14 mars 2026. C’est la date anniversaire de l’assermentation de Mark Carney comme premier ministre du Canada et c’est aussi la date butoir que Pierre Poilievre a donnée au chef libéral pour livrer deux pipelines, un projet de gaz naturel liquéfié (GNL) et une autoroute vers le «cercle de feu» dans le nord de l’Ontario (région reconnue pour ses importantes ressources minières
C’est un défi que le chef conservateur décrit comme réaliste, mais qui est très ambitieux dans le contexte actuel d’acceptabilité sociale. Cependant, la stratégie du chef conservateur a le mérite d’être créative et le potentiel d’être très efficace.
Je vous propose de la décortiquer.
Pourquoi mars?
Commençons par le choix de la date. Ce choix judicieux permet au chef conservateur de s’approprier à l’avance la date anniversaire d’entrée en poste de Mark Carney comme premier ministre, mais surtout, il lui permet de traverser ses propres défis.
D’abord, il y a l’élection partielle en Alberta, qui ne sera probablement qu’une formalité, mais qui obligera tout de même le chef conservateur à faire campagne et les électeurs à se déplacer. D’ailleurs, le comité du bulletin le plus long a réussi à inscrire près de 200 candidatures afin de passer un message pour la réforme du mode de scrutin.
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Une fois cette partielle terminée et la victoire obtenue par Pierre Poilievre, ce qui ne devrait être qu’une formalité, le chef conservateur devra préparer son plus important test de leadership, soit le vote de confiance en janvier 2026. Malgré la popularité du chef conservateur au sein de ses troupes et le fait qu’il a obtenu des résultats honorables à la dernière élection, un vote de confiance est toujours un exercice périlleux et difficile à prédire, car il est basé sur l’humeur des militants.
Défaire le gouvernement avant cette date serait précipité et très risqué. La date du mois de mars porte une symbolique intéressante, mais elle est aussi très pratique pour le chef conservateur.
Le choix des projets
Maintenant, pourquoi ces projets ? D’abord, le chef conservateur sait que démarrer tous ces projets avant mars est « techniquement » possible, mais réalistement impossible.
Il y a de l’ouverture pour des pipelines, mais actuellement, il n’y a pas de projets prêts à démarrer, pas d’entente avec les Autochtones et pas d’unanimité entre les provinces. Le GNL a certainement bonne réputation actuellement, mais là aussi, les projets sont inexistants. Finalement, pour l’autoroute vers le « cercle de feu », les discussions avec les Premières Nations se poursuivent, mais elles sont complexes.
Ensuite, ces projets sont tous en territoire conservateur. À la dernière élection, Pierre Poilievre est passé à une vingtaine de comtés de la victoire. Son discours sur les besoins de la classe moyenne et sur le coût de la vie a fait mouche et a permis à son parti d’obtenir le plus grand nombre de votes de son histoire. Ceux qu’il lui manque viendront certainement de l’insatisfaction à l’égard du gouvernement libéral dans des secteurs clés : Colombie-Britannique (GNL), Ouest (pipelines) et Ontario (pipeline et autoroute).
L’ultimatum de Pierre Poilievre ne peut être atteint, mais si, par miracle, cela se produit, il pourra toujours s’approprier une partie de leur réalisation, provenant de la pression qu’il met sur le gouvernement, et grappiller des votes dans des secteurs «payants».
Un projet de loi symbolique
La troisième partie du plan est tout aussi démonstrative de la qualité de la stratégie du chef conservateur. Il a promis, au retour de la Chambre qui sera aussi le sien, le dépôt d’un projet de loi sur la « souveraineté canadienne » qui reprendra de nombreux éléments de son programme électoral. À travers l’abolition de lois contraignantes en matière de développement d’hydrocarbures et de la norme de véhicules électriques, les mesures fiscales pour favoriser l’investissement privé ou les mesures pour augmenter la construction de logements, le chef conservateur va encastrer dans un projet de loi ses propositions pour répondre aux tarifs de Donald Trump. On ne le reprendra plus à donner l’impression de ne pas s’attaquer à cet enjeu et il pourra passer l’automne à inciter ses adversaires à adopter celui-ci pour régler les enjeux tarifaires.
Il est de retour!
Le chef conservateur est un batailleur qui a toujours eu le talent de comprendre son électorat, de communiquer des messages clairs et de définir ses adversaires. Lors de la dernière élection, il a notamment été battu par une coalition pro-Carney basée sur l’expertise du chef libéral, sa prétention de pouvoir s’entendre avec Donald Trump et la vitesse à laquelle tout cela s’est déroulé. Ayant maintenant le temps de définir Mark Carney et une entente avec nos voisins n’étant toujours pas conclue, le chef conservateur se positionne sur la seule portion que le gouvernement canadien contrôle : son économie, ses projets et ses ressources. Un choix judicieux qui place Pierre Poilievre en position de force pour les débats des prochains mois.
Après le choc de la défaite, Pierre Poilievre a repris du poil de la bête. S’il s’entoure d’une équipe plus forte et trouve un ton coriace, mais respectueux, il sera très difficile de l’empêcher d’atteindre son objectif de diriger le gouvernement canadien. La dernière défaite n’était peut-être que partie remise.
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