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Le gouvernement de Mark Carney dévoile son premier budget, avec un déficit prévu de 78,3 G$

Le gouvernement affirme présenter un budget qui créera une économie «par les Canadiens, pour les Canadiens».

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Le gouvernement Carney dévoile son premier budget Le gouvernement Carney dévoile son premier budget

Avec un plan d'investissements majeurs dans les infrastructures et l'industrie destiné à façonner l'avenir du Canada, le tout premier budget fédéral du premier ministre Mark Carney met l'accent sur la stimulation de la croissance économique, tout en prévoyant un déficit supérieur de plusieurs milliards de dollars aux prévisions établies il y a un an. 

Présenté comme un plan visant à créer une économie «par les Canadiens, pour les Canadiens», le budget, intitulé Canada Strong, décrit comment le gouvernement entend guider le pays à travers la tempête d'incertitude actuelle grâce à des investissements en capital «audacieux», tout en réduisant les dépenses opérationnelles quotidiennes.

Ce texte est la traduction d'un article de CTV News.

Alors que la guerre commerciale avec les États-Unis remodèle le système commercial mondial et que l'affaiblissement de l'économie ajoute à la pression, les économistes affirment que le premier budget du ministre des Finances, François-Philippe Champagne, est axé sur le long terme, avec des mesures favorables aux entreprises visant à accroître la productivité et à apporter une certitude à un moment où celle-ci fait défaut à l'échelle mondiale.

Toutefois, cela signifie également que le budget ne prévoit que très peu de mesures adaptées aux préoccupations quotidiennes des Canadiens en lien avec le coût de la vie. Le gouvernement insiste néanmoins sur le fait que les mesures qu'il entend mettre en œuvre permettront d'augmenter les salaires moyens et de générer des recettes qui contribueront à soutenir les soins de santé et à réduire les impôts.

Avec ce budget, les libéraux choisissent de donner la priorité aux «investissements générationnels» plutôt qu'à la réduction du déficit, qui, selon le gouvernement, se serait faite au détriment des programmes sociaux.

En conséquence, le déficit fédéral devrait s'élever à 78,3 milliards de dollars en 2025-2026, soit une augmentation notable par rapport au déficit prévu dans la mise à jour budgétaire de décembre dernier, qui l'estimait à 42,2 milliards de dollars en 2025-2026.

En 2026-2027, le déficit devrait s'élever à 65,4 milliards de dollars, et le budget prévoit qu'il continuera de diminuer légèrement au cours des trois années suivantes, pour atteindre 56,6 milliards de dollars en 2029-2030.

Dans l'ensemble, le budget fédéral 2025 prévoit 32,5 milliards de dollars de nouvelles dépenses d'investissement nettes sur cinq ans et prévoit un excédent de 1,7 milliard de dollars dans le budget de fonctionnement du gouvernement fédéral d'ici 2028-2029.

S'adressant aux journalistes lors de la présentation du budget, le ministre des Finances a cherché à démontrer que le Canada possède ce que le monde recherche – des minéraux essentiels à l'intelligence artificielle – et que, selon lui, ce budget jette les bases qui permettront au pays de tirer parti de ses atouts existants, de renforcer les industries canadiennes clés et d'atteindre de nouveaux marchés.

«Aujourd'hui, nous présentons un budget d'investissement, le type de budget qui rendra le Canada plus résilient et plus prospère», a soutenu M. Champagne.

«Nous devons saisir cette occasion... Nous allons tirer parti de nos atouts, prendre des mesures audacieuses et assurer l'avenir du Canada. Nous le devons à la génération actuelle et aux générations futures.»
- François-Philippe Champagne, ministre des Finances du Canada

Ce document présentant des dépenses massives – le premier aperçu de l'état des finances fédérales depuis près d'un an – fait suite à l'annonce par la Banque du Canada de la fin de son cycle de baisse des taux, sauf «preuve d'un changement important des perspectives économiques».

