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L'opposition officielle à l'Assemblée nationale a dit croire que le gouvernement se cherche un «levier de négociation».
Le gouvernement Legault «reprend des droits de gestion» et force les médecins à prendre en charge plus de patients en liant une partie de leur rémunération à leur performance collective.
Jeudi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a déposé le projet de loi 106 en pleine négociation pour renouveler l'accord-cadre avec les deux fédérations médicales.
Cette pièce législative, qui était inattendue, a été très mal reçue par les médecins, qui la qualifient de «loi spéciale». Elle n'était pas non plus recommandée par le comité d'experts du gouvernement qui s'est justement penché sur l'accès à la première ligne.
L'opposition officielle accuse le gouvernement d'utiliser le projet de loi comme «levier de négociation», mais lors d'une brève mêlée de presse, le premier ministre François Legault a plutôt parlé de changements législatifs «nécessaires».
«Pour être capable de changer le mode de rémunération, ça prend un projet de loi. Mais on veut continuer de négocier», a-t-il dit.
«Je n'ai pas le choix. Aujourd'hui, je pense qu'il y a un minimum de droits de gestion qu'on doit pouvoir avoir, et après ça, les négociations vont être beaucoup plus claires.»
Après avoir promis un médecin de famille par Québécois, le gouvernement caquiste promet maintenant l'accès à un «milieu de soins», comme un groupe de médecine de famille (GMF), pour chaque Québécois d'ici l'été 2026.
Environ 1,5 million de Québécois n'ont pas de médecin ni de professionnel de la santé attitré, ce qui correspond à 17 % de la population, selon le gouvernement. De ce nombre, 590 000 sont considérés comme «vulnérables».
Le projet de loi 106 introduit plusieurs grands principes, à commencer par la responsabilité collective des médecins de prendre en charge plus de patients et l'obligation des départements territoriaux de se les répartir.
Il introduit aussi un changement de rémunération qui concerne les médecins pratiquant en première ligne: désormais, ils seraient payés par capitation, à l'acte et selon un tarif horaire.
La capitation est un montant versé en fonction de la population prise en charge. Elle serait modulée selon des critères de vulnérabilité (code de couleurs) utilisés par l'INESSS.
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Les médecins recevraient aussi un montant pour les heures travaillées, en plus de facturer chaque interaction avec le patient.
Actuellement, la loi ne permet qu'une rémunération à l'acte, ce qui ne favorise ni le travail en collaboration, ni la prise en charge des cas lourds et complexes, plaide le gouvernement.
Si le projet de loi est adopté, tous les patients orphelins seront affiliés à un milieu de soins, composé de médecins, d'infirmières, de pharmaciens, etc. Lors de la prise d'un rendez-vous, ils seront dirigés vers le professionnel le plus pertinent.
Un tel «filtre de pertinence» est déjà à l'essai dans environ 75 GMF dans la province. Ceux-ci ont trouvé qu'entre 10 % et 15 % des patients n'avaient pas besoin de voir un médecin et pouvaient se faire rediriger vers un autre professionnel de la santé.
Le projet de loi 106 rendrait également possible de lier le quart de la rémunération des omnipraticiens et des spécialistes à des indicateurs de performance qui seront déterminés par le gouvernement plus tard, par règlement.
Pour ce faire, il créerait deux enveloppes de rémunération: une de base et une enveloppe dite incitative (supplément collectif).
Plusieurs éléments du projet de loi dépendent de l'issue de la négociation avec les deux fédérations médicales. M. Dubé a affirmé jeudi que les cibles contenues dans la dernière offre du gouvernement pourraient être revues à la baisse.
Le projet de loi 106 ne passe pas comme une lettre à la poste: la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) considère que le gouvernement bafoue son droit à la négociation et n'exclut pas l'utilisation de moyens de pression dans le futur.
«Nous faire donner des leçons de performance par un gouvernement qui est décoté, faut le faire!» a lancé le président de la FMSQ, le Dr Vincent Oliva, en point de presse à Québec.
Malgré tout, la fédération ne compte pas quitter la table de négociations «pour l'instant».
Les spécialistes dénoncent également le manque de ressources, ce qui les empêche de faire leur travail. «On n'a pas de salle d'opération, on n'a pas de clinique externe, on n’a pas de secrétaire, les infrastructures sont croulantes», a énuméré le Dr Oliva.
La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a pour sa part affirmé que «le gouvernement atteint un nouveau sommet dans le déni de la réalité». Selon la fédération, le problème est plutôt qu'il manque 2000 médecins de famille.
«Un projet de loi ne créera pas, par magie, des milliers de nouveaux médecins de famille. Il ne réglera pas l'absence de ressources professionnelles pour les appuyer», indique-t-on.
«Le premier ministre Legault veut que ça brasse. Les médecins de famille veulent que ça marche !» ajoute la fédération.
Les partis d’opposition à Québec n'ont pas non plus manqué de critiquer le projet de loi de Christian Dubé, qui jette de l'huile sur le feu et pourrait faire fuir les médecins, selon eux.
«On est sur un fil de fer. Il y a 25 % des médecins de famille qui ont 60 ans et plus. Ces gens-là, s'ils le veulent, ils peuvent prendre leur retraite», a lancé le député libéral André Fortin.
Vincent Marissal, de Québec solidaire, affirme que le gouvernement a présenté «un projet de loi qui a déjà des effluves de bâillon», c'est-à-dire que les caquistes pourraient forcer son adoption d'ici la fin de la session parlementaire.
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«Plus d'efficacité et une meilleure cohésion avec les médecins, personne ne va être contre ça, encore faut-il que la CAQ négocie de bonne foi», a-t-il affirmé dans une déclaration écrite.
«Il y a quelque chose là qui semble être une fausse bonne solution», a pour sa part soutenu le député péquiste Joël Arseneau avant le dépôt du projet de loi, jeudi.