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Les syndicats espèrent que des leçons seront tirées de la fermeture de La Baie

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ca0fc756c4ebdbf7bd3ba5c425cf862ef3b87f83ab9a92be83a47607e21e66f8.jpg La présidente nationale d'Unifor, Lana Payne, pose pour une photo à Toronto, le mardi 10 octobre 2023. (LA PRESSE CANADIENNE/Jessica Lee)

Lorsque les employés de La Baie d'Hudson se sont rassemblés devant deux bâtiments de l'emblématique détaillant fin mai, quelques jours avant sa fermeture définitive, ils savaient qu'il n'y avait aucun espoir de sauver leurs emplois.

Leur objectif était plutôt d'encourager les décideurs à rendre la chute de ce détaillant vieux de 355 ans – et de toutes les entreprises en faillite qui l'ont suivi – un peu moins douloureuse pour les employés.

Ils soutiennent que cela serait possible si le gouvernement adoptait leurs idées. Ils demandent de renforcer les programmes de soutien fédéraux, mais aussi d'accorder la priorité aux travailleurs plutôt qu'aux prêteurs lorsque les entreprises sous protection contre leurs créanciers remboursent leurs dettes.

De telles idées avaient déjà été évoquées dans les milieux syndicaux lors de la faillite des divisions canadiennes de Sears, Target et Nordstrom. Cette fois, ils espèrent que cet élan perdurera.

«Lorsqu'on recherche ce genre d'améliorations, on connaît des hauts et des bas, mais pour l'instant, nous avons une occasion à saisir, car la situation de La Baie est encore présente dans les esprits», a souligné Lana Payne, présidente d'Unifor.

Son syndicat a orchestré les manifestations devant l'un des centres de distribution du détaillant à Scarborough, à Toronto, et devant un magasin de Windsor, en Ontario, car Unifor représente environ 595 des 9364 employés qui travaillaient pour la plus ancienne entreprise du Canada avant qu'elle ne se place sous la protection de ses créanciers en mars.

On a dit aux travailleurs qu'ils ne recevraient pas d'indemnités de licenciement ni d'indemnités de départ et qu'ils perdraient leurs assurances maladie, dentaire et vie. Un cabinet d'avocats les représentant a averti que «compte tenu de l'importance des dettes garanties de (La Baie) il n'est pas certain que les employés puissent recouvrer les sommes qui leur sont dues directement auprès de (La Baie)».

 

L'entreprise a imputé ses difficultés à la pandémie de COVID-19, à la baisse de l'achalandage en magasin et aux droits de douane. N'ayant pas réussi à attirer les investisseurs qui auraient pu maintenir l'entreprise en vie, elle a commencé à vendre ses actifs restants dans l'espoir de récupérer le maximum possible pour ses milliers de créanciers.

En queue de peloton

Lorsque des entreprises canadiennes se placent sous la protection de leurs créanciers, les différents groupes à qui l'on doit de l'argent se disputent souvent le peu de liquidités restantes, sachant qu'il n'y en aura généralement pas assez pour tout le monde. Les prêteurs garantis sont habituellement les premiers sur la liste, car ils disposent de garanties sur l'argent qu'ils ont prêté, souvent bien avant que l'entreprise ne demande un sursis judiciaire.

Dans le cas de La Baie, on compte 26 pages de créanciers, dont les prêteurs garantis de premier rang Restore Capital, Pathlight Capital et Bank of America. À eux seuls, des centaines de milliers de dollars leur sont dus et ils ont commencé à récupérer une partie de leurs pertes, car La Baie les a payés avec les liquidités de ses ventes de liquidation.

Les employés figurent sur la liste des créanciers, mais ils ne sont pas répertoriés comme garantis. Pour le montant qui leur est dû, il est simplement indiqué: «À déterminer». 

«Je pense qu'il est assez clair que les travailleurs ne sont pas la priorité dans ce genre de cas, a indiqué Lana Payne. La loi ne leur accorde pas la priorité et les travailleurs en ressentent actuellement les conséquences.»

À l'avenir, Unifor souhaiterait que la loi soit modifiée afin que les demandes de licenciement et d'indemnités de départ des travailleurs soient versées en priorité, a ajouté Mme Payne. 

