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La rentrée sans cellulaire: ça se passe comment?

«C’est terminé, les petits messages à papa ou maman sur l’heure du midi ou entre les cours.»

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(Banque d'images Envato)

Depuis une semaine, les élèves du secondaire sont de retour sur les bancs d’école… sans cellulaire. Le nouveau règlement a fait des vagues: plusieurs l’encensent, mais d’autres sont sceptiques. Comment ça se passe, en réalité?

Sur les réseaux sociaux, la question divise, mais surtout, elle fait émerger toutes sortes de commentaires, de témoignages et d’anecdotes. Plus de 300 parents, de partout au Québec, m’ont répondu.

Constat général? Les jeunes se parlent davantage. «Ils sont moins zombies» et «ils sont moins scotchés à leur écran», m’écrivent certains parents, soulagés par la nouvelle mesure.

Audrey, de Granby, mère de deux adolescents de 12 et 14 ans qui fréquentent une école privée, est ravie de « les voir jaser dehors ». « Je me demande si les parents sont plus anxieux que les enfants devant cette nouvelle règle, dit-elle. Pour ma part, je n’ai aucun problème à communiquer avec le secrétariat s’il y a un souci ».

Plusieurs parlent du rôle des adjointes et secrétaires qui sera appelé à reprendre du gallon. Les personnes dans ces postes-clés (re)deviennent effectivement la principale voie de communication entre les parents et leurs enfants.

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Profs sans cellulaire

Quelques enseignantes me signalent que leurs élèves se conforment « avec pas mal de facilité » à l’interdiction de cellulaires à l’école. Certains choisissent de le laisser à la maison ou au repos, dans le casier verrouillé.

Karèle, professeure en arts au premier cycle, à Blainville, raconte que « l’ambiance de classe était positive, chacun semble investi et enthousiaste » dans les activités.

Elle a d’ailleurs choisi, elle aussi, de mettre de côté son cellulaire, pour ses quatre périodes de travail. « Ça permet à tout le monde de se déconnecter complètement et de vivre le moment présent en classe, dit-elle. Et honnêtement, ça fait un bien fou de créer cet espace sans distraction, entièrement consacré aux échanges et à la créativité. »

Combien de professeurs font le même choix ? Et si l’enseignant continue à l’utiliser, en classe, devant les étudiants, quel message cela envoie-t-il ?

Sevrage, jeux de cartes et disparités

Une autre prof parle du « sevrage » de ses élèves : « Certains de mes élèves de secondaire 1 tapotent sur leur calculatrice pendant les cours et les pauses, raconte Marilou, enseignante au Saguenay. D’autres montrent clairement des signes de sevrage. »

Elle insiste sur le fait que « plusieurs jouent aux cartes et jasent entre eux ». « C’est beau à voir », lance-t-elle.

Puisque les moyens ne sont pas les mêmes d’une école à l’autre, surtout entre le public et le privé, l’accès aux technologies est variable. Privés de cellulaires, les élèves d’écoles moins bien équipées seront-ils pénalisés, à long terme ?

« J’ai bien hâte de voir la suite et s’il y a des différences entre les écoles du secteur public et celles du secteur privé, dit Catherine. Par exemple, l’an passé, en classe, mon fils utilisait régulièrement son cellulaire en classe parce qu’ils n’ont pas d’ordinateurs ni de tablettes. Eh bien, cela réduit les possibilités de recherches et d’utilisation d’applications ! »

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Horloges, horaires et paiements

Conséquence positive de l’interdiction de téléphones : les jeunes vont davantage dehors. Ils investissent plus la bibliothèque et s’inscrivent aux activités. Évidemment, certains profitent de leur petite tournée extérieure pour ressortir leur cellulaire. D’autres le font en cachette, directement dans leur casier.

« J’ai quelques élèves qui sont frustrés, mais en tant que professeur, on voit déjà une différence, confie Jade, professeure à Saint-Jean-sur-Richelieu dans une école secondaire publique. Je trouve qu’ils me répondent davantage et qu’ils sont plus engagés ! »

Parmi les petits inconvénients de ne plus avoir de cellulaire, les parents mentionnent les enjeux pour connaître l’heure (il faudra prévoir un retour des horloges et pour les jeunes, des montres — mais pas de montres intelligentes, aussi défendues), pour maîtriser leurs horaires (de cours ou de transport), pour payer leur lunch à la cafétéria (plusieurs le faisaient via leur appareil mobile, connaissant peu ou pas du tout la carte de guichet automatique) ou encore, pour prendre des photos entre amis.

Plusieurs parents se désolent que les enfants ne puissent plus écouter de musique. Faudra-t-il ramener les Walkmans ?

Parents anxieux, enfants anxieux

Ce qui se dégage des commentaires et des témoignages de parents, ce sont aussi leurs propres craintes : c’est terminé, les petits messages à papa ou maman sur l’heure du midi ou entre les cours.

« Je suis stressée, dit Julie, mère d’une fille en secondaire 3. On s’écrivait toujours durant la journée. Si elle ne se sentait pas bien, elle m’écrivait. C’est difficile pour moi, la mère poule… »

Il y a certainement un apprentissage à faire, que ce soit chez les parents inquiets ou chez les adolescents anxieux. On le sait, une large proportion de jeunes du secondaire souffre d’anxiété. Certains sont diagnostiqués pour des troubles, d’autres se retrouvent seuls, isolés.

Sans cellulaire, la vie à l’école devient plus difficile, plus lourde. Il n’y a plus de refuge possible.

« J’ai une grande anxieuse, explique Cynthia, résidante de Drummondville et maman de deux filles de 12 et 16 ans. Elle fréquente une nouvelle école pour son secondaire 5 et elle ne connaissait personne en plus. »

De nouveaux amis

Est-ce que le fait d’être privé de cellulaire permet de socialiser plus facilement ? Oui, répondent une majorité de parents. Un mur tombe.

« Mon fils de 13 ans est en secondaire 2 et il m’écrivait tous les midis l’an passé, dit Guylaine de Pointe-aux-Trembles. J’appréhendais une anxiété supplémentaire et finalement, il ne m’a même pas écrit pendant le retour en autobus à la fin de journée. Ses dîners sont plus agréables, je pense. »

Émilie, enseignante à Sorel-Tracy en secondaire 5, cite une de ses élèves : « Elle m’a dit : “L’an passé, j’étais seule. Le fait de ne pas avoir de cellulaire m’a fait rencontrer deux amies en deux jours. »

Le fils d’Isabelle, en secondaire 2 dans les Laurentides, a déjà des amis… mais il les trouve plus disponibles. « Mon fils n’a pas encore de cellulaire, glisse-t-elle. Il est très heureux de ce changement, car il dit qu’il pourra enfin passer du temps de qualité avec ses amis plutôt que de les voir sur leur cellulaire tout le temps. »

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