Société

Interdiction de prières dans les rues: voici la réaction des différents groupes religieux

«Qui va déterminer ce qui constitue une prière? Un représentant du gouvernement?»

Publié

Le premier ministre du Québec, François Legault, répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse, le 12 septembre 2024, à l'Assemblée législative de Québec. Le premier ministre du Québec, François Legault, répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse, le 12 septembre 2024, à l'Assemblée législative de Québec. (Jacques Boissinot / La Presse Canadienne)

De plus en plus de personnes réagissent au projet du Québec visant à réprimer la prière publique par le biais d'une nouvelle loi, certaines dénonçant complètement cette mesure et d'autres la saluant.

Le ministre québécois responsable de la laïcité, Jean-François Roberge, a affirmé la semaine dernière que le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avait l'intention de déposer un projet de loi cet automne afin d'interdire cette pratique.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

La portée de la législation proposée n'est pas encore connue, car peu de détails ont été annoncés.

Voici ce que certaines personnes de différentes confessions religieuses pensent de l'interdiction de la prière dans les rues.

Bruce Myers, diocèse anglican de Québec

En tant que chef du diocèse anglican de Québec, Bruce Myers souhaite voir exactement ce que dira le projet de loi, mais qu'à ce stade, il le considère comme «une loi très problématique» qui constitue «une solution très lourde à un problème qui ne semble pas vraiment exister».

«Qui va déterminer ce qui constitue une prière? Un représentant du gouvernement? D'après les propos de M. Roberge et ceux tenus par le premier ministre Legault dans le passé, on a l'impression que cela repose en quelque sorte sur l'hypothèse que la prière est strictement une chose intériorisée, limitée à un moment et à un lieu spécifiques, ce qui n'est pas le cas pour aucune expression religieuse ou communauté confessionnelle que je connaisse», a-t-il soutenu à CTV News.

CTV News Bruce Myers est l'évêque anglican de Québec. (CTV News)

Mgr Myers a dit qu'il était d'accord avec l'archevêque Christian Lépine lorsqu'il a affirmé que le projet de loi pourrait très bien violer les droits fondamentaux des personnes, y compris la liberté de religion.

«Je pense qu'il serait également utile, dans le cadre de cette discussion et du débat autour de ce projet de loi, de disposer de données concrètes suggérant qu'il s'agit d'un problème récurrent et grave au sein de la société québécoise», a-t-il ajouté. «Et je n'ai encore rien vu de tel.»

«Tout cela n'est qu'anecdotique et semble reposer sur les observations du premier ministre et peut-être de son entourage. Ce qui m'amène à me demander si cette loi ne vise pas en réalité autre chose, ou plusieurs autres choses.»
-Mgr Bruce Myers

Christian Lépine, diocèse de Montréal

Selon le ministre Roberge, la prolifération des prières dans la rue est une «question grave et sensible au Québec». «En décembre dernier, notre gouvernement a évoqué son malaise face à ce phénomène de plus en plus présent, surtout à Montréal», a-t-il déclaré dans un message publié sur X jeudi dernier.

Plusieurs manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu dans les rues de Montréal afin d'attirer l'attention sur la crise humanitaire à Gaza due aux frappes militaires des forces israéliennes. Certaines de ces manifestations ont donné lieu à des prières publiques, notamment sur la place publique devant la basilique Notre-Dame de Montréal.

CTV News Des gens prient dans le quartier Hochelaga de Montréal, le 31 août 2025. (CTV News)

Christian Lépine, chef de l'Église catholique romaine à Montréal, a parlé au pasteur de la basilique, qui ne voit aucun inconvénient à ce que des musulmans prient devant son église.

«Ils se trouvaient sur la place publique. Ils n'étaient pas dans la rue même. Cela a donc été fait dans le respect. On peut se demander: pourquoi sont-ils là? Pourquoi pas ailleurs? Mais en fin de compte, c'est leur façon d'exprimer leur détresse à l'ensemble de la société et de nous aider à les entendre», a expliqué M. Lépine dans une entrevue accordée à CTV News.

Il a cité la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui consacre le droit à la liberté religieuse, que la société doit redécouvrir selon lui.

«C'est un défi, car il y a souvent des malentendus à ce sujet. Nous savons qu'il y a la guerre dans certaines régions du monde, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient, et nous savons qu'il est nécessaire d'exprimer les souffrances ou les opinions sur ces événements, mais prier fait également partie de cette expression», a soutenu l'archevêque.

Il a également exprimé son point de vue sur l'interdiction potentielle dans une tribune libre publiée dans La Presse, dans laquelle il a affirmé que cette mesure «compromettrait l'existence même» des traditions catholiques pratiquées en dehors des murs de l'église, notamment le chemin de croix et la procession du dimanche des Rameaux.

À VOIR AUSSI | «Allons-nous interdire les fêtes de Noël?»: l'interdiction des prières de rue sème la controverse

Rabbin Reuben Joshua Poupko, congrégation Beth Israël Beth Aaron

Dans une entrevue accordée mardi, le rabbin Reuben J. Poupko a également convenu que la liberté religieuse devait être protégée, mais il s'est dit préoccupé par ce qu'il a observé à Montréal ces dernières années.

«Nous avons vu la prière utilisée pour perturber la vie publique normale. Je considère que cette législation est davantage favorable à la circulation qu'anti-prière», a soutenu le rabbin.

