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Un réseau de violeurs obtient et utilise facilement des drogues du viol, selon une enquête journalistique

«On m'a toujours dit de faire attention quand je sortais en boîte. [...] Je n'aurais jamais pensé: "Fais attention à ton partenaire."»

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Avery Haines révèle en exclusivité comment elle a découvert et infiltré un réseau mondial d'hommes qui droguent et filment les agressions sexuelles de leurs partenaires intimes. (CTV News)

La méthamphétamine, la drogue du viol et un puissant anesthésique - toutes ces drogues sont illégales pour le grand public. Mais au cours d'une enquête qui a duré plusieurs mois, l'équipe de W5 pour CTV a pu se procurer toutes ces substances sur des sites web publics ou via l'application de messagerie Telegram.

Avertissement: cet article contient des détails explicites et des allégations d’agression sexuelle.

L'équipe de W5 a appris comment faire grâce à un réseau mondial d'hommes qui droguent, violent, filment, vendent et échangent des vidéos de femmes victimes d'abus.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

Avery Haines, correspondante d'investigation senior de W5, a infiltré ce réseau pendant plusieurs mois, se faisant passer pour un homme qui voulait droguer et violer sa femme.

Au cours de l'enquête de W5, Avery Haines a appris des astuces pour y parvenir elle-même auprès d'hommes du monde entier qui s'enseignent mutuellement quelles drogues acheter et utiliser, comment fabriquer leurs propres drogues, comment les administrer et comment s'en tirer après avoir rendu des femmes inconscientes pour en faire leurs «poupées».

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«Je suis très fier de ma poupée et je vais très bientôt l'utiliser à fond», a écrit un homme à Avery Haines par courriel.

«Tu apprendras de cette expérience et je vends aussi des pilules. Xanax, Ambien, Ghb, Sevoflurane», a écrit un autre sur Telegram.

Capture d'écran via CTV News Message Telegram proposant des drogues puissantes à Avery Haines, de W5, alors qu'elle se faisait passer pour un homme souhaitant droguer et violer son mari. (Capture d'écran via CTV News)

Un homme qui vend des vidéos de viol sur un site porno fait aussi la promotion des drogues qu’il propose, en indiquant son identifiant Telegram pour le joindre. Après quelques échanges de messages, il offre à la journaliste tout un éventail de drogues incapacitantes.

«J'ai du GHB... aussi diverses pilules... du lorazépam... du midazolam», lui a-t-il écrit.

Avery Haines a pu acheter du GHB, la drogue du viol, qui lui est parvenu par la poste sous la forme d'un savon solide. W5 a fait tester le produit et les résultats ont montré qu'il s'agissait de GHB pur.

Les vidéos de viol que cet homme vendait mettaient en scène une Canadienne du Nouveau-Brunswick. Les images de l’agression qu’elle a subie aux mains d’un ex-conjoint circulent depuis des années sur des réseaux mondiaux.

En novembre dernier, l’agresseur a été condamné à 16 ans de prison pour des crimes comprenant l’administration de drogues, des agressions sexuelles filmées, ainsi que des abus envers une autre ex-conjointe et sa propre épouse, qui a depuis entamé des démarches de divorce.

Dans une entrevue exclusive accordée à W5 de CTV, l’une de ses anciennes conjointes — que nous appellerons Mélanie en raison d’une ordonnance de non-publication — a affirmé que son agresseur l’avait maltraitée pendant des années sans qu’elle ne s’en rende compte.

«On m'a toujours dit de faire attention quand je sortais en boîte. De ne jamais laisser mon verre sans surveillance. Je n'aurais jamais pensé: "Fais attention à ton partenaire."»
-Mélanie*

CTV News est également tenue de taire le nom de son violeur, en raison d'une  ordonnance de non-publication prononcée par le tribunal visant à protéger l'identité de son ex-femme.

