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L'avenir audiovisuel de la province passe par Télé-Québec et la jeunesse, selon un rapport

Le financement des projets québécois est au coeur des recommandations.

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L'avenir audiovisuel de la province passe par Télé-Québec et la jeunesse L'avenir audiovisuel de la province passe par Télé-Québec et la jeunesse

La télé et le cinéma québécois - pour ne nommer que ces deux secteurs - ont besoin d'un réel vent de fraîcheur pour non seulement attirer les jeunes générations, mais pour survivre, selon le rapport du groupe de travail sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec. Le rapport Souffler les braises - Pour une stratégie nationale de l'audiovisuel au Québec, commandé en juin 2024 par le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, rassemble 20 recommandations et 76 mesures.

Les auteurs du rapport, dont Monique Simard et Philippe Lamarre, soulignent dans le document que les repères culturels mondiaux évoluent à grande vitesse et que les plateformes étrangères redéfinissent les règles du jeu ayant comme effet, entre autres , de détourner les jeunes générations des contenus québécois.

«Il devient impératif de réaffirmer notre souveraineté culturelle par des actions fortes et des mesures structurantes qui sauront donner les moyens à nos artistes, entreprises de production, distributeurs et diffuseurs de contenus de renforcer la position de notre industrie pour les années à venir.»
- Extrait du rapport sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec, publié le 5 septembre 2025

«Beaucoup gens gagnent leur vie et font fructifier l'économie du Québec avec ce secteur. Donc, c'est à la fois culturel et industriel», a précisé le co-auteur du rapport, Philippe Lamarre. «L'industrie audiovisuelle génère plus de retombées que le secteur de la foresterie, les mines ou les technologiques de l'information. [...] On n'est pas juste un poste de dépense. On fait rouler aussi l'économie.»

L'«urgence» d'agir 

Le ministre Lacombe a rencontré vendredi les médias pour le dépôt sur rapport sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec et a affirmé accueillir favorablement tout le travail qui a été fait.

«C’est un sentiment d’urgence qui m’habite et qui habite mon équipe parce que les faits sont aussi nombreux que têtus, je dirais», a-t-il affirmé. «La multiplication des plateformes de diffusion et les changements dans les habitudes de visionnement entraînent des conséquences qui affectent le lien profond que nous avons avec notre culture nationale.»

M. Lacombe, qui est aussi responsable des dossiers jeunesse à la Coalition avenir Québec (CAQ), se dit très sensible au rapport des jeunes avec la culture québécoise.

«Il y a une fracture, les jeunes sont de moins en moins en contact avec la culture québécoise et si on n’intervient pas, si on n’intervient pas rapidement, la tendance va aller en s’accélérant», a-t-il partagé.

«Une culture qui ne se transmet pas, c’est une culture qui se meurt et ce n’est pas le destin évidemment que l’on souhaite à la culture québécoise.»
- Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications

Le ministre de la Culture et des Communications a tenu à souligner que le défi au niveau de l’audiovisuel n’est pas le contenu - «ce qu’on produit est excellent» -, mais la structure. «C’est urgent d’agir pour mobiliser les acteurs et repenser le fonctionnement et financement», a-t-il souligné.

Mathieu Lacombe s’est engagé à ce que le rapport sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec ne soit pas tabletté. Il promet des actions rapidement.

Miser davantage sur Télé-Québec

La première recommandation du rapport du groupe de travail sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec est de «donner les moyens à Télé-Québec de devenir un média public d'exception».

Pour ce faire, il est notamment proposé d'augmenter de façon durable le budget annuel de Télé-Québec, qui passerait de 94,4 millions de dollars (M$) à 300M$, de modifier le cadre législatif du média public, de retirer la publicité du modèle d’affaires du média public, de mettre en place des studios de création liés au média public, d'investir dans le cinéma québécois, d'assurer la présence des contenus et récits autochtones, de miser sur le développement de marques jeunesse et d'accentuer la présence des contenus sur toutes plateformes numériques (YouTube, TikTok, Twitch, etc.). 

«Télé-Québec, notre média public, doit devenir le catalyseur économique et culturel de l’audiovisuel québécois. Il lui revient de mettre en œuvre des collaborations, de structurer l’offre et de lancer une masse critique de projets pour tous les publics, avec un accent particulier sur les jeunes.» 

 

Plus pour la SODEC

Le rapport recommande aussi au gouvernement du Québec de hausser à 170,5 M$ le budget audiovisuel de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) - acteur historique du cinéma québécois. «Pour répondre à ces enjeux, nous proposons que le budget global alloué aux programmes audiovisuels de 93 M$ (2023–2024) soit porté à 170,5 M$», peut-on lire dans le rapport.

Il est aussi recommandé d'intégrer le secteur du jeu vidéo au mandat de la SODEC. «L’intégration de ce secteur au mandat de la SODEC se justifie par son adoption massive comme pratique culturelle par la majorité des jeunes Québécois.» 

Parmi les autres recommandations touchant la SODEC, on retrouve notamment: allouer 30 % du budget audiovisuel aux contenus jeunesse et famille, soutenir la création et la production de contenus pour les plateformes numériques, augmenter le budget des programmes cinématographiques en développement et en production de 60,6 M$ à 95 M$ et soutenir les projets à fort potentiel d’exportation.

Le rapport Souffler les braises - Pour une stratégie nationale de l'audiovisuel au Québec recommande aussi de faire passer le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) alloué à l’audiovisuel de 8,6M$ à 12 M$.

