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«Hey, cette bière a un goût salé?»
Le 2 mars 2023, Aiden Sagala a fait ce que beaucoup de gens font après une longue journée de travail sous la chaleur. Il a ouvert une bière bien fraîche, mais il ne se doutait pas que cette gorgée allait le tuer.
Aiden ne savait pas que la canette contenait de la méthamphétamine liquide, et non de la bière. Son patron lui avait offert plusieurs caisses de bière, qu'il avait ramenées chez lui. Le jeune homme de 21 ans vivait avec sa sœur Angela et son beau-frère Billy à Auckland, en Nouvelle-Zélande.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News. Note de la rédaction: cet article est le fruit d'une collaboration entre CTV News et l'Investigative Journalism Foundation (IJF). Il s'agit de la première partie d'une série de reportages, visant à examiner le rôle du Canada en tant que l'un des plus grands exportateurs mondiaux de méthamphétamine vers la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
Aiden et Billy se détendaient à la maison avec un ami lorsqu'ils ont décidé de boire quelques-unes des grandes canettes étiquetées Honey Bear Beer provenant du Canada. Billy était impatient de goûter pour la première fois à la bière canadienne.
«Nous pensions qu'il s'agissait d'une nouvelle marque qui allait être lancée en Nouvelle-Zélande et nous avons vu le logo canadien, le logo du drapeau. Nous nous sommes dit: "Oh cool". Nous pensions qu'elle venait du Canada, c'est plutôt cool alors"», a expliqué Billy à la journaliste Avery Haines de W5.
Après avoir bu une gorgée, Aiden a demandé à Billy si quelque chose avait un goût bizarre.
«Hey, cette bière a un goût salé?»
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Billy lui a répondu que sa bière avait bon goût, alors Aiden lui a demandé de goûter la sienne.
«Je l'ai goûtée pour voir ce qu'il voulait dire. Je n'ai pris qu'une gorgée, mais je l'ai recrachée très vite... elle avait le goût du sel de mer mélangé à des produits chimiques. Je lui ai dit que je ne l'avais pas avalée», a-t-il raconté.
Aiden a alors appelé sa mère, et les choses se sont enchaînées à partir de là.
Il est sorti de sa chambre quelques minutes plus tard et a dit à son beau-frère qu'il pensait qu'il allait mourir.
Billy a essayé de calmer Aiden, qui était paniqué, mais sans succès.
Celui-ci est devenu de plus en plus agité et physiquement agressif. Billy a tenté de le retenir, mais Aiden n'arrêtait pas d'essayer de le repousser.
«Il criait: "Je veux ma maman, je veux ma maman. Je vais mourir, je veux ma maman», s'est rappelé Billy.
La mère d'Aiden écoutait, impuissante, car il n'avait pas encore raccroché le téléphone.
Paniqué, Billy a appelé sa femme Angela, qui s'est précipitée à la maison pour essayer d'aider son frère.
«Il m'a dit: "Soeur, je suis en train de mourir." Et j'ai répondu: "Tu ne vas absolument pas mourir, pas aujourd'hui, pas sous ma surveillance"», a confié Angela à W5.
Le visage d'Aiden est devenu bleu.
Sa sœur a appelé une ambulance, mais il a fallu une heure aux ambulanciers pour arriver. Étant elle-même médecin, Angela a commencé à pratiquer la réanimation cardio-pulmonaire sur son petit frère en attendant.
Aiden est tombé dans le coma et est décédé cinq jours plus tard.
La cause du décès était une défaillance multiviscérale due à une dose mortelle de méthamphétamine, un stimulant synthétique illégal et hautement addictif.
«Il est mort sous ma surveillance... C'est tellement difficile de revivre le fait que ce sont les derniers mots que mon frère a prononcés... Il est mort dans mes bras ce jour-là», a dit Billy Anelusi.
Cette seule canette de «bière» qu'Aiden a bue allait permettre de démanteler un vaste réseau transnational de trafic de drogue impliquant l'Inde, les États-Unis et le Canada.
Lorsque la police néo-zélandaise a commencé à enquêter sur la mort d'Aiden, l'affaire les a menés à un entrepôt à Auckland, qu'ils ont ensuite perquisitionné.
Les autorités ont estimé avoir découvert environ 700 kilogrammes de méthamphétamine liquide.
Selon la police, Baltej Singh, propriétaire d'un supermarché local, avait importé de grandes quantités de méthamphétamine dissimulées dans des boissons en Nouvelle-Zélande ces dernières années. Il s'agissait notamment de livraisons de kombucha en provenance des États-Unis, d'eau de coco en provenance d'Inde et de près de 29 000 canettes de bière Honey Bear en provenance de Toronto.
