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Un chercheur utilise l'IA pour développer un antibiotique contre la maladie de Crohn

Le Canada affiche l'un des taux de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin les plus élevés au monde.

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Jon Stokes, chercheur à l'Université McMaster, à droite, et Denise Catacutan, étudiante diplômée, sont photographiés au Centre for Microbial Chemical Biology, un laboratoire central du Michael G. DeGroote Institute for Infectious Disease Research de ... Jon Stokes, chercheur à l'Université McMaster, à droite, et Denise Catacutan, étudiante diplômée, sont photographiés au Centre for Microbial Chemical Biology, un laboratoire central du Michael G. DeGroote Institute for Infectious Disease Research de l'Université McMaster, dans cette photo non datée prise à Hamilton, en Ontario. (Photo fournie - Blake Dillon, Université McMaster via La Presse canadienne)

Un chercheur de l'Université McMaster, en Ontario, a utilisé l'intelligence artificielle (IA) pour mettre au point ce qui pourrait être un traitement antibiotique révolutionnaire contre la maladie de Crohn et les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin.

Jon Stokes, son équipe de McMaster et leurs partenaires du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont utilisé l'IA pour isoler un nouvel antibiotique en deux fois moins de temps qu'il ne faudrait normalement.

M. Stokes a expliqué que l'élaboration d'un nouvel antibiotique coûte habituellement des millions de dollars et prend plusieurs années, mais grâce au séquençage par IA, son laboratoire a réalisé les premières étapes en environ six mois et pour environ 60 000 $.

En ce qui concerne la découverte de nouveaux médicaments, M. Stokes a déclaré que cette utilisation de l'IA pourrait changer la donne pour les patients canadiens.

Le problème des antibiotiques traditionnels, a expliqué le chercheur, est que beaucoup d'entre eux sont conçus pour être à large spectre, ce qui signifie qu'ils détruisent les bonnes bactéries aussi bien que les mauvaises lorsqu'ils visent à éliminer une infection. Cela peut être particulièrement néfaste pour les personnes atteintes de la maladie de Crohn ou d'une maladie intestinale. Les antibiotiques peuvent détruire les bonnes bactéries intestinales nécessaires pour prévenir de nouvelles infections.

Il fallait ainsi un antibiotique à spectre étroit. Le résultat a été l'entérololine, un médicament unique en son genre, conçu pour cibler uniquement les bactéries nocives, dont E. coli.

C'est là que le laboratoire de M. Stokes et ses collaborateurs du MIT ont utilisé l'IA de deux manières distinctes.

Ils ont d'abord utilisé l'IA pour déterminer les structures chimiques susceptibles d'être antibactériennes. Ensuite, ils ont employé la technologie pour prédire le fonctionnement réel de ces structures lorsqu'elles ciblent une cellule, ce que l'on appelle le «mécanisme d'action».

«E. coli possède environ 4000 gènes. Parmi eux, environ 300 sont probablement essentiels, a indiqué M. Stokes. Le nombre de fonctions que ma molécule pourrait accomplir une fois à l'intérieur d'une cellule est ahurissant… cela prend des années et des millions de dollars.»

M. Stokes a expliqué que la modélisation par IA agissait comme un GPS, indiquant aux chercheurs les combinaisons de structures les plus susceptibles de produire de bons résultats.

«Nous ne naviguions plus à l'aveugle», a-t-il dit.

Les limites de l'IA

Dans la plupart des cas d'utilisation de l'IA comme celui-ci, nous constatons une avancée positive, a déclaré Wyatt Tessari L’Allié, fondateur d'AI Governance and Safety Canada (AIGS).

L'essentiel est que l'IA n'en est pas encore au stade où elle peut faire ce genre de prédictions sans vérification humaine.

«(L'IA) peut produire une première ébauche correcte, ou quelque chose qui semble raisonnable, mais il est essentiel que l'humain réfléchisse: pourquoi est-ce que j'utilise l'outil d'IA? Et quel genre de réponses devrais-je obtenir ?, a détaillé M. Tessari L’Allié. [L'IA] a l'air intelligente. Et il est facile de penser qu'elle l'est tout le temps, alors que ce n'est souvent pas le cas.»

M. Stokes a expliqué que le modèle d'IA de son laboratoire produisait ses prédictions en moins de deux minutes. Ils ont ensuite passé six mois à les vérifier, ce qui, selon M. Tessari L’Allié, est exactement ce dont on a besoin en matière de recherche assistée par l'IA. 

Le gouvernement fédéral a examiné la réglementation de l'IA avec la Loi sur l’intelligence artificielle et les données, ou le projet de loi C-27, mais ce projet de loi a finalement été rejeté lors de la prorogation du Parlement plus tôt cette année. M. Tessari L’Allié et l’équipe d’AIGS ont soumis des recommandations pour le projet de loi. Il a expliqué que la difficulté de légiférer sur l’IA réside en partie dans le fait qu’il s’agit d’une cible mouvante.

«La réglementation prendra plusieurs mois, voire plusieurs années. Il faut donc se demander où en sera l’IA dans deux, trois ou cinq ans ?»

Une option pour les patients

Le Canada affiche l’un des taux de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin les plus élevés au monde. Une étude de l’Université de Calgary suggère que le nombre de patients pourrait augmenter considérablement au cours des 20 prochaines années.

Actuellement, un nouveau patient est diagnostiqué toutes les 48 minutes au Canada, selon Crohn et Colite Canada. Cela représente un peu plus de 320 000 patients à l'heure actuelle, mais on estime que ce nombre atteindra 470 000 patients au cours de la prochaine décennie.

Il n'existe aucun remède contre la maladie de Crohn et les maladies intestinales associées. Les symptômes courants incluent de la douleur, de la fatigue, de la diarrhée persistante et une perte de poids inexpliquée.

M. Stokes souhaite que ses recherches et ses méthodes aident les patients à mieux gérer leurs maladies. Plus important encore, il espère que l'IA pourra accélérer ce type de recherche médicale.

«L'IA est un ensemble d'outils qui nous aident, en tant qu'experts du domaine, à prendre de meilleures décisions expérimentales à chaque étape clé du développement d'un médicament, a affirmé M. Stokes. Ils nous guident mieux et nous aident à prendre des décisions plus éclairées, susceptibles d'aboutir à un succès.»