Avant tout, pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts, il est important de mentionner que je suis l’avocat responsable pour la FAE de la contestation de l’usage non balisé de la disposition dérogatoire et, accessoirement, des deux articles de la Loi 21 empêchant ses membres d’obtenir promotion ou de changer de territoire. Comme le dit l’adage, il n’existe pas de meilleur désinfectant que le soleil.
Alors donc, Simon Jolin-Barrette déposait cette semaine son projet de loi afférent à une constitution québécoise, outil légitime, noble et souvent névralgique à la bonne gouverne d’un peuple.
Reste, cela dit, la méthode et le contenu.
Sur cette première, force est de refuser au ministre la note de passage. Rédigé à vase clos, le projet déposé fait fi de la règle cardinale en la matière : la consultation. Outre quelques jasettes transpartisanes de corridors, à l’Assemblée nationale, quasi nada. Bien que des amies-vedettes auront été approchées en amont quant aux questions d’avortement, elles ont ensuite été appelées à répétition par le Cabinet du ministre, les empressant de «sortir publiquement afin d’appuyer le projet de Constitution». Voilà qui s’assimile davantage à un exercice de relations publiques qu’à une démarche de réflexion louable. On rappellera, d’ailleurs, qu’il fallut trois ans de discussion collective afin de rendre légalement possible le virage à droite, aux feux rouges, en région. Trouvez l’erreur.
Résultat? Un projet bâclé, indubitablement empreint de marottes caquistes, et souvent dénuées d’assises constitutionnelles crédibles. Du droit constitutionnel-fiction, comme on aime en blaguer, dans les facultés de droit. Illustration : inscrire le droit à l’avortement, comme s’il s’agissait d’une compétence québécoise et non fédérale.
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Si, par exemple, un gouvernement Poilièvre utilisait la dérogatoire afin de mettre fin au droit en question, sa pratique sera interdite, de facto, sur le territoire québécois, peu importe l’inscription contraire dans notre constitution. Il aurait été ainsi plus judicieux de traiter d’accès au droit, obligeant dès lors notre gouvernement à financer et assurer les services pertinents, actuellement déficients, en matière d’avortement.
Parlant de droit constitutionnel fiction — et de déficit démocratique : exclure du projet les Premières Nations, sans farce ? Le mot poli qui vient en tête ? Cheap. Très. Aux antipodes, justement, de ce que doit représenter l’exercice en cause : rassembler et réunir, autour de valeurs et de vécus collectifs, l’ensemble des parties prenantes de la nation.
La pièce de résistance, maintenant, soit l’article 5 de la Loi sur l’autonomie du Québec, incluse dans ladite constitution.
Du joli, qui mérite d’être cité:
5. Le Parlement du Québec peut, dans une loi, déclarer que celle-ci ou l’une de ses dispositions protège la nation québécoise ainsi que l’autonomie constitutionnelle et les caractéristiques fondamentales du Québec.
Première remarque : existe-t-il un concept plus flou — et donc arbitraire — que celui de protection de la nation québécoise ? Improbable.
Le ministre poursuit:
Aucun organisme ne peut, au moyen de sommes provenant du fonds consolidé du revenu ou d’autres sommes provenant d’impôts, de taxes, de droits ou de sanctions prélevés en application d’une loi du Québec, contester le caractère opérant, l’applicabilité constitutionnelle ou la validité d’une disposition faisant l’objet d’une déclaration visée au premier alinéa ou autrement contribuer à une telle contestation […]
Vous avez bien lu: il sera dorénavant impossible, pour tout organisme ci-haut décrit de contester la constitutionnalité d’une loi considérée, unilatéralement et arbitrairement, comme «protégeant la nation».
Deuxième interrogation: quel autre régime démocratique interdit, même partiellement, le contrôle judiciaire ? Réponse : absolument aucun. Pour y trouver un équivalent, il faudra plutôt fureter du côté des régimes infréquentables. Et la raison est simple: nulle démocratie possible en l’absence d’État de droit, et nul État de droit sans contrôle de la constitutionnalité des lois.
Je vous fais aussi remarquer qu’il est aussi possible que la définition de l’article 5 englobe également les syndicats, ceux-ci étant majoritairement financés par l’entremise de la formule Rand, protégée par la Loi, d’où la déclaration d’intérêt en introduction.
Sinon, magnanime, le ministre nous dresse une liste préliminaire des organismes obligatoirement visés : on y apprend ainsi, rassurés, que certains ennemis légendaires de la nation québécoise seront sous peu privés de leur droit de contester les lois protégeant celle-ci : l’ITHQ, la Société de la Place des Arts et le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec, pour ne nommer que ceux-ci.
S’ajoutent aussi, notamment, les cégeps et universités et enfin, la SQDC et la SAQ, assurant ainsi une première internationale : le Québec deviendrait la seule nation à constitutionnaliser simultanément alcool et cannabis, dans son texte fondateur.
On prend ce qu’on peut, faut croire.
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