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Mort d'un jeune homme en Nouvelle-Zélande: pas d’accusations contre des trafiquants canadiens

«C'est tout simplement choquant. [...] Il faut en faire plus.»

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Plus d’une tonne de méthamphétamine saisie lors des deux plus importantes saisies de l’histoire de la Nouvelle‑Zélande provenait du Canada, dissimulée dans des conteneurs de sirop d’érable et de bière. Pourtant, la police canadienne n’a jamais porté d’accusations contre quiconque pour l’exportation de ces drogues, selon une enquête exclusive de W5/IJF, ce qui soulève des questions cruciales sur les mesures prises par les autorités canadiennes pour mettre fin au trafic de méthamphétamine vers des pays comme la Nouvelle‑Zélande.

En janvier 2023, les douaniers néo-zélandais ont intercepté 713 kg de méthamphétamine exportés du Canada. La drogue était dissimulée dans des bouteilles de sirop d'érable.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News. Note de la rédaction: cet article est le fruit d'une collaboration entre CTV News et l'Investigative Journalism Foundation. Il s'agit de la deuxième partie d'une série de reportages, visant à examiner le rôle du Canada en tant que l'un des plus grands exportateurs mondiaux de méthamphétamine vers la Nouvelle-Zélande et l'Australie. 

La police néo-zélandaise a arrêté six hommes dans les mois qui ont suivi la saisie. Avec une valeur marchande estimée à environ 250 millions de dollars néo-zélandais, soit un peu plus de 200 millions de dollars américains, cette saisie est la plus importante jamais réalisée à la frontière du pays, la drogue ayant été acheminée par fret maritime.

Puis, en mars 2023, la mort tragique d'Aiden Sagala à Auckland a été le point de départ d'une importante enquête sur le trafic de drogue menée par la police néo-zélandaise.

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Le jeune homme de 21 ans est décédé après avoir accidentellement bu de la méthamphétamine liquide pure, dissimulée dans des canettes de bière étiquetées Honey Bear House Beer, qui avaient été exportées du Canada.

Son patron, Himatjit «Jimmy» Kahlon, distribuait des caisses de bière au travail et en avait donné quelques-unes à Sagala. Ce que Sagala ignorait, c'est que la bière Honey Bear n'est pas une véritable marque et que Kahlon était impliqué dans un réseau de trafic de drogue et avait aidé à cristalliser et à préparer la méthamphétamine liquide pour la vente.

En se débarrassant de l'excédent de bière, il a donné par erreur à Aiden Sagala un carton qui contenait encore des canettes de méthamphétamine. Ce dernier a bu par hasard l'une de ces canettes.

Jerry Vienneau/W5 Angela, la sœur d'Aiden Sagala, n'arrive pas à croire que deux ans et demi après la mort de son frère, personne au Canada n'ait été inculpé pour l'exportation de la méthamphétamine qui a tué son petit frère. (Jerry Vienneau/W5)

Il vivait avec sa sœur, Angela, lorsqu'il est décédé.

«Il était tout pour nous... il était l'âme de la maison, il faisait toujours sourire tout le monde», a confié Angela lors d'une récente entrevue avec W5. «Mon frère est un héros parce que... c'est grâce à sa mort qu'ils ont découvert tout cela. S'il n'était pas mort, cela continuerait.»

Repaire de méthamphétamine

Après la mort d'Aiden Sagala, la police néo-zélandaise a réalisé une perquisition dans un entrepôt où Kahlon avait été filmé par une caméra de vidéosurveillance en train de retirer des caisses de bière. La police a découvert des palettes imposantes de bière Honey Bear. Près de 29 000 canettes avaient été expédiées de Toronto à la Nouvelle-Zélande, la plupart contenant de la vraie bière.

La police a également trouvé des cargaisons de kombucha en provenance des États-Unis, de l'eau de coco en provenance d'Inde et d'autres caisses de bière en provenance de Toronto, toutes utilisées pour dissimuler des importations de méthamphétamine à Auckland.

L'entrepôt était recouvert de méthamphétamine.

