L’affaire était à prévoir, voire à craindre: l’assassinat de Charlie Kirk, instrumentalisé à dessein par la secte MAGA, a déjà pour conséquence d’exacerber encore davantage, si une telle chose est possible, la polarisation ambiante.
Tel d’ordinaire, se trouve au rang des victimes les faits, autrement têtus, maintenant facultatifs. Quiconque aura diffusé les vidéos de Kirk l’aura appris à ses dépens, les accusations de «désinformation» ou de «prendre les propos hors contexte» fusant de toute part. Comme s’il existait au final, un quelconque contexte refusant l’avortement à une enfant de 10 ans violée, comme l’argumentait l’influenceur d’extrême droite.
Autres bijoux: les études démontrant que 93 % des crimes extrémistes aux USA proviennent de l’extrême droite. Rien à faire, là aussi, afin de convaincre la meute, celle-ci préférant la version Donald, lequel ira d’ailleurs jusqu’à retirer les études maudites du site du ministère de la Justice.
Been there, done that, plaideront d’aucuns, l’expérience de la pandémie nous ayant convaincus que les faits et le rationnel ont depuis déserté l’espace public, sitôt remplacé par le dogme, la frime et l’anti-science.
Yes indeed.
Reste, néanmoins, qu’une corde supplémentaire vient de s’ajouter à l’arc de la désagrégation sociale: celle du mensonge-violent.
Mensonge-violent? Oui. Dans le sens de manipuler une frange de l’opinion publique dans l’optique, peu subtile, de lancer les chiens contre l’homme de paille ainsi désigné par le Boss.
L’exemple des derniers jours est, pour le moins, probant. Alors que l’identité de l’assassin de Kirk se voulait encore inconnue, Donald pointa, sans preuve ni hésitation, le camp de «la gauche radicale».
Opinion à voir aussi | «La liberté d'expression n'existe plus aux États-Unis»
S’ensuivit, sans surprise, une battue sauce réseaux sociaux, où sont maintenant confectionnées diverses listes d’ennemis à abattre. Leur délit ? S’être «réjouit» de la mort de Kirk ou, plus simplement encore, quelconques accointances avec ladite «gauche radicale». Et comment définir cette dernière? Pratique : tout ce qui se veut en marge du narratif dominant.
Ainsi, on a pu lire sous la plume du chroniqueur Luc Laliberté qu’après avoir dénaturé l’étiquette «woke», les MAGAS tentent leur chance avec «gauche radicale». S’ils connaissent un aussi grand succès qu’avec «woke», tout ce qui sera en désaccord avec leur vision deviendra «radical».
C’est ainsi que nombre de profs universitaires américains se retrouvent aujourd’hui fichés, sinon congédiés, pour avoir osé exprimer leur dissidence quant à l’acceptabilité ou moralité de l’agenda idéologique de Kirk.
Plaidant d’abondant, Trump poursuivra son opération huile-sur-le-feu en désignant les Antifas comme groupe terroriste. Question de même : si t’es un anti-anti-fasciste, qui es-tu, au fait? Prends tout ton temps.
Ceci s’inscrit, bien entendu, dans le contexte déjà éprouvé d’une liberté d’expression à géométrie variable, comme en témoigne la fatwa envers les campus universitaires jugés trop wokes, idem pour nombre de médias, Jimmy Kimmel figurant au rang de plus récente victime.
La «gauche radicale», donc, comme nouvel ennemi à abattre. Au figuré, d’abord. Au propre ? À voir. Mais un simple œil jeté sur les réseaux sociaux, ceux américains comme ceux d’ici, laisse entrevoir le pire. Des photos circulent, à l’instar de listes. On souhaite, copiant les tactiques trumpistes, faire congédier des profs, faussement accusés d’enseigner la violence aux cohortes étudiantes.
«Continuer à exposer ces vermines», de clamer l’un. «Toi, mon gros tabarnac, on va se recroiser», de lancer l’autre, plus éloquent. «La prochaine fois que t’iras à Guantanamo, ce ne sera pas en touriste.» Le plus hallucinant?
Que ces appels à la haine, sinon à l’agression, proviennent maintenant de visages et lieux de travail affichés.
Décomplexion complète.
Un point de bascule, donc.
La tentation est forte, pas de doute, de fermer sa gueule, de commenter sur l’autre. Kirby Dach et le deuxième trio, par exemple. Et on peut comprendre. Mourir pour des idées ? De mort lente, comme chantait Brassens.
Nuance, par contre.
Trois, en fait.
Un quizz, d’abord: qu’il y a-t-il de pire que la censure? L’auto (censure).
Ensuite, il n’est pas question ici d’idées au sens ordinaire, mais bien de valeurs cardinales. Celles qui assurent les fondements de nos sociétés démocratiques, justes et humanistes. Non négociables.
Camus, enfin: le courage, c’est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort.
On s’en souhaite une bonne dose, les amis.
Pour recevoir toutes les chroniques de Me Frédéric Bérard, abonnez-vous à notre infolettre, Les débatteurs du samedi.

