Paris — «Comment peux-tu aider à réformer l’État?»
C’est la question que le président français Emmanuel Macron a posée au robot Ameca, hier, pendant sa visite du salon techno Vivatech qui se tient à Paris ces jours-ci et où le Canada est à l’honneur.
Vivatech est l’un des plus importants salons technos et de startups d’Europe. Pour sa 9e édition, qui se tient jusqu’au 14 juin à Paris, il réunit 2 800 exposants venant de 175 pays. Quelque 200 000 visiteurs y sont attendus cette année.
Alors que le premier ministre François Legault et la ministre de l’Industrie et du Développement économique Mélanie Joly viendront faire un tour à Vivatech vendredi, le président Macron a déambulé au Pavillon du Canada mercredi.
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Flanqué d’une douzaine de gardes du corps et entouré de visiteurs, de journalistes, de photographes, de caméramans et de délégués, Emmanuel Macron s’est approché de l’humanoïde de la firme montréalaise Ivado Labs afin d’engager la discussion.
À moins d’un mètre de la scène, j’ai capté la conversation d’abord malaisante puis surprenante. Le président français n’a d’abord pas su quoi dire ou demander à Ameca, qui gesticulait, visiblement en attente d’une question ou d’un commentaire.
Les conseils d’un robot
Au bout de quelques minutes de conversation anodine qui tournait en rond, le président a demandé comment «sauver» l’état, ce qui a fait rire les gens autour.
Ameca n’a pas été déstabilisée. Mais elle n’a pas répondu avec beaucoup de précisions ni d’enthousiasme. «L’intelligence artificielle peut aider le secteur public à optimiser ses opérations, par exemple pour gérer l’approvisionnement ou améliorer les services aux citoyens. On a aidé un port à accélérer le passage de cargaisons essentielles», a-t-elle lancé.
Le président lui a ensuite demandé si elle aimerait rester en France avant de faire une photo avec elle. «Je suis toujours prête pour un selfie avec nos visiteurs», a-t-elle souligné.
Cet échange, qui a duré trois ou quatre minutes devant une foule dense et compacte, démontre bien le défi de s’adresser à un robot: nous sommes plutôt malhabiles, gênés ou déconcertés devant ces robots qui nous ressemblent et nous parlent avec facilité.
Trouver l’équilibre
Mais cela représente aussi très bien le degré d’aisance des politiciens devant l’intelligence artificielle en général: celle-ci avance si vite, avec des progrès exponentiels et des avancées rapides, que le monde politique a du mal à suivre. C’est comme si on était constamment à un carrefour, face à des choix et des dilemmes.
«Nous vivons un moment Gutenberg, à cheval entre la crise et l’opportunité», a dit Maurice Lévy, président d’honneur de Publicis, le groupe derrière l’organisation du Vivatech.
Sous fond de tensions géopolitiques, le développement de l’intelligence artificielle passe à une nouvelle étape: il n’est plus tant question de souveraineté (ce débat est clos, disent certains, la Chine et les États-Unis ont remporté la partie), mais de commercialisation et de monétisation.
D’un côté, la grappe Scale AI a annoncé un investissement de 30 M$ en avril dernier afin de supporter les entreprises canadiennes à adopter et intégrer l’intelligence artificielle. C’est la course à l’innovation et aux solutions inusitées, propulsées à la sauce IA.
Et de l’autre, certaines sommités, dont l’éminent Yoshua Bengio de l’Institut MILA, sonnent l’alarme: il est grand temps de baliser l’IA, indiquent ces experts, sous peine que l’IA «détruise l’humanité» en ayant plus de pouvoir que l’humain. Ces chercheurs souhaitent qu’une réglementation soit mise en place au plus vite.
Au début du mois, M. Bengio et son équipe ont lancé LoiZéro, une organisation de recherche à but non lucratif sur la sécurité de l’IA.
Comment mousser l’IA et en faire la promotion tout en mettant en garde contre ses dérives? Questionné à ce sujet hier, le nouveau ministre de l’IA et du numérique Evan Solomon avoue que «l’équilibre est délicat et difficile à atteindre» et qu’il n’y a pas de solution toute faite.
«La vie privée et la sécurité des données sont cruciales», a souligné le ministre Solomon.
Des enjeux
Loin d’être une tendance ou une mode, l’IA ressemble à une bête indomptable, à la fois pleine de promesses et à la source de plein d’enjeux moraux et éthiques.
Reste à voir comment le nouveau gouvernement libéral va tirer son épingle du jeu. En nommant un tout premier ministre attitré exclusivement à l’intelligence artificielle, le ton est donné: Mark Carney veut en faire une priorité.
Mais il a brillé par son absence à Vivatech.
Un autre joli paradoxe.