Susan Ursel, avocate représentant les employés de La Baie, partage cette idée, car «les employés sont personnellement touchés par l'insolvabilité de leur employeur: ils perdent leurs revenus et leur avenir est incertain». 

«Contrairement aux prêteurs avertis, ils ne sont pas en mesure de négocier des garanties pour les promesses contractuelles de leurs employeurs et sont donc moins bien lotis que ces derniers pour recouvrer les sommes qui leur sont dues», a-t-elle écrit dans un courriel.

«Une priorité législative pour les employés leur offrirait une protection plus sûre et plus efficace, ce que nous accueillerions favorablement.»

Une crainte pour les prêteurs

Mais Sunira Chaudhri, avocate fondatrice du cabinet Workly Law à Toronto, craint que le changement ne fasse fuir les prêteurs bien avant que la protection des créanciers ne se profile à l'horizon et que les entreprises aient encore une chance de redressement.

«Si les employés étaient les premiers sur la liste (…) tout employeur qui embaucherait beaucoup de personnel serait un mauvais pari pour les banques, a-t-elle expliqué. On aurait moins envie de leur prêter de l'argent, car on ne pourrait jamais récupérer un prêt.»

Jared Ong, organisateur au Centre d'action des travailleurs, a déjà entendu cet argument. Il n'est pas d'accord.

«D'année en année, les grandes banques continuent de gagner des milliards de plus, mais comparez cela à un travailleur qui pourrait être à un ou deux chèques de paie de perdre son toit», a-t-il déclaré.

Des soutiens existants

Les travailleurs qui se retrouvent sans emploi lorsque leur entreprise fait faillite peuvent généralement compter sur deux programmes du gouvernement fédéral, mais M. Ong croit qu'ils devraient être plus généreux.

Le premier est l'assurance emploi, qui verse aux employés sans emploi une partie de leur salaire pendant qu'ils cherchent un nouvel emploi. Pour être admissibles, les demandeurs doivent avoir été sans travail et sans salaire pendant au moins sept jours consécutifs au cours des 52 dernières semaines.

Le deuxième est le Programme de protection des salariés (PPS), qui aide les travailleurs dont les employés ont déposé une demande de protection contre les créanciers à récupérer les salaires, les vacances, les indemnités de licenciement ou de départ qui leur sont dus.

Les employés de La Baie ont jusqu'au 26 octobre pour présenter une demande au PPS, après que Service Canada leur eut accordé une prolongation de délai.

Les personnes admissibles au programme peuvent gagner jusqu'à 8844,22 $ cette année, un plafond qu'Unifor veut hausser.

Nadia Zaman, avocate spécialisée en droit du travail chez Rudner Law, estime qu'un plafond plus élevé est logique, surtout pour les travailleurs qui travaillent pour une entreprise depuis longtemps.

En général, ils ont droit à des prestations bien supérieures au plafond du PPS, ce qui les place «essentiellement dans une situation difficile», a-t-elle déclaré.

Bien que de nombreuses personnes ignorent l'existence du programme ou ne comprennent pas certaines des particularités auxquelles les travailleurs sont confrontés lorsque leur entreprise fait faillite, Mme Zaman a déclaré que La Baie mettait en lumière les relations de travail.

«Beaucoup de gens qui n'ont pas vécu la situation en sont de plus en plus conscients, a-t-elle avancé. Et ils souhaitent également des changements, même s'ils n'ont pas été personnellement touchés.»

«Un combat de va-et-vient»

La probabilité que ce désir de changement se concrétise peut sembler «sombre», a reconnu M. Ong, du Centre d'action des travailleurs.

Les militants syndicaux ont déjà vu cet élan se transformer en déception.

Par exemple, un projet de loi ontarien de 2014 obligeant les entreprises à assurer les prestations d'invalidité de longue durée, afin qu'elles soient versées même en cas de faillite d'un employeur a été adopté, mais apparemment jamais été promulgué.

Le changement, a déclaré M. Ong, est «toujours un combat de va-et-vient».

«On gagne parfois, on perd parfois, le gouvernement change, mais nous devons continuer à faire pression, quoi qu'il arrive.»