La fermeture imminente d'une usine ontarienne d'embouteillage de Crown Royal a suscité un tollé politique cette semaine. Cependant, l'entreprise à l'origine de ce choix devait prendre des décisions urgentes pour réduire ses coûts dans un contexte de difficultés financières persistantes, selon un expert en chaîne d'approvisionnement.
Le fabricant de spiritueux Diageo s'est retrouvé dans le collimateur de Doug Ford mardi, lorsque le premier ministre de l'Ontario a conclu une conférence de presse sans rapport avec l'affaire en sortant une bouteille de Crown Royal et en la déversant lentement sur le sol.
Doug Ford protestait contre l'annonce faite la semaine dernière par Diageo de la cessation des activités de son usine d'embouteillage d'Amherstburg en février 2026, afin de transférer une partie de ses volumes d'embouteillage aux États-Unis.
M. Ford a soutenu que l'entreprise était «stupide d'avoir agi ainsi», et a encouragé d'autres personnes à se débarrasser de leur whisky Crown Royal et à privilégier des options fabriquées dans la province.
«Vous faites du mal à mes citoyens, je vais vous faire du mal», a lancé le premier ministre dans un vague avertissement à l'entreprise.
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La colère politique s'est étendue à tous les partis, la députée néo-démocrate Lisa Gretzky s'interrogeant récemment sur la nécessité de retirer Crown Royal des rayons de la LCBO, le détaillant d'alcool de l'Ontario.
Diageo n'a pas directement évoqué les droits de douane ni les tensions commerciales plus larges lors de l'annonce de sa décision. Elle a plutôt indiqué que l'usine fermerait ses portes afin d'améliorer sa chaîne d'approvisionnement nord-américaine.
Cette décision survient dans un contexte de difficultés financières pour l'entreprise, qui a annoncé le mois dernier une baisse de 28 % de son bénéfice d'exploitation sur un an, ponctuée par les récentes annonces concernant le départ de son PDG et un plan massif de réduction des coûts, a expliqué Fraser Johnson, professeur de gestion des opérations à l'Ivey Business School.
«Malheureusement, l'usine d'Amherstburg est en quelque sorte prise dans cette situation, a-t-il indiqué. Pour moi, il s'agit avant tout de réduire les coûts dans un contexte concurrentiel difficile pour l'entreprise.»
Il a expliqué que Diageo a dû faire face à des défis, tels que la baisse des ventes liée à la chute de popularité des spiritueux, ainsi qu'au vieillissement de ses installations dans cette ville du sud de l'Ontario. Si les droits de douane ne sont pas la principale cause des difficultés financières de l'entreprise, M. Johnson a néanmoins indiqué qu'ils accroissent les risques.
«Les entreprises sont aujourd'hui beaucoup plus sophistiquées pour optimiser leur chaîne d'approvisionnement afin de réduire leurs coûts de transport», a-t-il mentionné, soulignant qu'une centralisation accrue des opérations d'embouteillage améliorerait probablement les résultats financiers de Diageo.
«Si votre principal marché se situe aux États-Unis, vous pourriez souhaiter rapprocher la production finale, en l'occurrence l'embouteillage, de vos consommateurs», a-t-il précisé.
Diageo a fait savoir qu'environ 200 emplois seraient affectés par ce déménagement.
«C'était une décision difficile, mais cruciale pour améliorer l'efficacité et la résilience de notre réseau d'approvisionnement.»
Diageo a déclaré qu'elle s'engagerait auprès de la communauté et trouverait des moyens de soutenir ses employés pendant la transition, et qu'elle collaborerait avec Unifor pour soutenir les travailleurs syndiqués.
L'entreprise a affirmé qu'elle conserverait une présence «importante» au Canada, notamment son siège social et ses entrepôts dans la région du Grand Toronto, ainsi que ses installations d'embouteillage et de distillation au Manitoba et au Québec.
Selon Mme McIntosh, les produits Crown Royal continueront d'être brassés, distillés et vieillis dans ses installations canadiennes.
Un équilibre difficile à trouver
Les entreprises comme Diageo se trouvent dans une situation difficile : elles doivent trouver un équilibre entre économie et apparence, selon David Soberman, professeur de marketing à la Rotman School of Management de l'Université de Toronto.
«Crown Royal est probablement un produit très populaire aux États-Unis, et pour eux, il faut faire ce qu'ils estiment être le mieux», a-t-il souligné.
«On peut implanter une très grande usine au Canada ou aux États-Unis, et évidemment, avec les droits de douane, on préférera une usine plus grande de l'autre côté de la frontière, surtout si le volume de vente est important», a-t-il noté.
Pour Diageo, l'annonce de la fin des activités de l'usine d'Amherstburg a probablement pris le pas sur la question de savoir si ses produits perdraient de l'attrait auprès des consommateurs canadiens, a avancé M. Soberman.
Il a ajouté que d'autres entreprises confrontées à des difficultés similaires suivront probablement l'exemple de Diageo, même si cela entraîne des manœuvres politiques.
«Leurs calculs seront exactement les mêmes, a estimé M. Soberman. Si leurs usines produisaient pour le marché nord-américain et qu'elles s'inquiètent des droits de douane (…), nul besoin d'être un génie pour comprendre que le marché américain est dix fois plus grand, voire plus, que celui du Canada.»
Ce n'est pas la première fois que le premier ministre de l'Ontario s'en prend violemment à une entreprise ayant des liens transfrontaliers ces derniers temps.
Doug Ford s'en est pris le mois dernier au PDG de Cleveland-Cliffs, propriétaire de l'aciérie Stelco, installée à Hamilton. Le premier ministre a déclaré que les éloges de Lourenço Gonçalves concernant les droits de douane américains montrent qu'il «se fiche éperdument» des travailleurs de l'acier de Hamilton.
Le premier ministre avait alors déclaré que Stelco devrait trouver un nouveau propriétaire.
Mais pour Diageo, il s'agit avant tout de «redresser la situation financière» pour l'instant, a souligné M. Johnson.
«Et s'ils doivent subir quelques coups en relations publiques avec Doug Ford et ses discours démagogiques, tant pis», a-t-il ajouté.