Le maintien d'un ratio déficit/PIB en baisse sur un horizon de cinq ans, tout en respectant l'engagement pris par M. Carney d'équilibrer les dépenses de fonctionnement courantes et les recettes d'ici 2028-2029, constitue le pilier budgétaire sur lequel repose ce budget.

«En pourcentage du déficit, les investissements en capital passeront de 58 % en 2025-2026 à 100 % à partir de 2028-2029», indique le budget.

«Construire et sécuriser le Canada»

Dans l'ensemble, le budget prévoit de consacrer 280 milliards de dollars sur cinq ans à des investissements en capital dans de nouvelles infrastructures, des mesures de productivité et de compétitivité, la défense et la sécurité, ainsi que le logement.

C'est ce que le gouvernement qualifie d'«investissements générationnels», même si une partie considérable de ces dépenses a été réaffectée à partir de fonds déjà annoncés.

En matière d'infrastructures, les libéraux prévoient 115 milliards de dollars sur cinq ans, dont un «Fonds pour des collectivités fortes» dédié à soutenir toute une série de projets d'infrastructures locaux.

La partie de ce plan consacrée à la productivité et à la compétitivité comprend 110 milliards de dollars de dépenses destinées à des initiatives de développement économique régional, au soutien des technologies émergentes dans des secteurs tels que l'intelligence artificielle, la technologie quantique et les véhicules électriques, à la mise en place d'une nouvelle «super déduction pour la productivité» et à des incitations supplémentaires en matière de recherche et développement.

En matière de défense et de sécurité, le budget prévoit 81,8 milliards de dollars sur cinq ans pour «reconstruire, réarmer et réinvestir» dans l'armée canadienne. Cela comprend les 9 milliards de dollars annoncés en juin par M. Carney lorsqu'il s'est engagé à atteindre l'objectif de l'OTAN de 2 % du PIB consacré à la défense cette année, et 6,6 milliards de dollars sur cinq ans pour renforcer l'industrie de la défense canadienne grâce à la «stratégie industrielle de défense».

Pour atteindre l'objectif de l'OTAN, il semble que dans ce budget, les libéraux aient choisi d'adopter une nouvelle définition de ce qui compte comme dépenses de défense, en incluant par exemple d'autres dépenses de sécurité.

Pour compenser une partie de ces nouvelles dépenses, un plan prévoit d'économiser 1,1 milliard de dollars sur quatre ans en cédant les flottes qui arrivent en fin de vie, ce qui permettra d'économiser des coûts de réparation et de maintenance élevés.

En matière de logement, M. Champagne s'engage à «dynamiser» la construction de logements, en présentant un plan de dépenses de 25 milliards de dollars, provenant en grande partie des programmes existants, en plus des 7 milliards de dollars supplémentaires sur cinq ans pour le plan «Construire des logements au Canada» déjà promis.

Le budget présente également les plans du gouvernement visant à accélérer les nouveaux projets de construction nationale, mais n'annonce aucun nouveau financement spécifique au-delà de ce qui est prévu pour la création du Bureau des grands projets et les efforts de consultation des Autochtones qui l'accompagnent.

De même, il est fait mention des mesures déjà prises par le gouvernement pour soutenir les industries touchées par les droits de douane américains, mais il n'y a guère de nouveautés, si ce n'est quelques mesures supplémentaires ciblant les secteurs de l'agriculture, de la pêche, des produits de la mer et de la foresterie, ainsi que le lancement d'une nouvelle stratégie de diversification commerciale visant à doubler les exportations à l'étranger au cours de la prochaine décennie.

Des coupes dans les services publics à prévoir, mais les programmes sociaux épargnés

Parallèlement à la partie de ce budget consacrée aux investissements, des plans détaillés visent à réduire les dépenses liées au fonctionnement quotidien du gouvernement.

Cet été, les ministres ont été invités à trouver jusqu'à 15 % d'économies opérationnelles au cours des trois prochaines années, et le budget inclut les résultats de cet examen complet des dépenses.

