Nouvel épisode de la saga Trump versus la science: il sera maintenant interdit aux étudiants dits étrangers de fréquenter l’Université Harvard, sans aucun doute la plus célèbre des institutions américaines de haut savoir.
Quelques notables parmi ses anciens: John et Robert F. Kennedy, Michelle et Barack Obama, Bill Gates, Ruth Ginsburg, Noam Chomsky, Theodore Rosevelt, Joseph Stiglitz, Bob Dylan, Rivers Cuomo, Linda Greenhouse, Ban Ki-moon et Malala Yousafzai.
Pas tout à fait la définition d’un ramassis de pieds de céleri, disons. Ce qui, bien entendu, n’allait pas empêcher Donald de faire son… Donald: «Harvard est une blague, elle enseigne la haine et la stupidité». Est-ce pourquoi le président vient justement de tenter, sans succès, d’y faire inscrire son fils Barron?
Donc, la raison de la soudaine interdiction? Le refus allégué de l’université de transmettre les données personnelles (et confidentielles) desdits étudiants à Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, mais renommée pour d’autres faits d’armes: se méprendre publiquement sur le droit fondamental à l’habeas corpus, se prendre en selfie devant des prisonniers (illégalement détenus, pour plusieurs) devant une prison salvadorienne, lancer l’idée d’une télé-réalité où des immigrants pourraient courir la chance d’obtenir la citoyenneté américaine, et se vanter d’avoir assassiné, à coup de fusil .12, son chien de 14 mois.
À voir aussi: Trump c. Harvard: pourquoi le président des États-Unis s'en prend-il à cette célèbre université?
Une allumée et sympathique personne, en d’autres termes.
Peut-être une bonne idée, quand on y pense, de refuser de lui refiler des centaines de milliers de données perso…
Outre ce qui précède, la dernière fronde trumpiste s’inscrit dans un contexte large et alarmant. Celui où on s’attaque, sans gêne ni ambages, au savoir lui-même. À son indépendance. À l’effervescence scientifique. À ses facultés de dissidence, aussi.
Parce que qui de mieux que l’université, preuves, rapports et études à l’appui, pour témoigner que le roi est (parfaitement) nu? Parlez-en à quiconque au pouvoir lors de la Guerre du Vietnam, de l’invasion de l’Irak ou au plus fort de la lutte contre la ségrégation raciale. Sans les universités et ses campus, il est beaucoup plus ardu de remettre en question l’ordre établi et ses mensonges ou injustices.
On comprendra donc que ce qui se déroule présentement n’a rien d’anodin ou de fortuit. Il s’agit plutôt d’une machination calculée, d’un jalon supplémentaire vers le renversement d’une démocratie au profit d’un régime quotidiennement davantage fascisant.
On se souvient, notamment, des arrestations illégales d’étudiants ayant participé à des manifestations anti-génocides, et les menaces trumpistes de retirer le financement fédéral à quiconque osant défier ses directives, c’est-à-dire une forme de prise d’otage sur le contenu des cours et les orientations de recherche, les embauches de profs et chercheurs, et la hache à même les politiques institutionnelles jugées «wokes».
Pour l’instant, la privilégiée Harvard tient le coup, forte d’un fonds de dotation de quelque 53 milliards de dollars, allant même jusqu’à attaquer Washington devant les tribunaux. Mais qu’en est-il des institutions moins richissimes?
Si l’adage dit vrai, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune censure pire que l’autocensure, ceci vaut très certainement pour le domaine éducationnel.
On sait notamment qu’une conférence de la docteure québécoise Joanne Liu s’est vue annulée par l’Université de New York, pourtant son alma mater, du fait du sujet de ladite conférence : le génocide à Gaza. Idéal, bien entendu, pour froisser Donald et l’amener à pénaliser, du moins financièrement, l’institution.
Autre preuve, par l’absurde, celle-là, de la nécessité de l’indépendance et objectivité du savoir: l’Oklahoma vient d’annoncer que la farfelue théorie selon laquelle Trump se serait fait voler, par une fantastique machination du diable, l’élection de 2020, sera prochainement enseignée dans ses high schools. Un pas que ne franchiront jamais les universités américaines? Les plus sérieuses et nanties, probablement. Mais les autres? En cette ère de folie institutionnalisée, allez savoir.
Bref, à suivre. En attendant? Conservons en tête ces mots d’Abraham Lincoln, prononcés devant le Congrès, et paraphrasant ceux d’un autre grand, Victor Hugo:
«Si vous croyez que l’éducation coûte cher, essayer donc l’ignorance, pour voir.»
Surtout, aurait-il pu ajouter, quand cette même ignorance constitue le socle d’une stratégie de prise d’otage de la démocratie.
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