Après avoir lancé la semaine dernière un cri du cœur au gouvernement de François Legault pour lui demander de faire marche arrière dans la réforme du réseau de la santé — ou du moins de suspendre la Loi 2 le temps d'instaurer de «réelles discussions» — des médecins déplorent le silence de ce dernier.
«Il n’y a pas de son, pas de lumière», a confié mardi à Noovo Info la Dre Emmanuelle Huchet, directrice médicale et cofondatrice de la clinique l'Agora à Montréal.
La Dre Huchet fait partie des médecins qui s'inquiètent de devoir mettre la clé sous la porte de leur clinique si jamais le ministère de la Santé maintient toutes les dispositions actuelles de la Loi 2, une loi spéciale adoptée sous bâillon le 25 octobre dernier qui vise à rendre tous les médecins responsables de l’amélioration de l’accès aux soins.
«Quand j’ai lancé le cri du cœur la semaine passée, je me suis dit qu’il faut qu’ils sachent [les autorités en matière de santé] ce qui est en train de se passer, il faut qu’ils sachent que les clientèles vulnérables vont être atteintes par cette loi. J’ai l’impression que la réaction, au moins d’une certaine écoute ou de nous faire rassurer, ce n’est pas venu. Cette semaine, je suis dans l’inquiétude, même le cri du cœur ne semble pas entendu», a expliqué la Dre Huchet.
Rappelons que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a vivement dénoncé la Loi 2 stipulant qu'elle ignorait notamment la capacité maximale de prise en charge des médecins, qu'elle imposait un code de «vulnérabilité» aux patients, qu'elle axait la médecine sur le volume et non la qualité des soins, qu'elle instaurait une surcharge administrative et qu'elle imposait une coupe allant jusqu'à 25% dans la rémunération de base des médecins.
«De dire à la population que tout le monde va avoir un médecin de famille, c’est une super belle promesse, mais c’est irréaliste parce que nous sommes déjà épuisés», a pour sa part commenté la Dre Huchet.
Menace de fermetures
Plusieurs Groupes de médecine de famille (GMF) du Québec estiment que l'application de la Loi 2 les forcera à fermer leur clinique puisque les nouvelles dispositions imposées par Québec ne leur permettront pas de survivre financièrement. Les GMF sont la propriété de médecins qui doivent, comme une petite entreprise, assurer le salaire des employés, dont les médecins, les infirmières et les secrétaires, ainsi que les frais comme le loyer, la paperasse, le chauffage, l'informatique, etc.
«Les réponses qu'on essaie d'obtenir, on ne les a pas. Il y a des incertitudes, ce n'est pas clair», a affirmé la Dre Emmanuelle Huchet, rappelant que la date du 1er janvier, date d’entrée en vigueur de la loi 2, c'est «pratiquement demain».
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La clinique l'Agora à Montréal travaille auprès de 6000 patients, dont plusieurs ont une condition jugée «vulnérable». Il s'agit notamment d'une clientèle vivant, par exemple, avec des enjeux d'itinérance ou de dépendance aux opiacés.
La Dre Huchet s'inquiète pour ses patients si jamais la clinique ferme officiellement. Elle craint de perdre des gens.
«C'est ça aussi qui nous brise le cœur. Si on n'y arrive pas, où va aller cette clientèle? Elle n'ira pas à l'urgence. Il y a un sentiment d'appartenance avec notre clinique, on a adapté nos soins à cette clientèle marginale [...]», a-t-elle confié à Noovo Info.
«Si la première ligne s’effondre, tout le système va s’effondrer.»
Parmi les autres cliniques (GMF) ayant parlé ouvertement de fermeture possible en raison des effets de la Loi 2, on retrouve, entre autres, la clinique Quorum à Montréal, les cliniques Prelib situées à Montréal, Québec, Longueuil, Sherbrooke et Saint-Jérôme, la clinique La Pérade à Sainte-Anne-de-la-Pérade et le Centre médical pour enfants LaSalle, à LaSalle.
Au-delà de la clientèle, la Dre Emmanuelle Huchet se questionne sur son avenir. «Je reste inquiète. Ce n'est pas le Québec dans lequel j'ai voulu pratiquer», a-t-elle dit.
