Deux ans et demi après la mise en service de la plateforme SAAQclic, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) n'a toujours pas signé les documents confirmant qu'elle accepte les travaux réalisés par l'Alliance formée par SAP et LSG, une filiale d'IBM.
«À ce jour, on n'a pas accepté, la société n'a pas accepté ce qu'on appelle l'acceptation définitive des travaux, on ne l'a accepté.» C'est ainsi que la vice-présidente aux affaires juridiques de la SAAQ, Marie-Ève Beaulieu, a confirmé devant la commission Gallant, vendredi, qu'un litige existe toujours entre la Société et l'Alliance.
La procureure de la commission, Me Mélanie Tremblay, venait de lui demander si la Société avait procédé au paiement de la balance des travaux comprenant la plateforme SAAQclic et signé l'acceptation des travaux. La réponse de Me Beaulieu laisse donc entendre que la SAAQ, en ne signant pas cette acceptation, retient toujours cette balance de paiement, mais le montant de cette somme n'a pas été dévoilé devant la commission.
L'ex-PDG de la SAAQ contredit une deuxième fois
Une troisième version des détails sur les dépassements de coûts du projet SAAQclic donnés ou non en septembre 2022 à Yves Ouellet, le bras droit du premier ministre François Legault, est apparue devant la commission Gallant, vendredi, avec le témoignage de Mme Beaulieu.
L’ex-PDG de la Société de l’assurance automobile du Québec, Denis Marsolais, avait affirmé lors de son témoignage en juin dernier que les dépassements de coûts de 222 millions $ avaient été présentés à Yves Ouellet, le secrétaire général du gouvernement et plus haut fonctionnaire de l’État, lors d'une réunion en septembre 2022. Yves Ouellet, lui, avait nié avoir été mis au courant de ces dépassements lors de cette réunion, lorsqu’interrogé par la commission au début du mois. François Legault, lui, soutient depuis le début l'avoir appris lors du dépôt du rapport de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc en février dernier.
Or, Marie-Ève Beaulieu, la troisième personne participant à cette rencontre au sommet du 7 septembre 2022, a témoigné à l’effet qu’une pochette de documents, dont un faisait état du dépassement de coûts et de la stratégie contractuelle à adopter, avait bel et bien été remise à M. Ouellet.
Préoccupé seulement par le déploiement
Toutefois, a dit Mme Beaulieu, «sa préoccupation (d’Yves Ouellet) elle est claire. On est en septembre. À ce moment-là, il y a une volonté de déployer durant la période des fêtes. Il nous demande – sa préoccupation est claire – "est-ce que vous êtes prêts à déployer comme souhaité?" Il trouvait évidemment que le délai était court, puis il nous a demandé si on avait besoin de délais additionnels.» La SAAQ croit que non. «À ce moment-là, les voyants sont positifs», affirme-t-elle.
La procureure Tremblay est revenue à la charge, faisant valoir que la pochette en question comprend un document intitulé «Stratégie contractuelle». Ce document présente notamment deux scénarios pour aller chercher le manque à gagner de 222 millions $, soit de signer un avenant couvrant la somme au complet, soit d’utiliser «différents véhicules contractuels», c’est-à-dire de conclure des avenants au fur et à mesure que les travaux avancent. Marie-Ève Beaulieu a répété que cette question n'avait pas été soulevée lors de la rencontre.
Forcer la livraison: option écartée
Ce sont d’ailleurs ces deux scénarios qui ont été présentés au conseil d’administration une semaine plus tard, avec l’analyse de risque que présentait chacun d’eux. Marie-Ève Beaulieu a reconnu avoir aussi étudié la possibilité de forcer l’Alliance formée de SAP et LGS (IBM) à compléter le contrat sans ajouter d’argent, alors que l’enveloppe du contrat serait vide à compter de la fin de l’année. Cette option a cependant été abandonnée en raison des risques de litige devant les tribunaux.
Cette possibilité n’a ainsi jamais été présentée au conseil d’administration. Mme Beaulieu a reconnu qu’elle «aurait pu être présentée» à ce dernier, mais elle ne l’aurait pas recommandée parce qu’elle y voyait un risque élevé, notamment celui de devoir se défendre devant les tribunaux et de «démontrer la faute du contractant».
En d’autres termes, le conseil d’administration n’a jamais eu d’autre option à analyser et entériner que les deux qui prévoyaient de payer le dépassement de 222 millions $, d’un coup ou en pièces détachées.
Éviter de rendre public
C’est cette dernière option qui a été choisie parce que le fait d’ajouter des avenants de moins de 10 % de la valeur totale du contrat de 458 millions $ soustrayait la SAAQ à l’obligation légale de publier les détails de cet ajout. L’option de couvrir la totalité du manque à gagner de 222 millions $, qui entraînerait une obligation de rendre publique cette décision, présentait un «risque politique et médiatique élevé», selon l’analyse de son bureau. «Un avenant de 222 millions $, ça représente presque 50 % du contrat initial», a-t-elle justifié devant le commissaire Denis Gallant.
Le conseil d’administration devait finalement approuver, en septembre 2022, l’«option 2», de payer au fur et à mesure des besoins avec «divers véhicules contractuels». Le montant du premier avenant, soit 45,7 millions $, représentait très exactement 9,97 % du total du contrat de 458 millions $.
Les membres du conseil d'administration avaient bien compris le stratagème, d'après Me Beaulieu: «On signe un avenant de 45,7 millions $ et on comprend qu'en haut de 10 %, on publie et c'est indiqué dans le document. (...) Je pense que les membres du conseil d'administration l'avaient compris.»
Marie-Ève Beaulieu a tout de même souligné que ces avenants sont cumulatifs et qu’ils devraient donc éventuellement être rendus publics. Ce fut le cas en août 2023, lorsqu'un deuxième avenant de près de 69 millions $ fut consenti au contractant pour la poursuite des travaux. Avec le premier avenant de 45,7 millions $, ces ajouts, qui portaient le contrat à 573 millions $, dépassaient de loin le 10 % et ces montants furent alors publiés par le Service électronique des appels d'offres du gouvernement.