Avery Haines a également appris comment droguer des femmes en achetant un produit cosmétique sur Amazon. Le produit de beauté acheté en ligne par W5 peut être transformé en GHB. Suite aux investigations de W5, Amazon.ca a depuis retiré le produit de son site.

Des anesthésiants puissants et d'autres médicaments sont également offerts à la vente entre des hommes cherchant à droguer et agresser leur conjointe.

« J’ai aussi du desflurane, de l’isoflurane, de l’halothane, du propofol, des benzos, des masques d’anesthésie, des tubes pour épidurale (piqûres dans les fesses)… », a proposé un homme à un autre dans des messages obtenus par W5.

L'un des médicaments proposés, le propofol, est un puissant agent anesthésique utilisé par les médecins pour endormir les patients avant une opération. C'est le même médicament qui a tué Michael Jackson.

W5 a pu commander une bouteille de propofol en ligne auprès d'un magasin basé à Edmonton, en Alberta, appelé Linen Plus. Aucune référence médicale ou professionnelle n'était requise, et le médicament a été livré directement à la porte d'un membre de l'équipe W5.

CTV News Avery Haines au téléphone avec un représentant commercial de Linen Plus. L'entreprise d'Edmonton a vendu un anesthésique, le propofol, à W5 sans exiger de justificatif médical. Un avocat de l'entreprise affirme que cette vente était une «anomalie» et un «bug» du système. (CTV News)

Après avoir effectué l'achat, W5 a contacté le siège social de Linen Plus à Edmonton pour se renseigner sur l'achat de propofol sur leur site. Un représentant commercial a déclaré que, bien que certaines références puissent être nécessaires, la vente de ce médicament au grand public était légale.

À la suite d'une demande de W5 auprès de Santé Canada concernant la vente de propofol à un membre du grand public sans qu'il soit nécessaire de fournir de justificatifs médicaux, l'organisme de réglementation a ouvert une enquête de vérification de la conformité du site web de Linen Plus, déclarant qu'«il est illégal de vendre du propofol au grand public».

Un avocat de Linen Plus a ensuite contacté W5 par courriel, affirmant que la commande de propofol qui nous avait été vendue était la seule que le site ait jamais traitée, ajoutant que cette commande était une «anomalie» et un «bug» du système. Linen Plus a depuis retiré complètement le médicament de son site web.

La facilité avec laquelle ces hommes, et comme il s'avère, le grand public, peuvent se procurer ces médicaments est alarmante pour plusieurs experts médicaux interrogés par W5 au cours de cette enquête.

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Par coïncidence, la femme du Nouveau-Brunswick, Mélanie, dont l’ex-conjoint l’a violée et filmée pendant des années, est aujourd’hui mariée à un médecin.

W5 s’est également entretenu avec lui — que nous appellerons Steve en raison de l’ordonnance de non-publication. Steve affirme que l’accessibilité à ces puissants médicaments est profondément inquiétante.

«C'est très inquiétant, car ils sont utilisés à des fins très néfastes.»
-Steve*

Steve souhaiterait que des anesthésiants comme le propofol soient ajoutés à la Loi fédérale réglementant certaines drogues et autres substances. Cela permettrait une surveillance accrue de leur utilisation, de leur manipulation et de leur distribution, dans le but de prévenir le vol, les abus ou l’usage à des fins criminelles.

«Même des sédatifs à action prolongée qu’on utilise parfois en soins palliatifs ne sont pas inscrits [dans la loi]. Pourquoi ne le sont-ils pas? Pourquoi ne sont-ils pas encadrés?» a demandé Steve. «Ces médicaments peuvent mettre la vie en danger. S’ils ne sont pas administrés correctement, dans un contexte sécuritaire et contrôlé, des gens en meurent.»

Le documentaire complet de W5 «Sleeping with the Enemy», qui expose un Canadien et des violeurs présumés dans le monde entier, sera diffusé le 31 mai à 21 heures sur CTV.

-Un texte de Joseph Loiero et de Avery Haines-

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