Des drones explosifs ciblant un chef de gang présumé ont tué au moins huit enfants dans un bidonville de la capitale haïtienne et en ont grièvement blessé six autres, ont déclaré lundi à l'Associated Press des proches et des activistes. Ils imputent la responsabilité de l'attaque à la police.
Les explosions ont eu lieu samedi soir à Cité Soleil, contrôlée par Viv Ansanm, une puissante coalition de gangs.
L'un de ses chefs, Jimmy Chérizier, plus connu sous le nom de Barbecue, a juré de venger les attaques, qui ont fait au moins 13 morts, selon les habitants.
«Voici ma fille», a pleuré Claudia Bobrun, 30 ans, en montrant à l'Associated Press une vidéo de sa fille de huit ans gisant dans une mare de sang.
Michelis Florville, 60 ans, a déclaré que l'explosion avait tué deux de ses petits-enfants, âgés de trois et sept ans, et son fils de 32 ans.
Nanouse Mertelia, 37 ans, a pour sa à part déclaré qu'elle était chez elle samedi soir et qu'elle était sortie en courant pour voir ce qui se passait après avoir entendu une explosion. Son fils avait quitté leur domicile quelques minutes plus tôt pour aller chercher à manger.
Elle l'a trouvé par terre, la jambe et le bras arrachés. «Le temps d'arriver à l'hôpital, il était mort», a-t-elle dit.
Une question de responsabilité
Le Réseau national de défense des droits de la personne d'Haïti a accusé la police d'avoir lancé deux drones kamikazes dans le quartier Simon Pelé de Cité Soleil alors que le chef de gang présumé Albert Steevenson, dit Djouma, s'apprêtait à fêter son anniversaire.
Romain Le Cour, directeur de l'observatoire d'Haïti au sein de l'Initiative globale contre la criminalité organisée, a déclaré que l'attaque soulevait «des questions urgentes de responsabilité».
«Quarante-huit heures se sont écoulées depuis l'événement, et les autorités n'ont toujours pas publié de communiqué officiel ni assumé publiquement leur responsabilité. Qui, en fin de compte, assumera la responsabilité de cette attaque: le premier ministre? Le Conseil présidentiel de transition? Des sociétés de sécurité privées? La direction de la Police nationale d'Haïti?» a-t-il demandé.
M. Le Cour a déclaré que ces attaques ne feraient que renforcer le discours antigouvernemental de la coalition des gangs à un moment critique.
«Elles sont également susceptibles d'accroître la méfiance du public envers les institutions de l'État et d'accélérer l'érosion de la légitimité du gouvernement», a-t-il ajouté.
Lionel Lazarre, porte-parole de la Police nationale d'Haïti, n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires.
Selon l'organisation de défense des droits de la personne, trois civils et quatre membres présumés de gangs ont également été tués lors de l'attaque de samedi, et sept autres hommes armés ont été blessés. Parmi les civils tués figurait St-Jean Limonthard, 33 ans.
Drones explosifs sous surveillance
Des activistes ont souligné qu'une opération similaire impliquant des drones explosifs dans le centre-ville de Port-au-Prince avait tué au moins onze civils plus tôt ce mois-ci.
L'organisation de défense des droits de la personne a indiqué que plusieurs membres de gangs avaient été tués lors d'attaques de drones depuis mars.
«Cependant, les drones n'ont pas ciblé de chefs terroristes. Au contraire, ils sont devenus plus à l'aise et de plus en plus arrogants, se déplaçant même ouvertement en convois. Les drones ne doivent pas être sélectifs et doivent également assurer la protection des civils afin d'éviter des dommages collatéraux», a-t-elle indiqué.
Un porte-parole du cabinet du premier ministre haïtien n'a pas pu être joint dans l'immédiat pour commenter.
Une nouvelle force d'intervention créée plus tôt cette année a opéré en dehors du contrôle de la Police nationale d'Haïti et a eu recours à des drones explosifs. Cette force était composée de certaines unités de police et de prestataires privés.
L'attaque survient alors que l'entreprise de sécurité Vectus Global prévoit de déployer près de 200 agents de différents pays en Haïti dans le cadre d'un accord d'un an visant à réprimer la violence des gangs dans le pays.
En juin, Fritz Alphonse Jean, alors chef du Conseil présidentiel de transition d'Haïti, a confirmé que le gouvernement faisait appel à un groupe étranger. Il a refusé d'identifier l'entreprise ni de préciser le montant du contrat.
Ces entreprises privées doivent renforcer un service de police sous-financé et en sous-effectif, travaillant avec la police kenyane à la tête d'une mission soutenue par l'ONU qui lutte contre les gangs.
Cette mission compte 991 personnes, bien moins que les 2500 initialement prévues, et dispose d'un fonds d'affectation spéciale de quelque 112 millions $, soit environ 14 % des 800 millions $ nécessaires par an, selon un récent rapport de l'ONU.
Christopher Landau, secrétaire adjoint du département d'État américain, a réitéré lundi son appel à la création d'une «force de répression des gangs» au siège de l'ONU.
«Il est temps d'agir, a-t-il déclaré. Cette crise ne peut être ignorée ou différée.»