Les libéraux affirment qu'ils vont réduire les dépenses publiques de 60 milliards de dollars sur cinq ans. En 2026-2027, les coupes prévues permettront de réaliser des économies estimées à 9 milliards de dollars, qui passeront à 10 milliards en 2027-2028 et à 13 milliards en 2028-2029.

Cette réduction des dépenses sera réalisée grâce à «la restructuration des opérations, la consolidation des services internes et la rationalisation des programmes afin de réaliser des gains d'efficacité», indique le budget.

Parmi les exemples de mesures qui seront prises à cette fin, citons l'exploitation des technologies, la modernisation des fonctions administratives internes, la limitation des dépenses discrétionnaires liées aux déplacements et le recours à des consultants externes.

Les libéraux poursuivent également les coupes déjà annoncées dans la fonction publique, avec pour objectif la suppression de 28 000 emplois d'ici 2028-2029.

Sur ce total, le gouvernement prévoit de supprimer 16 000 postes dans le cadre de la révision des dépenses, et 12 000 autres par le biais de départs naturels, notamment en proposant des congés volontaires et des mesures d'incitation à la retraite anticipée.

Il est également question de «recalibrer les programmes gouvernementaux» et de «rationaliser» leur mise en œuvre, bien que le budget respecte l'engagement pris par M. Carney de maintenir le financement des principaux programmes sociaux, notamment les services de garde d'enfants, les soins dentaires, l'assurance-médicaments et la sécurité de la vieillesse.

Les changements visant à améliorer l'accès à la Prestation canadienne pour personnes handicapées et le financement à long terme du programme alimentaire scolaire sont également mis en avant dans ce budget, tout comme les engagements à fournir de nouveaux fonds au ministère de la Condition féminine et de l'Égalité des genres pour une série d'initiatives.

Toutefois, d'autres programmes font l'objet de coupes budgétaires directes. Parmi les mesures détaillées dans le budget 2025 figurent la suppression pure et simple du programme de plantation d'arbres de l'ère Trudeau, l'«alignement» des prestations pour le cannabis médical sur les prix du marché et le «retour» des dépenses d'aide au développement international à leur niveau d'avant la pandémie.

Nouveaux détails sur l'immigration et les objectifs climatiques

Comme l'a laissé entendre M. Carney dans son discours prébudgétaire, la feuille de route budgétaire pour les années à venir comprend de nouveaux objectifs sur deux fronts.

En matière d'immigration, le budget présente un premier «plan sur les niveaux d'immigration» visant à stabiliser le nombre d'admissions de résidents permanents à 380 000 par an pour les trois prochaines années.

Le budget confirme également les plans visant à réduire l'objectif d'admission de nouveaux résidents temporaires et à augmenter le nombre de migrants économiques, avec plus de détails et de considérations sur les secteurs touchés par les droits de douane dans le prochain rapport annuel du ministre de l'Immigration.

L'objectif global sur trois ans est supérieur à celui du gouvernement précédent, qui était d'admettre 395 000 résidents permanents en 2025, pour descendre à 365 000 en 2027.

Liée à ce changement en matière d'immigration, une nouvelle «stratégie d'attraction des talents internationaux» de 1,7 milliard de dollars vise à inciter les meilleurs et les plus brillants talents du monde à «choisir le Canada pour innover, inventer et développer notre industrie».

Le document présente également la très attendue «stratégie de compétitivité climatique» des libéraux, que le gouvernement a présentée comme étant davantage axée sur les «résultats» que sur les «objectifs».

Les libéraux affirment de manière générale qu'ils ont l'intention de maximiser le «rapport qualité-prix du carbone» et qu'ils modifient leur approche par rapport aux gouvernements précédents afin de donner la priorité aux mesures qui, selon eux, permettront de réduire les émissions de manière la plus efficace possible, au moindre coût pour les Canadiens.

