Il était une fois la petite Martine qui faisait sa rentrée scolaire en secondaire 3 à l’école «Ste-Marie-des-petites-œuvres-du-cœur». Comme lors de chaque rentrée scolaire, Martine était fébrile, heureuse et un peu anxieuse. Elle avait hâte de retrouver ses petits camarades et ses petites amies qu’elle n’avait pas vues durant la belle saison. Elle était aussi très curieuse de savoir qui seraient ses professeurs. Peut-être VOUS madame Karine en math et peut-être VOUS monsieur Carl en bio?
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Elle se croisait les doigts pour que son casier soit dans la dernière rangée, celle qui est la plus près de la cafétéria. Ainsi, elle pourrait se placer rapidement en ligne quand c’était le jeudi poutine au menu du midi. Maintenant, ça n’arrivait plus qu’une seule fois par mois parce que tsé, il faut «manger comme du monde». Du spaghetti fait avec des pâtes en boîte, c’est bien plus santé.
Mais cette année, ce n’était pas tout à fait une rentrée comme les autres. Martine savait très bien ce qui l’attendait. Monsieur le ministre de l’Éducation aux lunettes sévères les avait bien averties. Cette année, f-i-fi-n-i-ni, nada, beu-bye, scram les cellulaires, les tablettes, les écouteurs et les appareils mobiles. Toutes ces patentes perturbatrices n’avaient plus leur place dans l’école et sur le terrain de l’école.
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Martine se sentait mal de ranger l’objet du démon dans son sac en arrivant sur le terrain de son école. Surtout que, juste avant de descendre de la voiture de son père, elle avait passé les vingt dernières minutes à regarder des vidéos de chats qui sautent dans des rideaux de salon sur TikTok. La transition était plutôt abrupte.
Pourquoi son père lui permettait-il d’utiliser son cellulaire dans la voiture, mais que dès qu’elle mettait le pied sur le petit bout de gazon jaune de son école secondaire, c’était mal ? Même son père avait jasé avec son collègue Gilbert via son propre cellulaire. Oui, Martine aurait pu profiter du trajet de voiture pour échanger sur son vécu de jeune fille avec son père, mais ils avaient déjà amplement jacassé durant le déjeuner.
Monsieur le ministre avait aussi mentionné que sans leur téléphone, les jeunes pourraient avoir beaucoup plus d’interaction entre eux. Pourtant, Martine trouvait qu’elle passait pas mal de temps à échanger avec ses amis Suzie et Rodriguo sur lequel des Jonas Brothers étaient le plus sex. Photos à l’appui, tiré de leurs Instagram respectifs.
Elle était triste de ne plus pouvoir rigoler en montrant les photos de Ponpon, son chien saucisse, à ses amis. Il faudrait maintenant qu’elle imprime les photos sur l’imprimante laser de la maison. Ça commençait à être un projet de vie pour seulement montrer Ponpon qui se roule dans la bouette.
Il allait aussi falloir qu’elle repense à sa méthode de recherche sur le web pour ses travaux sur l’heure du midi. Bien sûr, il y avait les ordis de la bibliothèque. 20 ordis pour 800 élèves, c’était un ratio parfaitement fonctionnel. À moins qu’elle traverse la rue et qu’elle s’installe dans les marches du dépanneur pour effectuer ses recherches en géo. Martine riait juste à l’idée qu’elle devrait aller plus loin que les fumeurs de l’école pour utiliser son téléphone. C’était vraiment ironique.
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Le ministère pensait aussi que ça allait donner une jambette dans les jarrets des intimidateurs, mais c’est bien mal les connaître. Il pouvait facilement sévir en dehors de la pseudo-protection de territoire de l’école. Martine se disait que dans le meilleur des mondes, ça pourrait les ralentir. Mais ça, c’est dans le meilleur des mondes.
Il y avait du positif, elle et sa gang pourraient jouer à un nouveau jeu : la chasse aux profs qui sont cachés dans leur voiture pour gosser sur leurs cells. Ça allait être épique comme game. Si Martine n’était pas une bonne élève, elle pourrait aussi jouer au jeu : donne-moi une bonne note en chimie, madame Carole, sinon je te dénonce.
Martine n’aurait plus non plus à répondre aux textos de sa mère durant la pause entre deux cours. Désolé maman, je n’ai pas pu mettre le pâté chinois dans le four en arrivant, je n’ai pas reçu le texto. Des excuses sans fin. Merci monsieur le ministère.
Terminé les moments paisibles où l’on peut prendre une petite pause du brouhaha qui nous entoure grâce à nos écouteurs bien isolants. C’est bien connu, les jeunes n’ont pas besoin d’un brin de solitude ou de calme. Non. Ils doivent toujours interagir entre eux. Martine ne pouvait pas s’empêcher de penser à sa chum Pamela, une jeune fille anxieuse, qui trouvait un peu de répit en écoutant sa musique sur un banc dehors près de l’entrée. GO Pamela. JASE. JASE. JASE AVEC LES AUTRES!
Mais Martine prenait quand même le tout avec un grain de sel. Parce que Martine savait que le soir venu, les week-ends, les jours fériés, les journées où elle serait malade à la maison, les jours de tempête et l’été, elle aurait totalement accès à son cellulaire et le monde virtuel. Tout reviendrait à la normale.
Même ses parents ne pourraient pas lui dire le contraire, ils le faisaient eux aussi. Elle pourrait continuer de jaser par textos, faire des FaceTime avec ses amis et sa famille, rigoler en regardant des clips, faire des recherches pour ses devoirs, lire et s’informer sur les sujets qui la passionnent, regarder des photos de partout sur la planète, magasiner et trouver des aubaines, regarder les bandes-annonces des films qui l’intéresse, découvrir de la musique d’ici et d’ailleurs, écouter des podcasts, poser des questions personnelles en ligne sur un chat d’organisme… bref, continuer sa vie de jeune personne en 2025.
Martine rangea son cellulaire démoniaque dans son sac et entra à l’école.
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