Politique

SAAQclic: LGS et IBM avaient été «confortés» par la SAAQ, selon un ex-gestionnaire

Publié

64a90f39f10833a0a9dfda682533fd70f76c712a65ed1f1220e07ce11e9bd448.jpg Le commissaire Denis Gallant, de la Commission d'enquête sur la gestion de la modernisation des systèmes informatiques de la Société de l'assurance automobile (SAAQ), attend le début de l'enquête publique sur la défaillance du portail en ligne de la SAAQ, SAAQclic, à Montréal, le jeudi 24 avril 2025. (Christinne Muschi | La Presse canadienne)

Un ancien gestionnaire de la firme LGS pointe du doigt un manque de détails dans l'appel d'offres de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) pour expliquer les écueils rencontrés dans le développement de la plateforme SAAQclic. 

Daniel Lacroix a participé à la soumission de l'entreprise québécoise, appartenant à IBM, qui lui a permis de remporter avec l'éditeur allemand SAP le contrat pour le virage numérique de la SAAQ. Il a ensuite travaillé sur le projet informatique jusqu'à l'automne 2020. 

Devant la commission Gallant jeudi, l'architecte informatique a témoigné qu'à une étape importante du processus d'appel d'offres, la SAAQ les avait «confortés» sur le «degré de préparation à accueillir le changement».

«Ils veulent un calendrier de livraison plus agressif, mais ils se sont bien préparés pour être capables de subir, je vais dire, ce genre de choc là dans l'organisation. Ce qu'ils demandent devient, entre guillemets, raisonnable compte tenu qu'ils se sont bien préparés», s'est-il souvenu. 

 

Les soumissionnaires se font même rassurer au moment du processus d'appel d'offres par les représentants syndicaux, qui affirment que les équipes sont prêtes face à ce changement technologique. 

IBM et LGS ont ainsi revu à la baisse la plupart de leurs indicateurs de risques et réduit le nombre d'heures de travail nécessaire de plus de 800 000 lorsqu'elles déposent une nouvelle soumission. 

«Sauf qu'une fois sur le terrain — vous connaissez l'expression ‘‘le diable est dans les détails’’ — le diable, il va être nombreux», a relaté M. Lacroix.

«Malgré tout le travail de préparation qu'ils ont fait, il y a des systèmes qui datent des années 1980. Il y a encore des morceaux originaux qui sont en train de rouler et que personne ne connaît, même dans la société, s'est rappelé le témoin. C'est là qu'on va avoir beaucoup de problèmes.»

«Le chat va sortir du sac»

En 2020, plusieurs sources d'écart avec la proposition initiale amènent une médiation entre la SAAQ et le consortium pour remédier à la situation ainsi qu'une replanification du projet. M. Lacroix accuse notamment le manque d'informations des règles d'affaires de la société d'État dans l'appel d'offres. 

«Outre un paragraphe qui dit que nos règles d'affaires sont complexes, on n'a aucun détail sur les règles d'affaires. On n'a pas cherché non plus dans la démarche à creuser à cet égard-là», a-t-il dit. 

M. Lacroix soutient également que, lors du développement de la plateforme, la première version remise des différentes règles d'affaires «n'est jamais la bonne». 

«La masse de nouvelles informations qu'on va apprendre au fil du déroulement des opérations, je n'aurais pas pu les deviner en lisant l'appel d'offres», a plaidé M. Lacroix. 

La procureure de la commission, Marie-Claude Sarrazin, lui a souligné que LGS et IBM étaient «super bien organisées». Elles avaient mené tout un travail d'estimations et de calculs avec l'aide de diverses ressources afin de remporter le contrat.

«Vous changez votre soumission, vous acceptez de compromettre sur le niveau de risque quant à la conversion des données, aux règles d'affaires et à la complexité du projet. Et quand il s'avère que vous vous êtes trompés, que c'est plus compliqué que vous pensiez, là vous dites: c'est à la société de payer pour nos erreurs», a suggéré Me Sarrazin. 

M. Lacroix a répondu s'opposer à cette interprétation. Le conseiller stratégique s'en est pris une nouvelle fois au manque «de profondeur» dans les détails de l'appel d'offres, qu'il dit avoir lu des dizaines de fois.  

«Quand on va faire les phases d’exploration de la livraison de 2 (SAAQclic), c’est là que le chat va sortir du sac. On va apprendre plein de choses», a soutenu M. Lacroix.

La replanification du projet entraînera une révision à la hausse du budget total du projet informatique nommé CASA. Selon le rapport du Vérificateur général du Québec, le coût estimé passe alors de 638 à 945 millions $, ce qui inclut la phase d'exploitation. 

«Mort dans l'œuf»

Un ancien collègue de M. Lacroix chez IBM, Jean-François Simard, a témoigné jeudi après-midi des changements proposés à la SAAQ pour répondre à certaines difficultés avec le développement de SAAQclic. 

Appelé en renfort par IBM en 2019 pour trouver des solutions, M. Simard avait notamment suggéré une autre approche pour livrer la plateforme. Son alternative était «plus coûteuse» et «plus demandant», mais aurait fait disparaître l'ancien système «graduellement», a expliqué l'architecte en informatique. 

Il a affirmé avoir essuyé un refus de la part de la consultante externe embauchée par la SAAQ, Louise Savoie.  

«Louise représentait pour moi une mine d'or d'informations parce qu'elle connaissait très bien l'appel d'offres et représentait définitivement les intérêts du client. C'est un peu-là que c'est mort dans l'œuf», a dit M. Simard. 

La SAAQ lui rappelait que la livraison devait se faire en mode «big bang», comme le stipulait l'appel d'offres, a mentionné M. Simard. 

À ce jour, il a dit avoir encore du mal à comprendre ce qui a poussé la société d'État à faire ce choix-là. M. Simard avait identifié le mode «big bang» comme une source de risque d'échec pour la livraison de SAAQclic. 

Frédéric Lacroix-Couture

Frédéric Lacroix-Couture

Journaliste