« Il y a beaucoup de choses que vous ne pouvez pas faire sur le boulevard René-Lévesque, vous ne pouvez pas pique-niquer sur le boulevard René-Lévesque. Cela ne signifie pas que les libertés des gens sont restreintes, a-t-il poursuivi. «Le bien-être public est un objectif et une valeur importants, et nous avons vu à Montréal que la religion a été utilisée pour perturber la vie normale, que la vie des affaires a été perturbée. Les piétons ont été perturbés. La circulation a été perturbée.»

Il a également accusé certains manifestants participant à des manifestations pro-palestiniennes de tenir des propos haineux, citant les commentaires d'Adil Charkaoui, un imam de Montréal. La GRC a ouvert une enquête sur ses propos tenus les 14 et 28 octobre 2023 au sujet de la guerre entre Israël et le Hamas. Cependant, en mai 2024, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé de ne pas porter d'accusations. Le DPCP a déclaré dans un communiqué qu'«après une analyse rigoureuse des preuves disponibles [...] il n'y a pas lieu de conclure à la commission d'une infraction pénale».

«Je ne pense pas que quiconque s'inquiète du fait que des gens prient à l'extérieur de leurs églises, mosquées, synagogues ou propriétés. Je ne pense pas que cela dérange qui que ce soit. Je ne pense pas que quiconque s'inquiète de choses qui se produisent très rarement, comme une prière dans un parc», a mentionné le rabbin Poupko.

Graham Hughes | La Presse canadienne Le rabbin Reuben Poupko, à gauche, arrive aux funérailles d'Alexandre Look à Montréal, le jeudi 26 octobre 2023. (Graham Hughes | La Presse canadienne)
«Lorsque vous commencez à perturber la vie normale, à perturber la circulation et à utiliser la prière comme couverture pour tenir des propos violents, les gens commencent à se demander si nous avons besoin ou non de certaines restrictions pour trouver un équilibre plus utile.»
-Le rabbin Reuben Joshua Poupko

Interrogé au sujet des manifestations pro-palestiniennes, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a déclaré que les modifications apportées à la loi en 2019 permettent aux manifestants d'organiser des manifestations plus spontanées sans avoir à soumettre à l'avance un itinéraire prévu, ce qui signifie qu'aucun permis n'est nécessaire.

«Aucun individu ou groupe n'est autorisé à entraver la circulation publique lors de manifestations ou de rassemblements publics, y compris les prières, en bloquant les rues ou les voies d'accès, à moins d'avoir obtenu au préalable un permis de la part de l'arrondissement où l'événement est prévu. Le droit de manifester ou de se rassembler doit être exercé dans le respect de la sécurité et de la mobilité de tous les citoyens», a écrit la porte-parole du SPVM, Samantha Velandia, dans un courriel. «Si nécessaire, nos agents sont tout à fait prêts à intervenir pour garantir le maintien de l'ordre public et la liberté de circulation.»

Un comité étudiant la laïcité au Québec a publié la semaine dernière un rapport qui s'est abstenu de recommander une interdiction générale de la prière publique. Le groupe a plutôt conseillé au gouvernement Legault de laisser cette décision aux municipalités.

Stephen Brown, conseil national des musulmans canadiensons

Pour Stephen Brown, l'interdiction proposée de prier en public est une attaque claire contre la communauté musulmane.

«La cible est clairement la communauté musulmane, car la même chose se produit avec d'autres communautés, mais on n'en parle pas », a déclaré M. Brown, PDG du Conseil national des musulmans canadiens, dans une interview accordée à CTV News la semaine dernière.

Il partage l'avis de ceux qui affirment que cette interdiction violerait certainement les libertés fondamentales.

«Que va-t-on commencer à faire au Québec? Obliger les gens à faire approuver leurs messages par le gouvernement avant de leur accorder un permis pour manifester?» a-t-il demandé.

Stephen Brown, ainsi que l'ancien sénateur québécois André Pratte et certains commentateurs politiques, ont affirmé que l'interdiction de prier était purement une manœuvre politique du gouvernement de la CAQ.

«C'est un gouvernement qui cherche à remporter une victoire à un an des élections afin d'améliorer ses résultats dans les sondages», a dénoncé M. Brown.

Dans un message publié sur la plateforme de médias sociaux X, M. Pratte a écrit : «En grande difficulté dans les sondages, le gouvernement Legault tente désespérément de regagner des points dans l’opinion publique en exploitant un thème rentable, la peur des musulmans.»

«Soyons clairs ici: ce ne sont pas les prières dans les lieux publics qui dérangent. [...] Non, ce qui dérange, ce sont les musulmans qui prient, de la même façon que l’interdiction des signes religieux ne visait en réalité que le foulard musulman.»
-André Pratte, ancien sénateur canadien

Dans une entrevue accordée jeudi dernier, Stephen Brown a affirmé à la Presse canadienne que les tactiques de protestation telles que les prières musulmanes devant la basilique pouvaient être malavisées dans le climat politique actuel au Québec, mais qu'elles ne devaient pas être interdites.

«Pourquoi le gouvernement ne voit-il un problème que lorsque, tout à coup, on voit des musulmans prier dans la rue?», a-t-il demandé.

Dans une entrevue accordée vendredi dernier à QUB Radio, il a convenu que tout discours haineux lors d'une manifestation publique était inacceptable. «La haine est totalement inacceptable. Le problème n'est pas qu'ils prient. Le problème, c'est la haine», a-t-il déploré.

Avec des informations de Stéphane Giroux pour CTV News Montréal et de la Presse canadienne

CTV News

CTV News

Journaliste

Joe Lofaro

Joe Lofaro

Opens in new window

CTV News Montreal Digital Reporter