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SAAQclic: un ex-consultant externe avait déjà suggéré la suspension du projet

«La suspension est venue à chaque replanification. On se posait la question», a-t-il précisé.

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Des écrans sont visibles dans la salle d'audience de la commission Gallant, qui enquête sur la transformation technologique de la Société de l'assurance automobile du Québec, SAAQclic, à Montréal, le jeudi 24 avril 2025. Des écrans sont visibles dans la salle d'audience de la commission Gallant, qui enquête sur la transformation technologique de la Société de l'assurance automobile du Québec, SAAQclic, à Montréal, le jeudi 24 avril 2025. (Christinne Muschi/La Presse canadienne)

La suspension de la transformation technologique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) a déjà été discutée au cours du développement du projet. 

C'est ce qu'a évoqué un ancien consultant externe mardi matin devant la commission Gallant qui enquête sur les déboires du virage numérique de la société d'État. 

Selon son témoignage, Stéphane Mercier a soulevé l'idée de suspendre le projet informatique nommé CASA auprès de l'ex-vice-président aux technologies de l'information de la SAAQ, Karl Malenfant, aux alentours de 2019 et 2020. 

«Karl l'accueille parce qu'il est rigoureux. On l'analyse», a dit M. Mercier, qui a travaillé auprès de la SAAQ entre 2013 et 2022. Mais l'impact sur les coûts est «trop élevé», alors «on continue», a poursuivi celui qui a décrit M. Malenfant comme ayant «un appétit pour le risque assez grand». 

M. Mercier a observé que la direction de la société d'État «de façon générale voulait faire le projet», qui comprend la plateforme SAAQclic. 

«Je ne dis pas qu'ils voulaient le faire à tout prix, mais on voulait le faire. Ça, on le sentait fortement», a déclaré le témoin. 

«La suspension est venue à chaque replanification. On se posait la question, a-t-il précisé. En calculant le coût d'impact, on arrive toujours à la même réponse: le coût d'impact est trop élevé. Malgré les écarts et les écueils qu'on rencontre, on continue.» 

À sa connaissance, le projet ne prévoyait pas de conditions déterminant le déclenchement d'un processus de suspension. Selon lui, de tels critères devraient être définis au préalable dans le cadre d'un projet informatique. 

Il a déjà eu également des discussions avec le vis-à-vis de M. Malenfant à la firme LGS, Nabil Aboutanos, concernant «une pause», alors que des problèmes de réalisation étaient sur le radar. «Est-ce qu'on peut prendre une pause, refaire nos devoirs et repartir? C'est le genre de discussions que j'avais avec Nabil», a relaté M. Mercier. 

À une question du procureur de la commission, Alexandre Thériault-Marois, M. Mercier a reconnu qu'il n'était pas dans «le camp des optimistes» face au dénouement du projet, quand il a quitté ses fonctions à l'automne 2020 avant de revenir à la SAAQ en 2022. 

«La direction de la SAAQ était un peu prise. Plus tu attends, plus tu es dépendant de la firme et plus le coût d'impact est élevé. C'est comme un cercle vicieux. (...) Moi, j'étais au bout du modèle, je vais le dire comme ça», a-t-il dit. 

Le nom de Stéphane Mercier était ressorti auparavant au cours des audiences publiques de la commission d'enquête. Il a été révélé qu'il avait décroché un contrat en 2017 avec la SAAQ à la suite d'une modification à l'appel d'offres. 

L’ex-responsable du bureau de projet à la SAAQ, Sylvain Cloutier, a admis lors de son témoignage en juin dernier avoir manipulé en 2017 un appel d’offres de plus d’un million de dollars afin qu’il soit octroyé à M. Mercier. 

 

Il avait expliqué avoir réclamé d’urgence que l’on abaisse le seuil à 990 000 $, après que M. Mercier l’eut informé qu’il ne pouvait se qualifier puisqu’il n’avait pas l’autorisation de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

M. Mercier a indiqué mardi avoir passé comme tout le monde par le système électronique d’appel d’offres du gouvernement (SEAO) pour obtenir les documents, après avoir été invité par M. Cloutier à soumissionner. Il a confirmé avoir ensuite prévenu ce dernier ne pas détenir l'autorisation requise auprès de l'AMF. 

C'est par la suite que le consultant a dit avoir reçu une notification par l'entremise du SEAO l'informant de modifications à l'appel d'offres, dont une baisse du nombre d'heures requis. M. Mercier assure avoir seulement pris connaissance des manipulations de M. Cloutier à cet égard lors des travaux de la commission. 

Une stratégie en huit livraisons 

Mardi après-midi, la commission a entendu une associée chez IBM, maintenant à la retraite, Martine Gagné. Elle a notamment pris part au processus d'appel d'offres menant au contrat pour l'implantation du progiciel (PGI), qui a entre autres servi pour la plateforme SAAQclic. 

La firme LGS, appartenant à IBM, avait proposé à la SAAQ au cours du processus d'appel d'offres d'étaler la mise en oeuvre du PGI en sept ou huit livraisons. Par exemple, le soumissionnaire avait suggéré de morceler en deux livraisons les volets permis et immatriculations.

L'objectif derrière cette proposition plus segmentée visait notamment à prendre en considération les impacts sur les ressources de la SAAQ et du consortium. «On jugeait que le briser de cette façon-là, c'était plus digérable pour l'ensemble des équipes», a expliqué Mme Gagné. 

Au final, ce qui a été retenu est une mise en service avec moitié moins de livraisons, dont la deuxième était le lancement de SAAQclic, qui a jumelé les fonctionnalités entourant les permis et les immatriculations. 

La stratégie en huit livraisons a essuyé un refus «très clair» de la part de M. Malenfant, a témoigné Mme Gagné. Le patron de l'informatique de la SAAQ prônait une mise en oeuvre de type «bing bang» avec un échéancier prenant fin en 2020, alors que LGS proposait 2021. 

Mme Gagné a senti que le plan de M. Malenfant était «imposé et la seule chose qui pouvait fonctionner». «C’était assez directif» de la part de M. Malenfant de terminer en 2020, a-t-elle relaté. 

Le témoignage de Mme Gagné doit se poursuivre mercredi matin. 

Frédéric Lacroix-Couture

Frédéric Lacroix-Couture

Journaliste