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Tarifs de Trump et démêlés judiciaires: qu’arrivera-t-il maintenant?

La menace tarifaire persiste pour le Canada, et l'affaire pourrait se rendre devant la Cour suprême américaine.

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Les tarifs douaniers de Trump sont temporairement autorisés à nouveau Une cour d'appel fédérale américaine a temporairement autorisé Donald Trump à continuer de percevoir des droits de douane, jeudi.

En bloquant le plan de Donald Trump pour imposer des tarifs douaniers sur les importations en provenance de presque tous les pays du monde, le tribunal fédéral de New York a infligé ce qui semblait un revers important au président des États-Unis. Mais en après-midi jeudi, une cour d'appel fédérale a temporairement autorisé son administration à continuer de percevoir des droits de douane en vertu d'une loi sur les pouvoirs d'urgence.

La cour a accepté une requête d'urgence de l'administration Trump, qui argue qu'une suspension est «essentielle pour la sécurité nationale du pays».

Ce revirement de situation a ajouté une couche d'incertitude à celle qui règne déjà, tandis que Trump fait face à plusieurs poursuites judiciaires selon lesquelles les droits de douane de son «Jour de la libération» ont outrepassé son autorité et rendu la politique commerciale du pays dépendante de ses caprices.

Ottawa sur le qui-vive

Avant même la décision rendue en appel, le premier ministre du Canada, Mark Carney, prévenait déjà en matinée que la menace tarifaire n'est pas entièrement écartée pour le Canada.

Lors de sa deuxième journée de travaux à la Chambre des communes en sa qualité de nouveau premier ministre, M. Carney s'est réjoui de la décision d'un panel de trois juges de la Cour américaine du commerce international qui a estimé que M. Trump n'était pas dans ses pouvoirs en invoquant la loi de 1977 sur les pouvoirs économiques d'urgence internationale pour déclarer l'état d'urgence national et justifier ces droits de douane généralisés.

«Les droits de douane imposés par les États-Unis étaient illégaux et injustifiés», dit le premier ministre, mais il reste que les relations commerciales avec les États-Unis restent précaires, selon lui.

«Nous reconnaissons que nos relations commerciales avec les États-Unis continuent d’être profondément et négativement menacées par des tarifs douaniers […] sur l’acier, l’aluminium et les automobiles, ainsi que par les menaces persistantes de tarifs douaniers dans d’autres secteurs stratégiques, comme le bois d’œuvre, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques», a déclaré M. Carney, dont la priorité demeure de redévelopper une nouvelle relation économique et de sécurité avec les États-Unis, et de renforcer les partenariats ailleurs dans le monde.

En route vers la Cour suprême?

Avant la décision de la cour d'appel, Wendy Cutler, ancienne responsable commerciale américaine et aujourd'hui vice-présidente de l'Asia Society Policy Institute, estimait que la décision du Tribunal du commerce international des États-Unis plongeait la politique commerciale du président dans la «tourmente».

«Les partenaires qui ont négocié âprement pendant la période de suspension des droits de douane de 90 jours pourraient être tentés de suspendre toute nouvelle concession aux États-Unis jusqu'à ce que la situation juridique soit plus claire.»
- Wendy Cutler, ancienne responsable commerciale américaine

Le tribunal commercial a noté que Trump conserve un pouvoir plus limité pour imposer des droits de douane afin de remédier aux déficits commerciaux en vertu d'une autre loi, le Trade Act de 1974. Mais cette loi limite les droits de douane à 15 % et à 150 jours seulement pour les pays avec lesquels les États-Unis ont d'importants déficits commerciaux.

Au bout de ces démêlés judiciaires, si la décision du tribunal commercial devait finalement être validée, elle «détruirait le raisonnement de l'administration Trump pour recourir aux pouvoirs d'urgence fédéraux afin d'imposer des droits de douane, qui outrepassent l'autorité du Congrès et contreviennent à toute notion de procédure régulière», a déclaré Eswar Prasad, professeur de politique commerciale à l'université Cornell. «La décision établit clairement que les droits de douane généraux imposés unilatéralement par Trump constituent un abus de pouvoir exécutif.»

La Cour américaine du commerce international est compétente pour les affaires civiles relatives au commerce. Ses décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel fédérale de Washington, puis devant la Cour suprême, où les recours contre les droits de douane de Trump devraient selon toute vraisemblance aboutir.

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Quels sont les droits de douane bloqués par la cour?