Elle recouvrait presque toutes les surfaces: les canettes de bière vides, le sol, la salle de bain, et il y avait des cristaux blancs empilés dans des seaux.

Police néo-zélandaise 28 800 canettes étiquetées « Honey Bear House Beer » ont été exportées de Toronto vers Tauranga, en Nouvelle-Zélande. La méthamphétamine liquéfiée qui a tué Aiden Sagala était dissimulée dans l'une de ces canettes. (Police néo-zélandaise)

Dans le cadre de l'opération baptisée Project Lavender, la police a finalement saisi 747 kg de méthamphétamine, stockés en grande partie dans cet entrepôt. Il s'agit de la plus importante saisie de méthamphétamine de l'histoire de la Nouvelle-Zélande.

Himatjit «Jimmy» Kahlon a été reconnu coupable d'homicide involontaire dans la mort de Sagala, ainsi que de possession de méthamphétamine à des fins de distribution, et a été condamné à 21 ans de prison. Il fait actuellement appel de cette décision.

Un deuxième homme, Baltej Singh, homme d'affaires respecté à Auckland et issu d'une famille influente en Inde, a également été accusé d'avoir dirigé l'opération d'importation. Il a été condamné à 22 ans de prison pour importation de méthamphétamine, possession de méthamphétamine à des fins de distribution, importation d'éphédrine et possession de cocaïne à des fins de distribution.

Mardi, la police néo-zélandaise a annoncé la saisie de biens immobiliers estimés à 36 millions de dollars néo-zélandais (soit un peu moins de 30 millions de dollars américains), qui seraient liés à l'importation et à la distribution de méthamphétamine dans le cadre du projet Lavender.

Inaction de la GRC

Dans une rare entrevue, le surintendant principal de la Gendarmerie royale du Canada et directeur général du Programme national de lutte contre les crimes graves et le crime organisé, Mathieu Bertrand, s'est entretenu avec Avery Haines de W5 pour répondre à des questions sur les mesures prises par la GRC pour lutter contre l'exportation de méthamphétamine vers la Nouvelle-Zélande.

Journaliste Avery Haines: Les plus importantes saisies de méthamphétamine de l'histoire de la Nouvelle-Zélande provenaient toutes deux du Canada : du sirop d'érable et de la bière Honey Bear. Des arrestations ont-elles été effectuées au Canada pour les personnes qui ont expédié ces produits ?

Mathieu Bertrand de la GRC: Je ne peux pas m'exprimer à ce sujet. Le fait que ces expéditions aient transité par le Canada est très grave, mais la GRC n'était pas impliquée.

Jerry Vienneau/W5 Dans une rare entrevue, Mathieu Bertrand, surintendant principal et directeur général du Programme national de lutte contre le crime grave et organisé de la GRC, s'est entretenu avec Avery Haines, de W5, pour répondre à des questions sur les mesures prises par la GRC pour lutter contre l'exportation de méthamphétamine vers la Nouvelle-Zélande. (Jerry Vienneau/W5)

Journaliste Avery Haines: Pourquoi la GRC n'aurait-elle pas été impliquée dans cette affaire?

Mathieu Bertrand de la GRC: De nombreux facteurs sont pris en compte pour déterminer quel organisme est le mieux placé pour mener une enquête spécifique. Dans ce cas précis, ce n'était pas la GRC, et il y avait donc un partenaire mieux placé pour intervenir.

Journaliste Avery Haines: Qui était-ce?

Mathieu Bertrand de la GRC: Je ne sais pas, je ne connais pas cette affaire.

Dans un échange ultérieur avec W5, revirement de situation.

Une porte-parole de la GRC a confirmé que l'agence était effectivement impliquée dans l'enquête sur la bière Honey Bear du côté canadien. «La GRC a reçu des rapports de renseignement de la police néo-zélandaise (NZP) et a mené une enquête», selon une déclaration envoyée par courriel à CTV News.