«J'ai l'angoisse de me dire que ce n'est pas nécessairement dans un système comme ça que je veux travailler. Ce n’est pas dans un système où je me fais imposer une surveillance médicale ou que moi, en tant que directrice médicale, je vais faire une surveillance de mes collègues. Moi, ce que je veux faire, c’est d’avoir des ressources, de prendre soin de ma clientèle, d’enlever toutes les structures bureaucratiques qui se sont instaurées au fil des années qui nous empêchent de bien faire notre travail», a raconté la Dre Huchet en ajoutant qu'elle était même prête à voir plus de patients si on lui donnait plus de ressources.
La Dre Emmanuelle Huchet pense aussi à la relève. «Avec ce qui se passe, je ne pense pas que de jeunes docteurs vont vouloir pratiquer dans nos cliniques et ça aussi c’est une catastrophe», a-t-elle dit.
«Il faut reculer»
Comme bien de ses collègues médecins, la Dre Emmanuelle Huchet est convaincue que le gouvernement du Québec doit faire marche arrière. «Cette loi a des impacts tellement majeurs qu'il faut reculer. Ce qu'on veut, c'est un arbitrage [...]», a-t-elle partagé.
«C’est de l’entêtement qui n’a plus sa place. Si on vous dit qu’on n'y arrivera pas, c’est clair qu’on n'y arrivera pas […]. Il y a trop de choses en branle, trop d’impacts majeurs sur les cliniques et sur les soins.»
Interrogé par Noovo Info concernant les menaces de fermetures, le ministère de la Santé a répondu mercredi par courriel qu'il était conscient que la Loi suscite de nombreuses réactions, «et c’est normal». «Le travail se poursuit pour démystifier la Loi et favoriser sa compréhension afin de calmer les craintes», a-t-on écrit.
«L’objectif n’est pas de diminuer les ressources financières d’une clinique ou d’un GMF, ni de réduire la rémunération des médecins. Il est plutôt que tous les Québécois puissent avoir accès aux soins requis, au moment où ils en ont besoin. La Loi prévoit notamment que tous les Québécois soient affiliés à un milieu de soins, et ce de manière progressive en débutant avec les patients les plus vulnérables», a-t-on ajouté.
Chez Santé Québec, aussi contacté par courriel par Noovo Info, on confirme que la situation actuelle «suscite des inquiétudes» et on affirme y être «sensible».
«L’effervescence actuelle dans le réseau nous amène à faire preuve d'une grande prudence. Afin de préserver un climat propice au dialogue avec les médecins, nous ne souhaitons pas tirer des conclusions définitives à ce moment-ci. Toutefois, nous sommes bien au fait que des médecins réfléchissent présentement à leur avenir dans notre région, certains ont partagé d'ailleurs des avis d'intention (ce qui ne veut pas nécessairement dire que ces derniers résulteront en un départ). Évidemment, nous surveillons la situation de près et la priorité est le maintien des soins et services», a-t-on écrit mercredi soir à Noovo Info.
Devant la grogne entourant la Loi 2, venant notamment de la FMOQ et de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le gouvernement du Québec a déjà fait quelques reculs.
Jeudi dernier, il s'est engagé à ne pas mettre en œuvre les mécanismes de surveillance qui étaient compris dans la Loi 2 sur la rémunération des médecins, mais ne modifiera pas pour autant la législation. Si l'engagement est de ne pas les appliquer, il n'en demeure pas moins que le texte législatif donne la possibilité au ministre de la Santé d'activer ces articles à l'aide d'un arrêté ministériel.
Québec a aussi annoncé dans les dernières semaines que la prime accordée aux médecins spécialistes pour les premières consultations serait maintenue (cette prime devait être abolie et l’argent, redistribué), tout comme le supplément de 30 % qui était versé aux médecins des groupes de médecine familiale (GMF) pour éponger certains frais administratifs.
En date de mercredi, la FMOQ a confirmé à Noovo qu'il n'y avait pas de négociation supplémentaire «pour l'instant». «La FMOQ s’inquiète aussi des effets de la loi et demande sa suspension immédiate pour stopper le départ de médecins et la fermeture de GMF. Nous avons transmis des centaines de questions au ministère de la Santé et sommes toujours sans réponse», a écrit Stéphane Gosselin, conseiller stratégique aux affaires publiques.