Le patron d'Aiden Sagala, un homme nommé Himatjit «Jimmy» Kahlon, a été filmé par une caméra de sécurité en train de retirer des caisses de bière de l'entrepôt. Il a été accusé d'avoir aidé à transformer la méthamphétamine liquide en méthamphétamine cristalline.
Kahlon distribuait ensuite les canettes excédentaires qui contenaient réellement de la bière, laissant accidentellement dans les caisses certaines canettes qui étaient encore pleines de méthamphétamine liquide. Il a été accusé d'homicide involontaire dans la mort d'Aiden Sagala.
La police a également inculpé Singh, un homme d'affaires respecté à Auckland issu d'une famille influente en Inde, pour avoir dirigé l'opération d'importation.
La mort d'Aiden Sagala a provoqué une onde de choc en Nouvelle-Zélande et a conduit à la plus importante saisie de méthamphétamine de l'histoire du pays.
Selon le commissaire Greg Williams, chef du groupe national de lutte contre le crime organisé en Nouvelle-Zélande, la méthamphétamine coûte plus cher en Nouvelle-Zélande que partout ailleurs dans le monde.
Au Mexique, la méthamphétamine coûte environ 500 dollars le kilogramme. Au Canada, la même quantité se vend 10 000$, tandis qu'en Nouvelle-Zélande, un kilogramme se vend près de 300 000$.
«Les groupes criminels transnationaux regardent des pays comme la Nouvelle-Zélande... et se disent: "C'est une mine d'or." Ils se disent : "Je vais gagner beaucoup plus d'argent en apportant des produits en Nouvelle-Zélande"», a expliqué M. Williams.
Les criminels font entrer clandestinement des drogues dans le pays de diverses manières ingénieuses, par exemple en cachant la méthamphétamine dans des machines et en la dissimulant dans des produits alimentaires comme le sirop d'érable et la bière.
Alors que le président américain Donald Trump affirme à tort que le volume de fentanyl entrant aux États-Unis en provenance du Canada est «massif», les responsables de l'Agence des services frontaliers du Canada affirment que le Canada n'est pas une source importante de fentanyl aux États-Unis.
Cependant, le Canada inonde la Nouvelle-Zélande de méthamphétamine.
De 2020 à 2024, la Nouvelle-Zélande a saisi plus de méthamphétamine provenant du Canada que de tout autre pays au monde, soit 1 200 kilogrammes d'une valeur estimée à environ 350 millions de dollars.
Selon un document de renseignement de la GRC, les gangs internationaux, y compris les cartels mexicains, utilisent de plus en plus le port de Vancouver comme point de départ pour les expéditions de méthamphétamine à destination de pays comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie, où elle se vend à un prix beaucoup plus élevé.
En 2023, une année particulièrement chargée, les douaniers néo-zélandais ont saisi plus de 800 kilogrammes de méthamphétamine exportée du Canada, soit plus que tout autre pays.
En 2024, le Canada était à nouveau en tête de la liste des saisies de méthamphétamine en Nouvelle-Zélande, avec 174 cargaisons saisies provenant de ce pays.
La Nouvelle-Zélande est en proie à une crise de la méthamphétamine. Les analyses des eaux usées suggèrent que la consommation de méthamphétamine a presque doublé entre 2023 et 2024.
Selon le commissaire Greg Williams, son équipe a constaté une tendance à la hausse considérable de la méthamphétamine provenant du Canada au cours des dernières années.
«Le crime organisé s'installe dans des endroits où il pense pouvoir produire des tonnes de drogue, puis expédier depuis ces pays», a-t-il précisé. «Il y avait juste cette quantité qui nous arrivait du Canada.»
En février 2025, le patron d'Aiden, Kahlon, a été condamné à 21 ans de prison pour homicide involontaire et possession de méthamphétamine destinée à la vente. Il fait actuellement appel de cette décision.
La police a arrêté Singh à l'aéroport d'Auckland alors qu'il s'apprêtait à embarquer sur un vol à destination de Dubaï qu'il avait réservé le jour même. Il a été condamné à 22 ans de prison pour importation de méthamphétamine, possession de méthamphétamine destinée à la vente, importation d'éphédrine et possession de cocaïne destinée à la vente.
Entre-temps, personne n'a été inculpé au Canada pour son rôle dans l'exportation de la méthamphétamine liquide qui a tué Aiden Sagala ce que son beau-frère trouve inimaginable.
«Fermez-les et mettez-les en prison. Je serai très brutal à ce sujet», a lancé Billy. «C'est un meurtre. Pour être honnête, je considère cela comme un meurtre.»
Un reportage d'Avery Haines et Joseph Loiero pour W5/CTV News