«La GRC a contribué au partage d'informations et à la coordination internationale. L'équipe a aidé à vérifier les antécédents, à effectuer une analyse sommaire du réseau, à collaborer avec l'unité de renseignement de la police néo-zélandaise (NZP), à collaborer avec l'agent de liaison de l'ASFC et à assurer la liaison avec le bureau international», ajoute-t-on dans la déclaration. La porte-parole a également confirmé que l'enquête de la GRC n'avait donné lieu à aucune accusation contre les personnes responsables de l'exportation de la méthamphétamine qui a tué Aiden Sagala et qu'elle ne fournirait pas de détails supplémentaires sur le contenu de l'enquête ou les raisons pour lesquelles personne n'a été inculpé.

La GRC a renvoyé toutes les autres questions concernant les exportations de méthamphétamine du Canada à la police néo-zélandaise.

À la recherche de réponses

W5 a obtenu des documents judiciaires néo-zélandais qui ont fourni des indices sur les responsables de l'expédition de méthamphétamine depuis le Canada.

Ils révèlent que la société canadienne qui a expédié la bière Honey Bear est Petrichor Beverages Inc. Les documents mentionnent également une adresse résidentielle à Surrey, en Colombie-Britannique, et le nom d'Azizdeep Sandu. W5 et l'IJF ont ensuite obtenu des documents d'entreprise canadiens et des registres d'expédition confirmant que Petrichor était dirigée par un certain Azizdeep Singh Sandhu à cette adresse de Surrey.

Lorsque l'équipe de journalistes s'est rendue à la maison de Surrey, les résidents actuels ont confirmé qu'une personne nommée Azizdeep vivait auparavant dans le sous-sol, mais qu'elle avait depuis déménagé.

Les documents corporatifs canadiens montrent que Petrichor a été constituée en société en 2021, l'année précédant l'expédition de la bière en Nouvelle-Zélande, et ne semble avoir expédié aucun autre produit au cours de sa brève existence. Le gouvernement fédéral canadien a dissous la société en 2024 pour «non-conformité» sans préciser les raisons.

Via CTV News Azizdeep Singh Sandhu est répertorié dans les documents de la société fédérale canadienne comme directeur de Petrichor Beverages Inc., la société qui a expédié en Nouvelle-Zélande la méthamphétamine qui a tué Aiden Sagala. Sandhu a supprimé sa photo de son profil Whatsapp à la suite d'un appel téléphonique de la journaliste de W5. (Via CTV News)

Les documents de la société indiquaient également le numéro de portable de Sandhu.

Lorsque la journaliste a joint Sandhu par téléphone, celui-ci a nié être le directeur de Petrichor ou être impliqué dans la livraison de bière Honey Bear ou de méthamphétamine. Il a déclaré être chauffeur routier et a également affirmé que la GRC ne l'avait jamais appelé.

Azizdeep Singh Sandhu a confirmé avoir vécu à l'adresse indiquée dans les documents judiciaires néo-zélandais, à Surrey, en Colombie-Britannique. Il dit vivre désormais à Delta, en Colombie-Britannique.

Par la suite, il a demandé à la journaliste de le recontacter par courriel, mais il n'a pas répondu à ces messages. Après l'appel téléphonique, le numéro de téléphone a été bloqué, sa photo a été supprimée de son profil WhatsApp et les paramètres de sécurité de sa page Facebook ont été renforcés – le même profil qui comprend la citation «Rien n'est illégal tant que vous ne vous faites pas prendre».

Les titres de propriété confirment qu'Azizdeep Singh Sandhu est propriétaire d'une maison à Delta, en Colombie-Britannique. Ils indiquent que la maison vaut 1,3 million de dollars et qu'elle a été achetée en mars 2023, le mois même du décès de Sagala. L'équipe de W5 s'est rendue sur place, mais sans succès.

Deux ans et demi après la mort d'Aiden Sagala, sa soeur Angela, n'arrive pas à croire que personne ne soit tenu responsable au Canada.

«C'est tout simplement choquant», a-t-elle dit. «Cela me met encore plus en colère maintenant que j'en entends parler. Si la police de notre côté a fait tout ce qu'elle pouvait pour transmettre les informations au Canada... il faut en faire plus.»

Un reportage d'Avery Haines, Joseph Loiero et Zak Vescera pour W5/CTV News

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