Santé

Voici ce que contient la loi spéciale sur les médecins imposée par la CAQ

Tout savoir sur les détails du projet de loi controversé.

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Des médecins québécois se tiennent debout, la bouche scotchée, en signe de protestation contre le nouveau projet de loi 2, devant l'Assemblée nationale du Québec, à Québec, le mardi 28 octobre 2025. Des médecins québécois se tiennent debout, la bouche scotchée, en signe de protestation contre le nouveau projet de loi 2, devant l'Assemblée nationale du Québec, à Québec, le mardi 28 octobre 2025. (Karoline Boucher / La Presse Canadienne)

La nouvelle loi qui réforme le système de rémunération des médecins suscite une vive controverse et pourrait bientôt être contestée devant les tribunaux par les fédérations de médecins.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirme que cette réforme est nécessaire car le statu quo ne répond pas aux besoins des Québécois et qu'une action «urgente» est nécessaire pour améliorer les services de santé.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

Mais les fédérations affirment que la nouvelle loi s'apparente à une «prison soviétique» pour les médecins, car elle modifie radicalement leur mode de rémunération et impose un contrôle strict et des sanctions pour garantir leur conformité. Certains médecins ont déjà déclaré qu'ils envisageaient de quitter le Québec en conséquence.

Voici ce qu'on sait de cette loi spéciale.

Qu'est-ce que le projet de loi 2?

Le projet de loi 2, Loi visant principalement à instaurer la responsabilité collective quant à l’amélioration de l’accès aux services médicaux et à assurer la continuité de la prestation de ces services, est une loi spéciale qui a été adoptée peu avant 4h du matin samedi à l'Assemblée nationale.

Comment a-t-il été adopté?

Le projet de loi 2 suit en grande partie le cadre défini dans le projet de loi 106, présenté pour la première fois par la Coalition avenir Québec (CAQ) en mai, mais qui n'a pas abouti en raison de la lenteur des négociations avec les fédérations de médecins. Ces dernières s'opposaient farouchement au projet de loi, ce qui a été la principale raison de l'enlisement des négociations entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui représente 10 000 médecins de famille au Québec.

Après avoir rejeté quatre offres de la province, le ministre Dubé a déposé vendredi une loi spéciale connue sous le nom de projet de loi 2.

Afin d'accélérer l'adoption du projet de loi, le gouvernement de la CAQ y est allé d'un bâillon, un outil parlementaire qui permet d'accélérer l'adoption d'un projet de loi en limitant les débats et en imposant un vote.

Le projet de loi de 120 pages a été adopté par 63 voix contre 27, en présence du premier ministre François Legault. Tous les députés de l'opposition présents ont voté contre.

Le projet de loi 2 marque le huitième bâillon du gouvernement Legault à l'Assemblée nationale depuis son arrivée au pouvoir en 2018.

Comment le projet de loi 2 affecte-t-il la rémunération des médecins?

Au lieu de rémunérer les médecins selon un modèle de paiement à l'acte, le projet de loi 2 introduit un nouveau système appelé capitation. Dans le cadre d'un modèle de capitation pour les soins primaires, les médecins seraient rémunérés d'un montant fixe et forfaitaire par patient qui leur est attribué.

Le paiement serait également ajusté à la hausse si un patient présente des risques plus élevés pour sa santé. Les niveaux de vulnérabilité des patients seraient classés en quatre catégories: en bonne santé, affection chronique mineure, affection modérée et affection grave.

Olivier Jacques, professeur adjoint au département de politique, gestion et évaluation de la santé de l'Université de Montréal, estime qu'il s'agit là d'un des aspects positifs du projet de loi, mais que le paiement à la capitation seul ne suffit pas, car il n'incite pas suffisamment les médecins à voir davantage de patients.

Ce qui inquiète les médecins, c'est un autre nouveau mécanisme qui lie 15 % de leur rémunération à des indicateurs de performance. Cet objectif a été ramené de 25% après des réactions négatives.

Selon le projet de loi, ce «supplément collectif» serait versé aux médecins généralistes et aux médecins spécialistes lorsqu'ils atteignent certains objectifs médicaux qui améliorent l'accès aux soins.

Par exemple, l'un des objectifs est que les médecins généralistes acceptent 17,5 millions de rendez-vous par an. Un autre objectif est que 75% des patients qui se présentent aux urgences soient examinés par un médecin dans les 90 minutes suivant leur triage.

