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C’est épatant, à maints niveaux, ce silence radio de plusieurs quant au mot en «F».
Petit quiz, d’emblée: comment qualifie-t-on, d’ordinaire, un individu commettant des vols? Des agressions? Des meurtres?
Si vous avez répondu, respectivement, «voleur», «agresseur» et «meurtrier», vous remportez l’ensemble des morceaux de robots. Bravo.
D’autres, plus faciles: quel qualificatif est-il applicable à un politicien adoptant, systématiquement, des mesures progressiste ? Un progressiste.
Des politiques conservatrices? Un conservateur.
Des décrets fascisants ? Un… fasciste.
Simple de même.
Bien entendu, le mot est lourd de signification, et il se doit d’être employé avec minutie et circonspection. Reste que, cela dit, c’est épatant, à maints niveaux, ce silence radio de plusieurs quant au mot en «F». Comme si, en fin de compte, ce qui se passait actuellement aux É.-U., côté démocratie et État de droit, n’avait rien de si inquiétant.
«Bah, Donald, c’est Donald», boutade fallacieuse aux allures d’arguments balancée, ad nauseam, par tout sympathisant trumpiste inavoué. Épatant, disais-je donc, cette capacité qu’on plusieurs à excuser la bête, réduisant celle-ci à un phénomène-spectacle, sans plus. Une manière, on le comprend aisément, d’accorder à celle-ci une bénédiction tacite, sinon expresse, pour partie ou ensemble de l’œuvre.
Dans une entrevue récente, Christian Dufour s’exclame: «Trump est un show… c’est quelqu’un qui a un passé d’entertainment, de divertissement. Et la vraie question, au fond, se résume ainsi : est-ce qu’il est vraiment dangereux? Moi je n’aime pas ça parler de fascisme et ces affaires-là. C’est un refus d’analyser. Au Québec, je ne veux pas être condescendant, mais il n’y a pas beaucoup d’analystes politiques qui ne font pas de l’analyse, mais de la morale.»
M’interpellant ensuite à voix haute: «Frédéric Bérard, arrête donc de faire de la morale, si tu veux comprendre ce qui se passe actuellement !»
Intéressant.
Dénoncer le fascisme ambiant serait donc devenu, merci à l’époque, un achalant exercice moraliste dénué d’empirisme. Un réflexe handicapant l’analyse dont seraient capables, il va de soi, les intellectuels affranchis de tout biais idéologique, tel Dufour.
Pourtant, les faits sont têtus, dixit Lénine. Et multiples. Du moins pour ceux qui daignent faire leur constat.
C’est d’ailleurs le cas de Jason Stanley, expert des régimes autoritaires et auteur de sept bouquins sur le fascisme, dont How Fascism Works : The Politics of Us and Them (2018) et Erasing History: How Fascists Rewrite the Past to Control the Future (2024). Professeur de philosophie à Yale depuis 2013, il vient de quitter son poste afin d’immigrer au Canada, invoquant que l’Amérique de Trump est maintenant «plutôt bien coincée dans les griffes du fascisme.»
Sûrement un moralisateur incapable de comprendre ce qui se passe actuellement, lui aussi.
Idem pour le Dr Brian Hughes, directeur associé du Polarization and Extremism Research and Innovation Lab à American University, qui accuse Trump d’imiter les Hitler et Mussolini. Hughes dénonce, entre autres choses, les « mesures visant les ennemis politiques de Trump, non seulement par les mécanismes légaux, mais aussi par l’entremise de violence et une myriade d’autres exemples qui nous renvoient directement au miroir du fascisme du 20e siècle. »
Même chose pour Zohran Mamdani, candidat démocrate à la mairie de New York, lequel promet de tout faire en son pouvoir «afin de rejeter le fascisme de Trump», notamment« stopper les déportations du ICE.».
Réflexe similaire de la part du juge en chef de la Cour suprême américaine, John Roberts, pourtant allié informel de plusieurs mesures trumpistes : «L’État de droit est en danger, aux États-Unis.»
S’il y en a un qui doit être au courant, c’est bien lui.
Voici enfin, en bonus et en rafale, un palmarès (malheureusement) non exhaustif de ce qui pourrait, voire devrait, entrer dans la case «politique fascisante», sauce Trump:
Moralisateur, dénoncer le fascisme? Possible. Mais on le préférera à sa complicité pendant les faits.