Concrètement, selon le budget, cela implique de renforcer – et non de supprimer – le système de tarification du carbone industriel en collaborant avec les provinces et les territoires afin de définir une trajectoire pluridécennale pour le prix du carbone industriel qui vise la neutralité carbone d'ici 2050.

Trois engagements clés en matière de crédits d'impôt ont également été pris : la mise en place d'un crédit d'impôt à l'investissement pour l'électricité propre, la prolongation de la disponibilité des taux de crédit complets pour le crédit d'impôt à l'investissement pour le captage, l'utilisation et le stockage du carbone, et l'élargissement de la liste des minéraux essentiels éligibles au crédit d'impôt à l'investissement pour la fabrication de technologies propres.

Quant à l'objectif de réduire les émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici 2030 – une autre politique de l'ère Trudeau –, le budget ne donne aucune indication claire quant à savoir si le gouvernement vise toujours à atteindre cet objectif, ce qui laisse supposer qu'il pourrait être abandonné.

«Des marchés du carbone efficaces, une réglementation renforcée en matière de méthane provenant du pétrole et du gaz, et le déploiement à grande échelle de technologies telles que le captage et le stockage du carbone créeraient des conditions dans lesquelles le plafonnement des émissions de pétrole et de gaz ne serait plus nécessaire, car il n'aurait qu'une valeur marginale dans la réduction des émissions», indique le budget.

Tout cela sera-t-il adopté ? Un test politique important à venir

Ce budget est le premier d'un nouveau cycle de rapports financiers, qui prévoit désormais que tous les budgets fédéraux seront présentés à l'automne et suivis de mises à jour économiques au printemps.

Selon le ministère des Finances, ce changement de calendrier vise à offrir plus de certitude pour la saison de construction et plus de prévisibilité pour les provinces et le secteur privé.

La dernière fois que la Chambre des communes a reçu un compte rendu détaillé des finances du pays, c'était en décembre dernier.

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Cette mise à jour budgétaire a été présentée dans un contexte de troubles politiques entre le premier ministre de l'époque, Justin Trudeau, et sa ministre des Finances, Chrystia Freeland, une rupture qui a sans doute abouti à la prise de pouvoir de Carney à la tête du Parti libéral, au pouvoir depuis longtemps, quelques mois plus tard.

La grande question est maintenant de savoir si ce document entraînera de nouveaux bouleversements politiques ou si le premier ministre sera en mesure d'aller de l'avant et de faire adopter ses grands projets.

Le budget fédéral est une question de confiance essentielle pour tout gouvernement, et comme les libéraux de Carney ne disposent que de trois sièges de moins que la majorité, ils auront besoin du soutien ou de l'abstention des députés extérieurs à leur parti afin d'obtenir le nombre de voix nécessaire pour le faire adopter.

Le résultat de ces votes dans les jours et les semaines à venir déterminera si la minorité de Carney tombera et si le pays sera plongé dans une élection hivernale.

Lundi, alors qu'il s'essayait à la confection de ses propres chaussures pour le jour du budget, M. Champagne a déclaré qu'il s'attendait à ce que les partis d'opposition soutiennent ce programme, car selon lui, il répond aux besoins du moment et a quelque chose à offrir aux Canadiens de tous horizons.

On saura dans les prochaines heures si le chef conservateur Pierre Poilievre, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet et le chef intérimaire du NPD Don Davies sont d'accord.

M. Poilievre avait exigé un budget abordable pour les Canadiens et demandé à M. Carney de maintenir le déficit fédéral sous la barre des 42 milliards de dollars. Le Bloc avait formulé une série de demandes coûteuses qui ne semblent pas avoir été satisfaites, tandis que M. Davies a déclaré que ses députés «ne soutiendraient pas une approche d'austérité».

Pour sa part, l'ancien banquier central devenu premier ministre, M. Carney, a indiqué qu'il serait prêt à se battre lors d'élections sur ce budget.