Le projet de loi stipule également que 95% des interventions chirurgicales en oncologie doivent être réalisées dans un délai de 56 jours, et que les spécialistes devront effectuer au moins 97 % des interventions chirurgicales dans un délai de 12 mois.

Ces objectifs sont collectifs, peuvent varier selon les régions ou les territoires, et sont entièrement fixés «de manière discrétionnaire par le gouvernement, ce qui n'est pas idéal du point de vue des médecins, car ils risquent de perdre de l'argent et cela ne sera peut-être pas de leur faute si ces objectifs ne sont pas atteints», selon le professeur Oliver Jacques dans une entrevue accordée à CTV News.

Il s'est dit préoccupé par la manière dont la loi, qu'il a qualifiée d'« autoritaire », a été adoptée à la dernière minute.

«Il y a déjà un problème de moral au sein du système public.»
- Olivier Jacques

«Obliger les gens à mettre en œuvre des changements n'est pas nécessairement la meilleure façon de les mettre en œuvre. Et je ne suis pas convaincu que les objectifs de performance soient le meilleur moyen d'améliorer les soins», a-t-il ajouté.

En vertu de la loi, le supplément collectif ne s'appliquerait pas aux médecins âgés de 65 ans et plus.

À quelles sanctions les médecins s'exposent-ils?

Le projet de loi 2 comprend également une section qui interdit aux médecins de se livrer à ce que le gouvernement considère comme des «actions concertées» pour contester les politiques gouvernementales.

Selon le projet de loi, une action concertée entraînerait «l'arrêt, la réduction ou le ralentissement de l'activité professionnelle du médecin» ou ralentirait la formation dans le domaine médical.

Cette disposition met fin aux tactiques de pression, telles que celles utilisées ces dernières semaines par les fédérations de médecins pour s'opposer au nouveau régime salarial, lorsqu'elles ont appelé leurs membres à suspendre l'enseignement aux étudiants en médecine. D'autres exemples pourraient inclure des groupes de médecins quittant le système de santé public pour le système privé ou pour une autre province.

Dans la version anglaise du projet de loi, le gouvernement la définit comme une action menée par deux médecins ou plus et «conforme à une proposition, une suggestion ou une incitation émanant d'un groupe représentatif de médecins». En français, le texte stipule qu'une action concertée est une action menée par «plusieurs médecins», ce qui prête à confusion.

Les médecins peuvent être condamnés à une amende pouvant atteindre 20 000$ par jour d'infraction. Dans le cas d'un groupe, les amendes peuvent atteindre un maximum de 500 000$.

Les amendes sont doublées en cas de récidive.

Certains médecins craignent des représailles sévères pour le simple fait de s'être prononcés contre le projet de loi ou d'avoir encouragé d'autres personnes à le faire.

Le professeur Olivier Jacques a de nouveau utilisé le terme «autoritaire» pour décrire cette nouvelle mesure.

«Il semble que le gouvernement craigne que les médecins partent vers le secteur privé ou vers d'autres provinces, et qu'il ait donc décidé d'imposer des sanctions», a-t-il déploré.

La nouvelle loi donne également au ministre de la Santé le pouvoir de déterminer le nombre d'années d'exercice à retirer du dossier d'un médecin pour avoir participé à une action concertée, «à raison d'un semestre pour chaque jour où la participation se poursuit».

Inspecteurs dans les cabinets médicaux

Le projet de loi 2 confère également au ministre de la Santé des pouvoirs spéciaux lui permettant d'autoriser «toute personne» à agir en tant qu'inspecteur afin de vérifier que les médecins se conforment à la nouvelle loi.

Selon le projet de loi, un inspecteur peut entrer à tout moment dans le cabinet d'un médecin et exiger l'accès à des documents, y compris ceux liés au dossier d'un patient.

Plus précisément, le projet de loi stipule que «nul ne peut refuser de communiquer à l'inspecteur ou à l'enquêteur toute information ou tout document contenu dans le dossier d'une personne assurée».

En outre, un inspecteur ne peut être poursuivi pour tout acte ou omission commis «de bonne foi» dans l'exercice de ses fonctions.

Mardi, plus de 20 médecins se sont rassemblés devant l'Assemblée nationale, la bouche recouverte de ruban adhésif, pour protester contre le projet de loi malgré la menace de représailles. Le débat sur ce projet de loi controversé ne semble pas près de prendre fin, car les fédérations de médecins ont annoncé leur intention de lancer une contestation judiciaire dès mercredi.

Avec des informations provenant de la Presse canadienne

CTV News

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Journaliste

Joe Lofaro

Joe Lofaro

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