Les droits de douane de Trump ont bouleversé des décennies de politique commerciale américaine, perturbé le commerce mondial, ébranlé les marchés financiers et accru le risque de hausse des prix et de récession aux États-Unis et dans le monde entier.

La décision de la cour devait bloquer les droits de douane imposés le mois dernier par Trump à presque tous les partenaires commerciaux des États-Unis, ainsi que les taxes qu'il avait imposées auparavant au Canada, au Mexique et à la Chine.

Le 2 avril, Trump a imposé des droits de douane dits «réciproques» pouvant atteindre 50 % aux pays avec lesquels les États-Unis ont un déficit commercial et des droits de douane de base de 10 % à presque tous les autres pays. Il a ensuite suspendu les droits de douane réciproques pendant 90 jours afin de donner aux pays le temps de s'accorder sur une réduction des barrières à l'exportation vers les États-Unis. Mais il a maintenu les droits de douane de base. Invoquant un pouvoir extraordinaire lui permettant d'agir sans l'accord du Congrès, il a justifié ces taxes en vertu de l'IEEPA en déclarant que les déficits commerciaux de longue date des États-Unis constituaient «une urgence nationale».

En février, il avait invoqué cette loi pour imposer des droits de douane au Canada, au Mexique et à la Chine, affirmant que le flux illégal d'immigrants et de drogues à la frontière américaine constituait une urgence nationale et que ces trois pays devaient faire davantage pour y mettre fin.

La Constitution américaine donne au Congrès le pouvoir de fixer les impôts, y compris les droits de douane. Mais les législateurs ont progressivement laissé les présidents assumer davantage de pouvoirs en matière de droits de douane, et Trump en a tiré le meilleur parti.

Les droits de douane font l'objet d'au moins sept recours judiciaires. Dans sa décision rendue mercredi, le tribunal commercial a regroupé deux des affaires, l'une intentée par cinq petites entreprises et l'autre par 12 États américains.

La décision devait toutefois maintenir d'autres droits de douane imposés par Trump, notamment sur l'acier, l'aluminium et les automobiles étrangers. Mais ces taxes ont été invoquées en vertu d'une loi différente qui exigeait une enquête du ministère du Commerce et ne pouvaient être imposées à la discrétion du président.

Pourquoi le tribunal a-t-il statué contre le président?

L'administration avait fait valoir que les tribunaux avaient approuvé le recours à des droits de douane par le président Richard Nixon lors d'une crise économique et financière survenue en 1971, lorsque les États-Unis avaient soudainement dévalué le dollar en mettant fin à une politique qui liait la monnaie américaine au prix de l'or. L'administration Nixon avait invoqué avec succès son autorité en vertu de la loi de 1917 sur le commerce avec l'ennemi (Trading With Enemy Act), qui avait précédé et fourni une partie du langage juridique utilisé par la suite dans l'IEPPA.

La cour a rejeté cet argument, estimant que les droits de douane généralisés imposés par Trump outrepassaient son pouvoir de réglementer les importations en vertu de l'IEEPA. Elle a également déclaré que ces droits de douane ne contribuaient en rien à résoudre les problèmes qu'ils étaient censés traiter. Dans leur requête, les États ont fait valoir que les déficits commerciaux américains ne constituaient pas une situation d'urgence soudaine. Les États-Unis les accumulent depuis 49 années consécutives, en période de conjoncture favorable comme défavorable.

Hormis Carney, les réactions de l'opposition

Comme Carney, le chef conservateur Pierre Poilievre s'est lui aussi réjoui initialement de la décision du tribunal américain, déclarant également que le Canada se doit de faire des changements pour avoir une économie plus résiliente.

«On ne peut plus seulement dépendre de l'économie américaine, a-t-il écrit sur X. C'est trop risqué. Pour faire changement, le Canada doit libérer son économie pour construire des pipelines, des lignes électriques, des ports, des chemins de fer, des routes et des technologies.»

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet estime que le jugement du tribunal américain place d'éventuels «négociateurs canadiens» dans «une meilleure position». 

«Cela nous rappelle que lorsque vous négociez quelque chose avec un ami, avec votre plus proche ami et allié, vous ne devriez pas commencer en créant de fausses raisons pour imposer des tarifs et pour essayer d'intimider votre partenaire», a-t-il dit en point de presse.

Avec de l'information d'Émilie Bergeron pour La Presse canadienne.