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Six syndicats de l’industrie culturelle québécoise lancent un manifeste pour un meilleur cadre réglementaire visant à protéger la création artistique face à l'intelligence artificielle (IA).
Les auteurs du manifeste sont l'Union des artistes (UDA), l'Association québécoise des techniciennes et techniciens de l'image et du son, l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, la Guilde canadienne des réalisateurs – Conseil du Québec et la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC).
Représentant plus de 25 500 artisans du secteur culturel, ces syndicats sonnent l'alarme sur les menaces de l'IA pesant sur leur milieu.
Appuyés par d'autres associations et fédérations, ils dénoncent que des oeuvres de créateurs soient «usurpées» quotidiennement à des fins d’entraînement de l’IA.
«À chaque instant, images, textes, voix, compositions sont utilisés sans le consentement des artistes, sans transparence et sans rémunération pour les créateurs, violant toutes les valeurs morales et les cadres réglementaires les plus fondamentaux», peut-on lire dans le préambule du manifeste.
Celui-ci a été présenté lundi par la présidente de l'UDA, Tania Kontoyanni, et le directeur général de la SARTEC, Laurent Dubois, lors du symposium «Face à l’IA: Agir pour l’avenir de nos métiers», qui se tenait à Montréal.
«Il y a toujours eu du piratage, mais là on est ailleurs. On n'est plus dans l'utilisation individuelle. On est dans de grosses compagnies qui sont en train de faire du profit sur notre dos en nous disant: ‘‘savez-vous quoi? On va le prendre, vous ne vous en rendrez même pas compte. On va faire plein d'argent, on ne vous donnera rien’’» a soutenu Mme Kontoyanni en mêlée de presse.
«Alors ça, c'est absolument absurde et extrêmement épeurant», a-t-elle ajouté.
Le manifeste appelle principalement les gouvernements à «bâtir prioritairement un cadre réglementaire strict, impossible à contourner et encadrant le développement et l’utilisation de l’IA», afin de veiller à protéger les droits des travailleurs et les droits d’auteur des créateurs.
Les syndicats souhaitent que les futurs travaux entourant une telle législation soient guidés par le principe «A.R.T.» (Autorisation, Rétribution, Transparence). C'est-à-dire que l'artiste puisse donner son consentement, obtenir une rémunération et être informé pour l'utilisation d'une de ses oeuvres à des fins d'entraînement d'outils de l'IA, a expliqué M. Dubois.
«On se bat pour qu'un contenu généré par une IA ne puisse jamais avoir le statut d'oeuvre. On veut que le statut de l'oeuvre soit réservé à un humain, une humaine qui a travaillé, et non pas à un outil qui a généré du contenu, qui n'a rien créé, qui ne fait que recycler», a fait valoir le directeur général de la SARTEC.
Présent à l'événement, le ministre québécois de la Culture, Mathieu Lacombe, s'est dit d'accord avec le contenu du manifeste. Le Québec se range dans le camp «de la raison, du développement responsable et du côté des créateurs et des créatrices», et non de celui en faveur d'un développement sans frein, a-t-il dit.
L'élu caquiste convient qu'une législation est nécessaire pour encadrer l'intelligence artificielle.
«Je pense que ça prendra une loi, que ce soit à Ottawa ou à Québec ou encore aux deux gouvernements pour arriver à faire ça», a-t-il déclaré aux médias.
Mais il est irréaliste d'envisager le dépôt d'un projet de loi en ce sens à l'Assemblée nationale avant les prochaines élections générales d'octobre 2026. Cela prendra du temps, a précisé M. Lacombe.
«C'est un dossier sur lequel il faut encore travailler. C'est un dossier de fond qui demande énormément de travail. C'est un dossier, je pense, où tout le monde, ou à peu près, va être d'accord, en tout cas, au Québec, sur la nécessité d'agir.
«Maintenant, il faut juste trouver la meilleure façon de le faire avec tous les joueurs sur la patinoire», a-t-il affirmé, évoquant que d'autres gouvernements et organismes sur la scène internationale ont aussi un rôle à jouer.
Le ministre mentionne que son projet de loi, déposé il y a quelques semaines sur la découvrabilité des contenus culturels francophones, tiendra compte de l'apparition et du développement de l'intelligence artificielle dans la rédaction des règlements. Mais il ne viendra pas encadrer l'appropriation d'oeuvres par cette technologie, a-t-il évoqué.
Les signataires du manifeste appuient aussi l'ajout d’un protocole à la convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
«Cette démarche nous apparaît comme la plus adaptée pour renforcer l’efficacité de la convention dans l’environnement numérique et face aux défis posés par l’IA», peut-on lire dans le manifeste.
Mme Kontoyanni n'est pas fermée à l'utilisation de l'IA par les artistes pour soutenir la créativité, du moment où l'outil est respectueux du créateur. Elle met toutefois en garde contre les risques de plagiat et de voler le travail de confrères.
«Parce qu' on n'a jamais ouvert le capot, voir comment ça fonctionne ce moteur-là. À partir du moment où aucun des artistes n'est en mesure d'identifier la source, on est sujet à faire du plagiat. On ne le sait pas ce qui a nourri le développement de l'intelligence artificielle», a-t-elle dit.
De son côté, M. Dubois voit surtout, pour le moment, l'usage de l'IA dans le secteur culturel comme une façon de réduire les effectifs sur les productions, plutôt que de pousser la création encore plus loin.
Les syndicats souhaitent également que tout contenu généré par l’IA soit identifié comme tel aux yeux du grand public.