La langue a représenté «un grand défi» dans le développement de la plateforme SAAQclic alors qu'une bonne partie du travail a été menée de l'Inde, selon une ancienne responsable chez IBM.
Martine Gagné a poursuivi son témoignage mercredi matin devant la commission Gallant, qui enquête sur les déboires de la transformation technologique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).
Mme Gagné a évoqué que le bassin d'employés francophones dans la province pouvant mener le projet informatique de la société était limité. Selon elle, en raison de la quantité importante de développement à faire dans le cadre du projet, il n'y avait pas la «disponibilité sur le marché en français au Québec».
Le consortium formé des firmes SAP et LGS — cette dernière appartenant à IBM — n'avait alors d'autre choix que de se tourner vers des ressources à l'étranger.
«La force de frappe venait de l’Inde principalement.»
Cette situation a entraîné un enjeu de traduction.
«Le français a ajouté un niveau de complexité. D'être obligé de traduire des spécifications du français en anglais pour l'envoyer là-bas (en Inde), puis d'avoir des traducteurs en simultané, c'était quelque chose. On se promenait sur le plancher et on se croyait aux Nations unies. Il y avait tout le monde avec leur casque», a raconté Mme Gagné.
«On n'avait pas le choix parce qu'on n'avait pas la force de frappe en français qui était nécessaire. Ce n'était pas évident pour les équipiers», a-t-elle poursuivi.
Le commissaire Denis Gallant a fait remarquer que les documents d'appel d'offres de la SAAQ étaient clairs à savoir que «le français était une donnée très importante».
«On soumissionne sur un projet gouvernemental québécois où est-ce que (le français) est la langue commune. C'est peut-être une vue de l'esprit de l'avoir sous-estimée», a affirmé M. Gallant.
Mme Gagné a assuré que le consortium avait pris en compte les exigences linguistiques et avait estimé les coûts qui s'y rattachent.
«Une pause» aurait été nécessaire
Par ailleurs, la conseillère stratégique a répété à quelques reprises durant son témoignage que le projet aurait dû prendre «une pause» entre la première livraison et le lancement de SAAQclic.
«On voulait faire un peu le même genre de chose pour la livraison 2 (SAAQclic) que la livraison 1. Il y avait tellement de morceaux de robots qui manquaient... Avec le recul, on aurait dû insister pour prendre une pause», a-t-elle soutenu.
Un temps d'arrêt aurait permis de prendre un pas «recul» et d'éviter de «brûler du gaz avec les équipes sur le plancher», a mentionné Mme Gagné.
Mais opter pour une suspension représentait aussi une «grosse décision» pouvant entraîner des impacts, comme en matière de coûts et de mobilisation des ressources, a reconnu Mme Gagné.
Mardi, un ex-consultant externe, Stéphane Mercier, a également mentionné avoir soulevé la possibilité de suspendre le projet au vice-président aux technologies de l'information de la SAAQ de l'époque, Karl Malenfant. Il a été décidé de continuer en raison du coût d'impact trop élevé, «malgré les écarts et les écueils», a dit M. Mercier.
Mme Gagné a témoigné avoir quitté le projet nommé CASA en décembre 2020 pour des raisons personnelles, alors qu'elle était «épuisée et mal en point».
Un choix qu'elle a tout de même jugé difficile à faire. «J'avais l'équipe dans mes tripes comme on dit en bon français. Mais je pense que c'était la bonne décision parce que des fois du sang neuf, ça fait du bien à tout le monde», a-t-elle relaté.
«Grande confiance en SAP»
Au moment où IBM et sa filiale LGS évaluaient l'appel d'offres de la SAAQ pour le projet en 2015, la firme documentait que M. Malenfant semblait avoir une «préférence» pour la solution de la firme SAP, qui a finalement été retenue pour la plateforme SAAQclic.
C'est ce qui a été révélé lors du témoignage d'un cadre chez IBM, Nabil Aboutanos, mercredi après-midi. Il a travaillé dans le cadre du projet CASA de 2015 à 2019 et a été le vis-à-vis de M. Malenfant à cette époque.
Selon une preuve évoquée devant la commission, IBM décrivait le passé professionnel de M. Malenfant dans un document interne en vue de répondre à l'appel d'offres de la SAAQ. L'entreprise privée le présentait comme un haut fonctionnaire ayant une «grande confiance en SAP».
Le document évoquait également en anglais sous la rubrique «préférence du client» que M. Malenfant avait «une solide expérience avec SAP».
Interrogé à ce sujet, M. Aboutanos a précisé ne pas avoir assisté à la présentation de ce document à l'époque. Il a aussi indiqué ne pas connaître l'historique professionnel du patron de l'informatique de la SAAQ quand il embarque dans ce processus d'appel d'offres.
Une fois mis au fait, ces informations n'ont pas influencé le choix d'aller vers l'éditeur SAP pour former un consortium, a assuré M. Aboutanos.
«Ça n'a pas joué dans la décision parce que c'était au tout début du processus en septembre 2015. On a choisi notre cheval avec les meilleures chances pour gagner», a-t-il soutenu.
Lors de son témoignage en septembre, M. Malenfant s'est défendu d'avoir voulu avantager SAP dans le processus d'appel d'offres. Il a nié avoir aidé l’entreprise allemande, avec qui il avait déjà travaillé par le passé, à remporter le contrat de 458 millions $.

