Depuis des décennies, l’imaginaire collectif associe la richesse durable à deux piliers: l’immobilier et les actions en bourse. Acheter un toit, c’est presque un rite de passage. Investir dans les actions directement ou par l’entremise des fonds et FNB, c’est la voie proposée par les conseillers en gestion de patrimoine et les planificateurs financiers. Pourtant, les chiffres du XXIᵉ siècle racontent une histoire différente, et elle risque de surprendre bien des investisseurs.
Selon l’analyse de Hanif Bayat, PhD et fondateur de WOWA.ca, publiée dans The Globe and Mail, c’est l’or qui a surclassé à la fois la Bourse canadienne et l’immobilier résidentiel depuis 2001. Avec un taux de croissance annuel composé de 10,3 %, le métal jaune devance le S&P/TSX Composite (7,3 %), le S&P 500 américain (8 %) et même l’immobilier canadien (6 % à 8,6 % selon le rendement locatif inclus).
Autrement dit, l’actif que certains considéraient comme une «relique du moyen âge» a battu de vitesse deux des classes d’actifs préférées des Canadiens.
Pourquoi cette performance?
Pour comprendre, il faut distinguer deux formes d’inflation:
- L’inflation mesurée par l’IPC — L’indice des prix à la consommation (IPC) capte surtout les coûts des biens et services de consommation courante. Entre 2001 et 2025, l’IPC canadien a progressé en moyenne de 2,2 % par an. Une cadence modeste comparée aux actifs financiers.
- L’inflation des actifs — Pendant ce temps, les maisons, les actions et l’or ont pris beaucoup plus de valeur. Pourquoi? Principalement à cause de l’expansion de la masse monétaire. Le Canada, comme plusieurs pays développés, a maintenu des taux d’intérêt bas et multiplié les injections de liquidités. Résultat: beaucoup d’argent a cherché refuge… et les actifs financiers et réels en ont bénéficié.
Or, contrairement à la monnaie, la quantité d’or n’augmente que de 1 % à 2 % par an. Cette rareté relative agit comme une ancre de valeur dans un océan de devises créées par les banques centrales.
L’immobilier: un faux champion sans effet de levier
Dire que l’or surpasse l’immobilier peut paraître hérétique au pays du condo et du bungalow. Mais l’analyse de Bayat repose sur une hypothèse cruciale: pas de levier hypothécaire. Autrement dit, on compare un achat comptant d’une maison à un achat d’or ou d’actions.
Or, dans la vraie vie, peu de Canadiens payent leur maison en argent comptant. L’endettement, en revanche, joue à plein: un ménage qui investit 100 000 $ comme mise de fonds sur une propriété de 500 000 $ et bénéficie d’une hausse de 50 % de la valeur (soit 250 000 $) réalise un rendement spectaculaire sur son capital initial.
L’effet de levier immobilier demeure donc un avantage majeur. Mais en l’absence d’hypothèque, l’or a fait mieux que la brique.
Les actions: la force des dividendes… mais pas assez
Le S&P/TSX Composite, avec ses banques solides et ses minières, a généré environ 7,3 % par an, dividendes réinvestis. Aux États-Unis, le S&P 500 a fait mieux (8 % en dollars canadiens).
Ces rendements sont honorables, mais ils ont été éclipsés par l’or. Pourquoi? Parce que le métal jaune n’a pas besoin de dividendes: sa simple rareté et son rôle de valeur refuge suffisent à attirer les capitaux.
De plus, les périodes de crise — 2008, la pandémie de 2020, ou encore les tensions géopolitiques récentes — ont toutes renforcé l’attrait de l’or. À chaque fois que la confiance envers les marchés ou les gouvernements vacille, l’or s’illumine.
L’or n’est pas qu’un actif financier: il est aussi un actif psychologique. Les devises peuvent être imprimées, les titres d’entreprises peuvent s’effondrer, les maisons peuvent perdre de la valeur si les taux montent. Mais l’or incarne une certitude millénaire: il restera désirable.
Cette perception culturelle et historique, présente en Inde, en Chine comme en Occident, contribue à sa demande continue.
Et le Bitcoin?
Certains feront remarquer que le Bitcoin a pulvérisé tous ces rendements depuis sa création. Bayat le rappelle: la cryptomonnaie, malgré ses performances spectaculaires, est trop récente pour figurer dans l’analyse de long terme. De plus, sa volatilité et son statut encore contesté en tant qu’«actif refuge» limitent les comparaisons directes avec l’or.
Perspectives: l’or encore en hausse?
Si l’or a dominé le passé, qu’en est-il du futur? Plusieurs institutions financières ont récemment publié leurs projections:
1. RBC Capital Markets
- Prévoit un cours autour de 3 722 $ US/oz au quatrième trimestre 2025 (scénario optimiste), une moyenne de 3 789 $ US/oz en 2026, et un pic potentiel à 3 813 $ US/oz d’ici fin 2026. Même dans un scénario prudent, le prix devrait se situer autour de 3 176 $ US/oz fin 2025. (CoinCodex, MarketWatch)
2. Goldman Sachs
- Anticipe que l’or pourrait atteindre 3 700 $ US/oz d’ici la fin de 2025 et même 4 000 $ US/oz à la mi-2026, notamment grâce à la demande solide des banques centrales et aux flux ETF. (Barron’s)
3. Morningstar (analyste Jon Mills) — prévision moins optimiste
- Met en garde: malgré les sommets actuels, une baisse de l’ordre de 38 % sur les cinq prochaines années est possible, ce qui ramènerait le prix aux alentours de 1 820 $ US/oz. (Business Insider)
4. Times of India—perspectives jusqu’en 2030
- Estime que le prix de l’or pourrait grimper entre 4 000 $ et 5 000 $ US/oz, avec une possible montée jusqu’à 8 900 $ US/oz d’ici 2030, porté par l’inflation, les incertitudes économiques et géopolitiques croissantes. (litefinance.org)
Tant que les banques centrales continueront de créer de la monnaie plus vite que la production aurifère ne croît, l’or devrait conserver son rôle de refuge et probablement renforcer son statut d’actif roi du XXIᵉ siècle.
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Conclusion
L’or a longtemps été vu comme un placement défensif, à conserver en petite portion dans un portefeuille. Mais les chiffres de ce siècle lui confèrent un rôle plus ambitieux: celui d’un champion discret, qui surpasse actions et immobilier, sans levier et sans dividende.
À l’heure où les incertitudes économiques s’accumulent — dettes publiques record, tensions géopolitiques, inflation structurelle — il n’est pas étonnant que de plus en plus d’investisseurs et de banques centrales regardent le métal jaune avec des yeux nouveaux.
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