À moins d’avoir passé toute la semaine dernière dans un terrier de lapin sauvage, vous avez découvert, comme le reste de la planète, la première actrice née de l’Intelligence artificielle, Tilly Norwood.
Elle a été créée par la compagnie Xicoia. Une jolie brunette qui habite Londres (en fait pas vraiment, je dirais plus qu’elle habite un ordinateur) qui adore magasiner (pas vraiment puisque ses vêtements viennent de la main d’un dessinateur en effets spéciaux) et qui carbure au café glacé (qu’elle ne boit jamais parce qu’elle n’a pas besoin de boire et de manger). Bref, une fille authentique.
Tilly n’a pas encore joué aucun rôle ni fait même de démo artistique, mais certaines agences de talents veulent déjà la représenter. Une vraie sensation de l’heure. Mais représenter qui au juste? Quoi? Tilly? La compagnie qui l’a mis au monde? Un robot virtuel? Un dessin en 3D? Tilly aura une nounou-assistante qui décidera pour elle? Un geek de chez Xicoia lira les scénarios qui lui sont destinés avant de choisir pour elle? Il en discutera avec Tilly devant un bon café glacé fait de 1 et de 0?
Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre l’IA. De toute façon, même si j’étais contre, il est déjà trop tard, ça fait maintenant partie de nos vies. Mais je ne crois pas que de voir Tilly dans une scène d’amour d’une comédie romantique avec Austin Butler comme partenaire pourrait me combler. Je ne pense pas que je croirais à son jeu d’actrice. Pourquoi?
Parce que c’est ça la grosse base des acteurs et actrices. Nous faire croire que c’est vrai. Utiliser leurs propres émotions pour nous faire croire à une situation qui n’est pas réelle. Construire des personnages précis qui vont nous amener à être touchés par une histoire. Nos émotions répondent à des émotions.
À VOIR AUSSI | L’intelligence artificielle comme psychologue?
Je ne crois pas que je pourrais m’identifier aux larmes de Tilly. Je ne crois pas qu’elle pourrait me faire pleurer comme Pascale Renaud-Hébert dans «Veille sur moi» ou Whoopi Goldberg dans «La couleur pourpre».
Je t’entends me dire: qu’est-ce que tu en sais? Tu ne l’as pas vu «jouer». C’est vrai. Mais honnêtement, si je me base sur ce qu’on voit en ce moment, on est encore loin du naturel humain. Quand les lèvres d’une réceptionniste d’hôtel dans une pub de fournisseur de voyage ne sont pas synchronisées avec ce qu’elle dit, c’est plutôt difficile de croire à son baratin d’escompte. Ça donne l’impression que son côté de bouche gauche se sacre totalement de son côté droit. On dirait Frankenstein avec les cheveux longs roux qui porte un uniforme d’hôtel.
Alors, imaginez un film de 1 h 45 avec Tilly qui bouge de façon plus ou moins précise et avec une aphasie de la bouche. Rien pour nous maintenir dans l’intrigue. Décrochage en vue.
Plein de questions se posent aussi éthiquement parlant. Des questions auxquelles je n’ai pas de réponse et je ne dois pas être le seul. Est-ce que Tilly aura un cachet? Sera-t-il égal à celui d’un acteur? Qui recevra ce cachet? Sa boîte de création? Son cachet sera remis à de bonnes œuvres? Est-ce qu’on aura besoin de son consentement pour des scènes de sexe? Est-ce qu’il y aura une limite aux scènes explicites? On lui fera jouer ce qu’on veut sans jamais de remise en question? Est-ce qu’elle vieillira à l’écran au cours des années? Elle n’aura que des partenaires de l’IA? On dirait que j’ai un petit malaise…
Je sais bien que certaines personnes trouvent ça ben correct que Tilly remplace une actrice. Que ce n’est pas grave ! Que c’est seulement du divertissement ! Mais non. C’est un travail. Et d’autres emplois découlent du jeu d’un acteur ou actrice. Habilleuse, maquilleur, coiffeur, créatrice de costume et j’en passe. Tout ça pourrait disparaitre.
Ce n’est pas bon pour personne. Et dites-vous bien que si on peut faire une actrice virtuelle aujourd’hui, c’est peut-être votre boulot qu’on remplacera demain. Plus besoin d’urbaniste, Roberto de l’IA peut le faire à sa place. Un soudeur remplacé par Gustave le robot intelligent qui soude plus vite que son ombre. Olga de l’IA peut décider mieux que personne si vous avez droit à un prêt hypothécaire pour votre première maison.
Je ne veux pas être alarmiste, mais gardons l’œil ouvert.
Après tout, Sarah Connors n’y croyait pas non plus au Terminator T-800.
Au début…
Pour recevoir toutes les chroniques d'Alex Perron, abonnez-vous à notre infolettre, Les débatteurs du samedi.

