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Disons-le crûment: ça fait dur.
Je vous parlais, lors d’une récente chronique, de l’inquiétante dérive contenue à même le projet de constitution québécoise.
S’additionne maintenant, avec la loi spéciale relative aux médecins, naturellement adoptée sous bâillon, une pléiade de mesures confirmant la propension autoritaire caquiste. Se défendant d’une telle hérésie, le ministre Dubé lançait, en commission plénière sur le sujet, que «les juristes de l’État lui ont confirmé la constitutionnalité de sa Loi».
Peut-on alors consulter les avis juridiques en question? Parce que disons-le crûment: ça fait dur.
À lire divers passages de la Loi-bâton, il serait loisible de croire que le législateur québécois s’attelle à démanteler un terrifiant réseau de malfaiteurs endurcis, genre dealers de dope, armés jusqu’aux oreilles. Docteurs québécois et MS-13 salvadoriens, mêmes enjeux:
131. Il est interdit à un médecin de participer ou de continuer de participer à toute action concertée qui a pour effet :
1° de faire cesser, diminuer ou ralentir son activité professionnelle, par rapport à l’activité telle qu’elle était exercée avant que cette action soit entreprise […]
4° d’en faire un professionnel désengagé […]
Disons qu’afin de manifester contre les nouvelles mesures applicables, quelques femmes médecins choisissent, après discussion, de prendre éventuellement un congé de maternité, donc de réduire leurs activités professionnelles. Il se passe quoi, ensuite?
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Réponse à l’article 135:
135. Un juge de la Cour supérieure peut accorder une injonction pour mettre fin à tout manquement aux dispositions de la sous-section 1. Il peut également annuler ou invalider tout acte accompli en contravention de ces dispositions.
Hâte de voir la Cour supérieure annuler le bébé.
On crée également, histoire que nos pommes pourries soient sous l’œil constant de l’État, un poste «d’inspecteur national».
Ses pouvoirs? Omnipotents. Les gestionnaires du réseau seront évidemment encouragés à lui rapporter, sauce 1984, toute violation commise par les bums en sarrau :
156. La personne ayant pour fonction de dénoncer un manquement doit, chaque fois qu’elle constate un tel manquement, transmettre dans les plus brefs délais par écrit à la personne dont elle relève les renseignements suivants :
1° le nom de l’auteur du manquement ;
2° la disposition à laquelle il y a eu manquement ;
3° la date à laquelle le manquement a été commis […] ;
Hâte de voir les dénonciations, d’ailleurs:
Monsieur l’Inspecteur national,
Le Docteur Pepper a quitté son poste vers 16 heures, le jeudi 6 novembre alors que d’habitude, il ne part jamais avant 17 heures. Il prétexte devoir aller chercher sa fille malade, à l’école, mais je n’en crois rien. Merci d’intervenir.
– La Gestapo (médicale)
S’ajoute à ceci la capacité de débarquer en tout temps à tout endroit où bosse le professionnel, donc potentiellement chez lui (art. 169) et des pénalités fulgurantes (art. 201) pouvant aller, dans le cas des fédérations et groupes de médecins, jusqu’à 500 000 $… par jour. Pour les médecins eux-mêmes? De 4 000 $ à 20 000 $.
Et pour «toute autre personne» ? De 200 à 1000 $, toujours quotidiennement.
Et qui ferait office de «toute autre personne», disons?
168. Commet un manquement […] toute personne ou tout groupement qui, par son acte ou son omission, aide une personne ou un groupement à commettre un tel manquement.
Le bon vieux crime par omission, donc. Genre, tu as « omis » de décourager X de faire Y. T’aurais pu donner ton opinion, mais t’as plutôt décidé de te mêler de tes affaires.
Enfoiré.
Et alors que l’on croyait avoir tout vu :
203. Toute personne ou tout groupement qui, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, incite ou amène une autre personne ou un autre groupement à commettre une infraction est coupable de toute autre infraction que cette autre personne ou cet autre groupement commet […]
La disposition viserait ainsi, par exemple, le chroniqueur encourageant, en ondes, les médecins à tenir leur bout et à manifester à l’encontre de la loi stalinienne.
Autre joyau: retirer aux universités leur financement si elle refuse de transmettre au gouvernement, sans délai, le nom de toute personne ayant contribué à ces moyens de pression (art. 165).
Dans la même veine: forcer le médecin à fournir, aux boubous macoutes du ministre Dubé, l’ensemble des dossiers médicaux sous leur supervision (article 153). D’aucuns y verraient, sans peine, une violation du secret professionnel.
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Conclusion?
Que le ministre Dubé détienne maintenant, en une seule loi, le Record Guinness du refus du respect des droits fondamentaux : arbitraire effréné, violation de la liberté d’association (quelle fédération pourra encore jouer un rôle pertinent ?), de circulation (qui osera quitter pour bosser, même partiellement ou temporairement, dans une autre province ?), de la liberté académique, de la liberté de presse, du droit à la vie privée et au secret professionnel. La cerise : la possibilité de plaider une contravention à l’article 12 de la Charte canadienne, laquelle protège le justiciable contre les peines cruelles et inusitées.
On en est là. Ou pas loin, du moins.
Voilà ainsi une Loi qui s’enseignera, longtemps, dans les facs de droit québécoises.
À moins de les assujettir, elles aussi, à l’Inspecteur national.
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