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«Ce qu'on peut conclure à partir de notre étude, c'est que trop de contrôle va nuire à la mission.»
Il n'y a pas de désengagement collectif des médecins de famille, conclut une nouvelle étude du Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Leur charge de travail a été transformée par une augmentation de la complexité des cas.
Présentées par la Fondation Claude-Brunet, les données suggèrent que les médecins travaillent assez. Ils consacrent en moyenne 46 à 47 semaines à leur pratique par année et les interruptions de pratique de plus de 90 jours sont rares et en diminution.
Le discours du gouvernement Legault sous-entend que les médecins ne prennent pas assez de patients en charge, puisque 1,5 million de Québécois sont toujours sans médecin de famille.
La loi 2 du ministre de la Santé, Christian Dubé, veut lier la rémunération des médecins à des indicateurs de performance. Cela a suscité un mécontentement généralisé au sein du corps médical. Il s'agit de «contrôler» en se basant «sur des indicateurs de volumes», interprète l'auteur de l'étude, l'économiste et chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Damien Echevin.
«Ce qu'on peut conclure à partir de notre étude, c'est que trop de contrôle va nuire à la mission. On a oublié la complexité, on a oublié la qualité. Des cibles de volume et de quota rigides découragent la prise en charge des cas complexes», a-t-il déclaré, mardi, en point de presse à Montréal pour présenter ses résultats.
«Pour faire plus de volume, il faut passer moins de temps avec le patient et donc, choisir des patients moins complexes», précise-t-il.
À ses côtés, Paul G. Brunet, président-directeur général du Conseil pour la protection des malades, s'est dit inquiet des mesures prévues dans la loi pour suivre l'assiduité des médecins.
«Vous imaginez-vous la surveillance et l'inspection et le monde qu'il va falloir engager dans les bureaux pour suivre et inspecter et s'assurer que la job est faite? Encore d'autres millions qu'on va dépenser et qui ne serviront pas à soigner du monde», a-t-il dénoncé.
Lors d'un breffage technique mardi après-midi, un fonctionnaire au sein du ministère de la Santé a dit que pour l'instant, il n'y aurait pas de nouvelles embauches pour de la surveillance. Le ministère et Santé Québec vont d'abord utiliser les outils à leur disposition, comme les tableaux de bord.
De nombreux médecins affirment qu'ils ne peuvent prendre davantage de patients à leur charge sans des outils et du personnel supplémentaires pour les aider. Les données tendent à leur donner raison.
«Le temps de travail des médecins est contraint par une capacité systémique qui est saturée, et la charge de travail a été transformée par la complexité croissante des besoins, non par un manque d'effort. Puisque le problème est organisationnel et que le temps médical est une ressource saturée, toute politique d'investissement qui ignore cette contrainte fondamentale est vouée à l'échec», peut-on lire dans l'étude.
M. Echevin est clair sur la question: «il n'y a pas de désengagement des médecins au cours des 20 a 30 dernières années au Québec».
Cependant, il est vrai qu'il y a plus de médecins au Québec et moins d'accès si l'on compare avec la moyenne du Canada. Le Québec a 112 omnipraticiens pour 100 000 habitants, contre 108 pour l'ensemble du pays. Il a donc une densité médicale légèrement supérieure à la moyenne nationale.
Lorsqu'on regarde l'accessibilité, le nombre de visites brutes par médecin a baissé de 40 % en près de trois décennies. L'étude mentionne que cela alimente l'idée d'une moindre productivité. Or, M. Echevin rappelle qu'il y a une hausse de la complexité des cas. En mesurant la comorbidité et la charge des soins, l'indice de complexité de la patientèle a augmenté de 35 % entre 1996 et 2022, notamment en raison du vieillissement de la population et de la prévalence accrue des maladies chroniques.
Durant la pandémie de COVID-19, nombreux étaient les médecins qui ont mis les bouchées doubles pour maintenir le réseau de la santé. La crise sanitaire a agi en quelque sorte comme un test pour évaluer l'élasticité du système, explique M. Echevin. Son analyse montre que malgré «une mobilisation sans précédent, l'augmentation maximale de l'effort n'a été que de 5 à 6 % (jours travaillés et visites)». Il en déduit que le système fonctionne déjà à sa capacité maximale et que pour faire des gains dans la prise en charge, il faut réorganiser le travail.
Comme solution, l'accent doit être mis sur la réduction de la paperasse pour arriver à libérer le temps des médecins. «Une réduction du fardeau non clinique libérerait une capacité équivalente à l'ajout de plusieurs centaines de nouveaux médecins», indique l'étude.
On souligne également que d'adopter des modèles de rémunérations mixtes (capitation, salariat et paiement à l'acte) peut améliorer l'accès aux soins. Sauf que contrairement à la loi de M. Dubé (qui propose ce virage dans la rémunération), cela doit valoriser la prise en charge de cas complexes, nuance M. Echevin.