Chroniques

«ICE, ICE baby»

Qu'est-ce qui distingue un État policier d’un État de droit?

Publié

(The Associated Press)

Ce qui distingue un État policier d’un État de droit? D’abord, la protection contre les arrestations, détentions, fouilles, perquisitions et saisies arbitraires et abusives. Ensuite, le droit d’être informé des motifs de son arrestation, et d’être assisté d’un avocat. Enfin, celui de faire contrôler, par le pouvoir judiciaire, la légalité de sa détention, le cas échéant. Pour l’essentiel, pas mal ça.

Des trucs assez rudimentaires, donc, pris pour acquis depuis belle lurette, dans nos sociétés de droit. Au point où on ne les voit plus, on ne les remarque plus.

Jusqu’à tout récemment. L’arrivée de Donald 2.0., bien entendu. Après quelques 23 ans d’enseignement universitaire, il faut maintenant, en classe, cogiter sur ces jadis droits acquis, déguisés aujourd’hui en vulgaires tapis sur lesquels les pouvoirs politiques, et policiers, s’essuient les pieds avec arrogance assumée.

Et s’il est vrai qu’un poisson pourrit initialement par la tête, nous voilà servis. Parce que les coups de gueule trumpistes, face à la légitimité des garanties en matière pénale, se démarquent simultanément par leur fréquence, ignorance et violence.

 Le dernier en lice? Celui de Kristi Noem, responsable du Secrétariat à la Sécurité intérieure, et donc de l’expulsion des dix millions (et plus) d’expulsions promises par Donald :

— Qu’est-ce que l’habeas corpus, madame la secrétaire d’État ?

— C’est le droit constitutionnel du président d’expulser les gens des États-Unis et de suspendre leurs droits.

Euh… non.

Plutôt le contraire, en fait.

Et pas d’hier, pour tout dire. On parle, tenez-vous bien, du plus vieux droit fondamental existant sur cette terre. Depuis la Grande charte, communément appelée Magna Carta, adoptée en… 1215.

Et pourquoi? Pour limiter l’arbitraire royal, lequel pouvait foutre en prison, pour cause de peccadille ou simple soupçon paranoïde, n’importe quel quidam. C’est ainsi que tout régime d’État de droit aura, au fil du temps, consacré la pratique du contrôle judiciaire de la détention. Pour éviter les abus, les délires et les dérapes, et préserver la démocratie, aussi. Parce que rien de plus délétère et toxique, pour celle-ci, que de permettre à un dirigeant d’emprisonner ses opposants et dissidents.

Les propos comme ceux de Noem, donc, jumelés aux postures trumpistes classiques du refus de la règle de droit, font ainsi que le reste pourrit à une spectaculaire vitesse, s’écroule sans ambages.

Fort d’un mandat sans limite et jouissant d’un budget annuel avoisinant les 10 milliards, le ICE (Immigration and Customs Enforcement) se gâte maintenant au quotidien, opérant dans un arbitraire digne du procès de Kafka. La totale. Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, disait Acton. Avec de spectaculaires conséquences.

Comme l’histoire d’un gars œuvrant paisiblement sur un chantier de construction, et ayant pour seul défaut d’être un peu trop foncé au goût des macaques venus l’arrêter, prétextant, à tort, que les pièces confirmant sa citoyenneté se voulaient fausses.

Ou celle de cette actrice canadienne, Jasmine Mooney, interceptée par le ICE pour une (banale) formalité de visa de travail, pourtant délivré par son employeur. Détenue pendant 11 jours, elle explique avoir dû dormir sur une natte, sans couverture ou oreiller, « enveloppée dans du papier aluminium comme un cadavre », afin de combattre le froid. « Je n’ai jamais rien vu d’aussi inhumain de ma vie ». No shit.

Ou encore cette voiture suivie clandestinement par le ICE, sans identification, avec l’idée d’arrêter Ondine Galvez Sniffin, un immigrant du Guatemala sans dossier criminel et sur le point d’être naturalisé, accompagné de sa conjointe. Étant convaincus d’une erreur sur la personne, ils appellent alors l’avocat de la famille. Trop peu, trop tard. D’une magnifique violence, les agents fracassent les vitres du char, lesquelles volent en éclat, et ramassent un bougre parfaitement stupéfait.

Deux dernières, pour le dessert : le ICE qui déporte une Cubaine d’origine, la séparant ainsi indéfiniment de son enfant âgé… d’un an. Idem pour une Hondurienne, cette fois mère d’une petite fille de… deux ans. Aucune des deux n’aura pu, avant leur déportation, consulter leur avocat respectif. (https://globalnews.ca/news/11150847/ice-us-deportations-donald-trump/)

Ces illustrations, on le saisit aisément, ne relèvent pas de l’anecdote. Plutôt d’un système huilé, méchant et sans considération pour de quelconques droits fondamentaux. Comme l’idée, apparemment devenue modus operandi, de squatter les palais de justice afin d’envoyer au panier le premier venu, et au diable ses droits fondamentaux.

Une devinette, en conclusion, afin de finir (en beauté) cette chronique pleine d’allégresse:

— Quelle différence entre le ICE et la Gestapo ?

— La Gestapo, elle, demandait les papiers.