La stratégie ambitieuse du Canada visant à se tourner vers l'Union européenne (UE) pour réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis en matière d'équipements militaires pourrait être difficile à mettre en œuvre et entraîner des répercussions politiques, avertissent d'anciens responsables de la défense et de la sécurité dans un nouveau rapport.
Après avoir évalué les risques politiques et budgétaires du Pacte de sécurité et de défense entre le Canada et l'UE, signé par le premier ministre Mark Carney à Bruxelles en juin, les auteurs ont conclu que «la réalisation du plein potentiel du partenariat est très incertaine» en raison d'obstacles des deux côtés de l'Atlantique.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Ces obstacles comprennent les tensions commerciales avec les États-Unis, les divisions entre les pays européens et les liens faibles entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
À l'heure actuelle, les entreprises américaines de défense fabriquent près de 75% des armes et des équipements utilisés par l'armée canadienne, ce qui, selon le rapport, «rend le Canada vulnérable aux changements de politique et aux tensions commerciales des États-Unis».
Le rapport reconnaît que l'augmentation des achats en Europe pourrait se traduire par «une économie canadienne plus résiliente, innovante et autonome, capable de faire face aux incertitudes mondiales», mais il avertit que les dirigeants politiques devront peut-être se préparer à un lobbying agressif de la part des entreprises américaines, qui pourrait entraîner des représailles.
À VOIR AUSSI | Sommes-nous vraiment plus fiers d’être Canadiens en raison de Donald Trump?
Vincent Rigby, qui est également l'un des auteurs du rapport, dit qu'il attend actuellement les conclusions de l'examen mené par le ministère de la Défense nationale (MDN) sur l'achat d'avions de combat F-35 auprès du géant américain de la défense Lockheed Martin.
«Les États-Unis ne seront pas nécessairement ravis de perdre certains de leurs contrats de défense au profit de concurrents européens. Il pourrait donc y avoir des répercussions politiques à cet égard.»
Alors que le Canada a déjà payé 16 avions de combat, la commande restante de 72 appareils est en suspens, le MDN examinant si l'avion de combat Gripen de Saab constitue une alternative viable. La société suédoise était arrivée en deuxième position lors de l'appel d'offres initial pour la prochaine génération d'avions de combat du pays.
Selon M. Rigby, si le reste du contrat pour les F-35 est annulé, les États-Unis pourraient riposter en annulant des contrats avec des entreprises canadiennes.
C'est le genre d'équilibre que le Canada devra trouver à plusieurs reprises au cours de la prochaine décennie pour remplir ses obligations militaires.
En tant que membre de l'OTAN, le gouvernement Carney s'est engagé à porter ses dépenses de défense à 5% du PIB d'ici 2035, ce qui pourrait représenter une facture de 150 milliards de dollars par an.
À VOIR AUSSI | Le Canada et ses alliés de l'OTAN consacreront 5% de leur PIB à la défense d'ici 2035
Perrin Beatty, ancien ministre conservateur de la Défense et coauteur du rapport, estime que le Canada doit répartir ses dépenses afin de «s'assurer d'avoir plus d'un allié fiable» et de renforcer ses capacités industrielles militaires nationales.
Le rapport souligne que, selon l'objectif de 5% du PIB, les dépenses de défense de l'UE devraient dépasser 1 000 milliards de dollars d'ici 2035. Toutefois, M. Beatty met en garde contre le fait que les avantages économiques que le Canada pourrait en tirer pourraient être limités par certains pays disposant d'un droit de veto.
«Si vous examinez l'accord de libre-échange que nous avons conclu avec l'UE, un certain nombre de pays européens ne l'ont toujours pas ratifié et la structure européenne, qui exige que chaque pays ratifie l'accord, rend la tâche d'autant plus difficile», a précisé M. Beatty.
Bien que le président américain Donald Trump mène une guerre commerciale à travers le monde, son administration exige également un accès à l'Europe.
Dans un éditorial publié mercredi dans USA Today, le secrétaire d'État américain Marco Rubio a écrit que «les alliés de l'OTAN doivent permettre aux entreprises américaines de soumissionner pour des contrats de défense» et que seuls les États-Unis disposent d'entreprises «pleinement capables de répondre aux besoins de l'Europe en matière de défense».
M. Beatty estime qu'il s'agit là d'un exemple de la «double stratégie» de M. Trump, ajoutant que le président américain souhaite que les alliés de l'OTAN augmentent leurs budgets de défense afin de stimuler les résultats financiers des entrepreneurs américains.
En fin de compte, les auteurs du rapport affirment que le Canada doit renforcer sa propre résilience en renforçant son complexe militaro-industriel national.
«Nous ne pouvons pas simplement remplacer une dépendance par une autre», a soutenu le vice-amiral à la retraite Mark Norman dans une interview accordée à The Vassy Kapelos Show.
La poussée vers une augmentation des dépenses de défense nécessite également le développement massif de minéraux essentiels, ce qui, selon le rapport, pourrait se traduire par «des dizaines de milliers de nouveaux emplois dans les régions du Québec, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique».
Mais les auteurs ont constaté que les obstacles réglementaires provinciaux pourraient retarder de deux à trois ans la livraison de minéraux essentiels aux chaînes d'approvisionnement européennes.
M. Norman affirme que si le gouvernement fédéral veut faire plus d'affaires avec les Européens, il doit également rationaliser le processus d'approvisionnement, sinon nous risquons de revenir à une dépendance vis-à-vis des États-Unis.
«Nous devons réparer le système afin que l'argent circule efficacement», a-t-il dit. «Nous ne manquons pas de choses à acheter, mais nous pourrions finir par devoir nous tourner vers les Américains pour certaines d'entre elles en raison de la rapidité avec laquelle nous devons les acheter.»


