Comme promis à la fin de ma dernière chronique, voici des détails sur la nouvelle approche qui s’est imposée dans le monde de la gestion de portefeuille. Ni totalement passive comme les indices traditionnels, ni vraiment active comme la sélection manuelle d’actions par un gestionnaire : c’est la gestion factorielle. Elle repose sur une idée simple, mais puissante: au lieu d’essayer de deviner quelles entreprises battront le marché, on cherche à comprendre pourquoi certaines y parviennent — autrement dit, quelles sont les caractéristiques communes qui expliquent les différences de rendement.
Les racines de la performance
Les chercheurs en finance, comme Eugene Fama et Kenneth French, ont démontré que les marchés ne sont pas faits que de hasard. Certains types d’entreprises, partageant des attributs précis — qu’on appelle des facteurs — tendent à offrir de meilleurs rendements à long terme ou à mieux résister lors des tempêtes boursières.
Ces facteurs, ce sont les véritables moteurs invisibles du rendement. Certains sont offensifs, cherchant la performance absolue. D’autres sont plus défensifs, visant à réduire les soubresauts. Ensemble, ils forment une sorte d’ADN des marchés financiers.
Prenons l’exemple des actions dites «de valeur». Ce sont celles qu’on juge sous-évaluées par rapport à leurs bénéfices, à leurs flux de trésorerie ou à leur valeur comptable. Les investisseurs qui les privilégient parient sur le retour à la moyenne : un jour ou l’autre, le marché finira par reconnaître leur vraie valeur. C’est une approche plus lente, plus patiente, mais qui a historiquement récompensé la discipline.
À l’opposé, les titres de «croissance» incarnent l’enthousiasme. Ce sont les entreprises qui augmentent rapidement leurs revenus et leurs profits — souvent dans la technologie, les soins de santé ou l’innovation. Ces sociétés séduisent les investisseurs qui ont une tolérance plus élevée au risque et un horizon long. Elles peuvent être volatiles, mais leur potentiel est énorme. Le marché de 2025 carbure à la «croissance».
Les effets d’élan et la stabilité tranquille
Entre ces deux pôles, d’autres forces jouent leur rôle. Le momentum, par exemple, repose sur un constat presque comportemental : les titres qui ont bien performé récemment ont tendance à continuer sur leur lancée, au moins un certain temps. C’est l’effet de troupeau, ou si l’on veut, la force de l’élan. Ceux qui investissent selon ce facteur surfent sur les tendances, mais doivent savoir descendre de la vague avant qu’elle ne se retourne.
À l’inverse, certaines stratégies privilégient les titres plus calmes, moins sensibles aux tempêtes : c’est le facteur faible volatilité. Contre toute logique apparente, ces actions stables ont souvent mieux performé, à long terme, que les plus nerveuses. Ce facteur séduit particulièrement les investisseurs prudents ou proches de la retraite, qui préfèrent dormir tranquilles plutôt que de vibrer au rythme des marchés.
Un autre facteur bien documenté est celui de la taille. Les petites capitalisations boursières, moins suivies par les analystes et souvent plus agiles, ont historiquement généré un surplus de rendement. Mais elles viennent aussi avec plus de risque. Miser sur les « small caps », c’est accepter que la route soit cahoteuse, mais que la destination puisse être plus fructueuse.
Et puis, il y a le facteur qualité, souvent négligé, mais redoutablement efficace.Il privilégie les entreprises bien gérées, peu endettées, rentables et disciplinées. Des entreprises capables de traverser les cycles économiques sans trop de dégâts. Ce facteur attire les investisseurs en quête de stabilité à long terme, ceux qui préfèrent une croissance durable à un feu de paille. C’est un de mes préférés.
Composer avec les cycles
Retenons surtout qu’aucun facteur ne domine tout le temps. La valeur triomphe souvent après les bulles spéculatives, la croissance s’impose dans les périodes d’innovation, le momentum brille quand les marchés sont directionnels, et la faible volatilité rassure lorsque tout vacille. La beauté de la gestion factorielle, c’est qu’elle permet de combiner ces approches pour bâtir des portefeuilles équilibrés, un peu comme une équipe de hockey qui sait aligner à la fois des marqueurs étoiles et des défenseurs solides.
Cette approche multifactorielle cherche l’équilibre : des rendements réguliers, une volatilité contenue et une diversification plus profonde que celle d’un simple indice.
Sur le marché canadien, les FNB à gestion factorielle, souvent appelés Smart Beta, ont explosé ces dernières années. Des sociétés comme BMO, iShares, Invesco, Vanguard, Fidelity ou Mackenzie en proposent désormais une gamme complète. Ce succès n’est pas qu’une mode : il répond à un besoin réel.
Les investisseurs, qu’ils soient professionnels ou particuliers, veulent faire mieux que les indices, surtout lorsqu’ils se replient… sans pour autant payer des frais trop élevés. Les FNB factoriels offrent ce compromis séduisant : une approche systématique, transparente et disciplinée, inspirée de décennies de recherche universitaire, mais appliquée à faible coût.
La pandémie et les marchés volatils des années 2020 ont aussi rappelé une vérité fondamentale : la gestion du risque compte autant que la recherche de rendement. Dans ce contexte, les stratégies axées sur la qualité ou la faible volatilité ont été redécouvertes comme de précieuses bouées de sauvetage.
Et pour les firmes indépendantes, les plateformes numériques ou les conseillers en gestion de patrimoine, les portefeuilles factoriels offrent une façon élégante de se démarquer : ils permettent de personnaliser le profil d’un portefeuille selon la tolérance au risque du client ou ses objectifs de croissance.
Des outils, pas des miracles
Bien sûr, tout cela n’est pas une recette magique. Les facteurs peuvent eux aussi connaître de longues périodes de sous-performance. Le facteur valeur, par exemple, a vécu presque une décennie de disgrâce avant de revenir en force en 2022 et 2023.Les modèles quantitatifs se basent sur des données historiques, et rien ne garantit que les relations passées se maintiendront toujours. Certains produits, d’ailleurs, sont plus complexes qu’ils n’en ont l’air : il faut lire les méthodologies pour bien comprendre comment les titres sont choisis et pondérés. Et si les frais de gestion restent faibles comparés à la gestion active, ils demeurent un peu plus élevés que ceux des simples FNB indiciels.
En somme, la gestion factorielle trace une troisième voie. Elle n’essaie pas de battre le marché par intuition ni de le copier aveuglément. Elle tente de le décoder. Elle permet à l’investisseur d’être plus conscient des moteurs de son rendement, de choisir les ingrédients de sa performance selon sa propre personnalité : un peu de valeur pour la discipline, un peu de croissance pour l’élan, une pincée de qualité pour la stabilité.
Au fond, investir de manière factorielle, c’est un peu comme apprendre à cuisiner soi-même plutôt que d’acheter des plats cuisinés tout faits. On comprend enfin ce qu’il y a dans l’assiette, on dose selon son goût, et on devient moins dépendant des modes du moment.
Les marchés, eux, continueront de changer, d’étonner et de décevoir. Mais les facteurs, ces forces invisibles et persistantes, continueront de façonner les mouvements de la bourse. Encore faut-il savoir les remarquer.
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