son gain exempté d’impôt. Évidemment, dans les faits, le fisc peut enquêter sur les intentions de Brigitte d’opérer un modèle d’affaires déguisé et lui envoyer une réclamation, mais ici on tombe dans l’interprétation.
Comme Brigitte a un autre emploi bien rémunéré, elle n’est pas trop inquiétée par Revenu Québec.
Les autorités fiscales commencent à se réveiller. Il était temps.
Depuis 2016, l’ARC permet[1] «l’exemption pour résidence principale seulement si vous déclarez la vente et la désignation de votre résidence principale dans votre déclaration de revenus et de prestations.
Si vous oubliez d’effectuer cette désignation dans l’année de la vente, il est très important que vous demandiez à l’ARC de modifier votre déclaration pour cette année. Elle acceptera une désignation tardive dans certaines circonstances, mais une pénalité pourrait s’appliquer.»
En somme, le fisc tente de cibler les Brigitte qui, disons-le franchement, généraient précédemment des centaines de milliers de dollars en gains à l’abri de l’impôt en transformant «un modèle d’affaires» en «projet temporaire de résidence principale»
Je ne veux pas tomber dans les clichés, mais allons-y, car les clichés n’existent pas pour rien. Prenons le cas de Martin. Martin est pompier. Depuis des années, il profite de ses nombreux jours de congé pour travailler sur des projets de rénovation en série. Peu importe, le modèle est simple: on achète une maison, tout le monde est payé comptant. Tout le monde est content.
Les projets de rénovations permettent donc aussi de nettoyer de l’argent gagné sur d’autres projets. On fait prendre de la valeur au chalet et on le revend à l’abri de l’impôt comme résidence principale. Il n’existe alors aucune de la fraude fiscale cumulative. Qui plus est, Martin, c’est le chum de Brigitte depuis 3 ans. Martin ne déclare pas sa relation avec Brigitte. Comme ça, le chalet de Martin et le projet de Brigitte sont éligibles à l’exemption d’impôt.
Pendant ce temps, la petite famille nucléaire voisine paye sa juste part d’impôt à même ses revenus. Et quand elle veut améliorer la maison, elle paye la rénovation modeste de la cuisine à gros prix en plus de payer les frais de gestion et les taxes de vente sur le projet. L’écart fiscal se creuse entre les deux couples.
Le gouvernement fédéral a mis en place une nouvelle règle pour empêcher les contribuables de «flipper» des résidences. En effet, depuis le 1er janvier 2023, le fédéral a mis en place une « taxe anti-flip » pour décourager la vente rapide d’immeubles dans un but spéculatif.
Si on achète et on revend une propriété en moins de 365 jours, le profit est imposé comme du revenu tiré d’une entreprise. Le gain en capital n’est donc plus éligible à l’exemption d’impôt.
Évidemment, cela ne découragera pas Brigitte, elle fait déjà des «flips» de plus de 12 mois.
J’ai une double solution en tête qui pourrait régler bien des injustices.
Solution no 1: on pourrait déterminer un plafond cumulatif indexé de gain en capital exempté d’impôt sur une résidence principale. Disons 500 000 $[2]. Le premier 500 000 $ dollars de gain par individu ne serait pas imposé. Donc, un couple aurait droit à un maximum de 1 000 000 $ à vie.
Solution no 2: on pourrait plafonner la valeur des maisons admissibles. Par exemple, le gain de valeur pour les maisons de plus de 3 000 000 $ (un seuil à déterminer) ne pourrait plus être exempté à 100 % d’impôt. Par exemple, à partir de ce montant, on pourrait voir l’exemption se limiter à 50% de ce qui est possible sous cette valeur. Cette mesure serait plus controversée, mais elle favoriserait la construction de maisons de dimension « raisonnables ». Ce serait une forme de taxe à l’opulence et à la démesure. On pourrait même voir cette mesure comme une mesure incitative à la densification.
Ces deux mesures auraient quelques avantages:
1. Réduire la fraude fiscale: comme chaque gain viendrait gruger le plafond à vie de 500 000 $ par personne, il serait moins avantageux de rénover de façon frauduleuse, car les coûts déclarés d’un projet seraient à mettre dans la balance fiscale.
2. Éviter les débats d’interprétation: on laisserait Brigitte faire ses flips de résidences principales, mais au bout de 500 000 $, son gain serait plafonné et imposable. De plus, comme l’exemption serait par individu, il n’y aurait pas de débat quant à savoir si Brigitte et Martin sont conjoints de fait.
3. Éliminer une incohérence: en 2023, si on fait un gain de 2 000 000 $ sur une seule maison, on ne paye pas d’impôt sur le gain. Mais si on fait un gain de 200 000 $ sur deux résidences, on paye de l’impôt sur l’un des deux gains. Ainsi, on pénalise un couple avec deux résidences modestes à Repentigny et à Chertsey et on encourage le richissime individu qui possède une Monster House de 6 000 000 de dollars.
4. Baisse de consommation: On avantagerait une plus grande simplicité de construction et une réduction de la consommation d’énergie par unité de logement.
5. Mettre en place un système fiscal plus équitable : les grandes fortunes familiales ne pourraient plus générer un gain démesuré exempté de l’impôt parce que l’ancêtre possédait une maison digne de Louis XVI.
Le Québec ne peut pas décider seul d’une telle réforme fiscale. Il faut que cette règle soit appliquée partout au Canada et de façon simultanée pour qu’elle soit cohérente. Il faut un système fiscal équitable pour que le tissu social tienne.
Pour ce faire, ça prend le courage politique de regarder la réalité en face. Notre système économique imparfait est déjà inéquitable, cessons d’empirer la situation avec des lois fiscales non adaptée à la réalité.
Tout cela va prendre de l’honnêteté intellectuelle et du courage politique.
C’est peut-être là notre plus gros problème.
[1] Source: ARC
[2] Ce seuil est un exemple pour fins de vulgarisations. Il pourrait être plus élevé ou plus bas et il pourrait faire l’objet d’une indexation annuelle.