Un mois après que la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, eut levé le drapeau rouge sur l’explosion des coûts du projet SAAQclic, provoquant la création de la commission Gallant, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) a émis à l’interne un document confirmant que la facture n'aurait rien à voir avec les prévisions.
La vérificatrice avait estimé en février dernier que le projet, qui devait coûter 638 millions $, aurait plutôt une facture d’«au moins 1,1 milliard $» d’ici le printemps 2027.
Un mois plus tard, la responsable financière du projet à la SAAQ, Élodie Hudon-Chabot, envoyait à l’interne un tableau indiquant que 916 millions $ avaient déjà été dépensés en date du 31 mars 2025 et que la facture totale atteindrait 1,086 milliard $ à terme soit, à 14 millions $ près, le montant avancé par la vérificatrice générale.
1,1 milliard $: une sous-estimation
Cependant, l’évaluation de la vérificatrice générale comprenait la totalité du projet CASA (Carrefour des solutions d’affaires), incluant un troisième volet et certains éléments qui ne se retrouvent pas dans le tableau de coûts rendu public mardi et qui ne seront pas réalisés. En d’autres termes, la SAAQ aurait certainement dépassé le montant de 1,1 milliard $ révélé par le vérificatrice générale à la stupéfaction générale.
Dans ce tableau dévoilé pour la première fois devant la commission Gallant, à Montréal, on constate qu’une somme de 134 millions $ dépensée par la SAAQ au poste «exploitation et évolution de la solution» comprend 41 millions $ pour la «gestion de crise», mais aucun détail n’accompagne cette description.
Bonnardel et Caire: portrait incomplet
On a par ailleurs appris, mardi, que le grand responsable du projet SAAQclic, Karl Malenfant, n’a pas présenté un portrait complet aux ministres des Transports et de la Cybersécurité et du Numérique de l’époque, François Bonnardel et Éric Caire, lors de rencontres visant à faire le point sur l’avancement des travaux, en septembre 2021 et en juin 2022.
Le cinquième jour de témoignage de Karl Malenfant devant la commission Gallant, mardi à Montréal, a donné lieu à la présentation du «napperon» déposé lors de la rencontre avec le ministre Bonnardel ainsi que plusieurs autres faisant état de l’évolution financière du projet.
Le tableau présenté au ministre faisait état d’un budget de 682 millions $, tout en indiquant que le contrat de 458 millions $ avec l’Alliance regroupant les firmes SAP-LGS (IBM) serait suffisant pour couvrir la deuxième étape de livraison, le reste devant provenir des budgets de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).
Or, ce contrat initial prévoyait également la livraison d’une troisième étape ainsi qu’une provision de 46 millions $ pour d'éventuels ajouts, mais cet argent était déjà entièrement engagé pour la deuxième étape.
Interrogé sur l’absence de ces informations dans le document présenté et des détails de la genèse de ces chiffres, Karl Malenfant a simplement répondu qu’on ne le lui avait pas demandé.
Une rentabilité qui s'évapore
Par ailleurs, le napperon présenté au ministre en septembre 2021 faisait état d’un «projet rentable». En 2017, les responsables internes du projet avaient estimé une rentabilité de 10 % du projet. Cependant, d’autres documents évaluant la rentabilité du projet, bien avant la rencontre avec le ministre Bonnardel, démontraient que la rentabilité n’était plus évaluée qu’à 6,2 % en février 2020 et à 2 % en juillet 2020.
La rentabilité du projet avait servi d’argument pour en justifier le financement, mais Karl Malenfant a affirmé avec assurance que «l’objectif premier n’est pas de faire de l’argent. C’est de gérer la pérennité du patrimoine de la SAAQ.»
En juin 2022, lors d’une une rencontre avec le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, un napperon presque identique lui est présenté, mais celui-ci ne mentionne plus la rentabilité du projet et ne dit plus que l’enveloppe contractuelle de 458 millions $ sera suffisante pour compléter la livraison de la deuxième étape.
Lundi, M. Malenfant avait indiqué qu’il savait dès 2020 qu’il manquerait 222 millions $ pour compléter le projet.
Le ministre aurait-il dû poser des questions?
Autre différence, ce napperon montre un voyant jaune faisant état d’une stratégie contractuelle «en cours de validation», car il était déjà clair que l'enveloppe contractuelle serait insuffisante. Le commissaire Denis Gallant a alors demandé à M. Malenfant si M. Caire aurait dû poser plus de questions. «La question est bonne», a-t-il répondu.
Le témoignage de Karl Malenfant a également mis en lumière que les désaccords entre les augmentations de coûts provenant de nouvelles évaluations des travaux requis et d’ajouts d’éléments, entre autres, ont été traités en médiation et que cette médiation avait placé la SAAQ en position de faiblesse. À défaut d’une entente, l’Alliance aurait pu se retirer du projet, ce qui aurait entraîné une perte sèche de 60 à 80 millions $, a soutenu M. Malenfant.