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Une taxe pour soutenir la culture?

Selon des données publiées au sein du rapport sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec, la province consacre à l'heure actuelle environ 1,7% de son budget à la culture - les signataires du rapport estiment que le Québec devrait y consacrer «au moins 3% de son budget».

Si les auteurs ne recommandent pas d'augmentation globale des dépenses publiques - ce qui n'était pas dans leur mandat -, ils soulignent tout de même que le gouvernement du Québec «dispose d'un levier simple, réaliste et activable rapidement» s'il souhaite élargir ses sources de financement :  l’introduction d’une taxe imposée sur les services d’accès Internet résidentiels et mobiles.

«Ce revenu additionnel pourrait provenir, par exemple, de l’ajout de points de TVQ spécifiquement affectés à la culture. Pourquoi une taxe imposée sur les services Internet? Parce qu’elle reflète les usages culturels d’aujourd’hui. La majorité de la consommation culturelle passe désormais par Internet. Pourtant, les fournisseurs d’accès — contrairement aux câblodistributeurs — ne contribuent pas au financement de la culture.», explique-t-on dans le rapport.

Les auteurs estiment d'ailleurs qu'en plus de soutenir l'audiovisuel, ce nouveau levier financier pourrait aider à financier le Fonds Jeunesse Numérique (l'une des recommandations du rapport) et d'autres secteurs comme la musique, les médias d'information ou encore les initiatives liées à la découverte du contenu québécois en ligne.

«Le Québec se donnerait ainsi les moyens d’agir de manière cohérente sur l’ensemble de son écosystème culturel», croient les auteurs.

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Culture audiovisuelle et éducation

L'une des recommandations du rapport sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec vise à rapprocher l'école et la culture québécoise avec la mise en place d'une politique québécoise d’éducation à l’image et de littératie numérique.

Cette recommandation n'est pas sans rappeler le désir du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, de parier sur la culture québécoise pour améliorer l'apprentissage du français dans les écoles québécoises. M. Drainville a partagé cette vision la semaine dernière lors du dévoilement de la nouvelle version du programme de français, un programme qui vient d'être dépoussiéré après 25 ans sans grands changements.

Parmi les actions suggérées pour rapprocher la culture québécoise et les élèves, on retrouve, entre autres : reconnaître l’audiovisuel comme discipline artistique à part entière, créer un cours d’éducation à l’image dans le cursus scolaire, rendre disponibles les œuvres cinématographiques sur Télé-Québec en classe et prioriser en tout temps les œuvres audiovisuelles québécoises.

L’exode de la jeunesse

Selon des données publiées dans le rapport sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec, les jeunes de 12 à 17 ans passent en moyenne près de 10 heures par semaine sur les réseaux sociaux (près de six heures pour les 7 à 17 ans) contre un peu plus de cinq heures pour la télé traditionnelle et un peu plus de six heures pour YouTube et les jeux vidéos.

«Ces données confirment que les réseaux sociaux s’imposent comme la nouvelle référence en matière de divertissement pour les 12 à 17 ans», réagit-on dans le rapport.

Un autre constat «alarmant» selon les auteurs du rapport : seulement 0,6% des jeunes âgés de 2 à 11 ans, 0.3% des jeunes âgés de 12 à 18 ans et 2% des jeunes âgés de 18 à 24 ans écoutent des plateformes québécoises lorsqu’il est question de diffusion continue – la majorité se tournant vers des plateformes étrangères.

«La quasi-totalité de la consommation de diffusion continue des 2 à 24 ans se fait sur des plateformes étrangères, ne laissant qu’une part dérisoire aux services locaux.»
- Extrait du rapport Souffler les braises - Pour une stratégie nationale de l'audiovisuel au Québec

Le rapport Souffler les braises - Pour une stratégie nationale de l'audiovisuel au Québec met aussi en lumière ce que les auteurs ont qualifié de «naufrage silencieux de la production jeunesse».

«Après avoir culminé en 2014–2015, les contenus du genre Enfants et jeunes soutenus par le FMC [Fonds des médias du Canada] ont entamé un déclin quasi continu, chutant de près de 60 % pour atteindre leur plus bas niveau historique en 2022–2023. Cette situation compromet directement la capacité du Québec à offrir une solution francophone crédible aux contenus étrangers, qui dominent massivement la consommation des jeunes», explique-t-on.

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Selon les recherches, ce recul s’explique par plusieurs phénomènes convergents : la montée fulgurante des plateformes numériques mondiales, qui captent l’attention des jeunes publics, la disparition progressive de rendez-vous télé jeunesse structurants, ainsi que la difficulté à financer des contenus adaptés aux nouveaux formats et usages.

«Les diffuseurs traditionnels, pour la plupart, n’ont pas anticipé ces transformations profondes des habitudes de visionnement et n’ont pas su adapter leur modèle d’affaires en conséquence. Plusieurs se sont désengagés de la production jeunesse, menant à une raréfaction de l’offre locale. Ce désengagement s’est cristallisé avec la fermeture de chaînes spécialisées comme Yoopa et Vrak, symboles d’un écosystème en perte de repères, alors même que les jeunes publics n’ont jamais cessé de consommer des contenus», a-t-on affirmé dans le rapport.

Certaines recommandations et de mesures issues du rapport Souffler les braises - Pour une stratégie nationale de l'audiovisuel au Québec - Mettre en place une voie de financement rapide pour les projets jeunesse et famille;- Soutenir la création et la production de contenus pour les plateformes numériques;- Hausser les enveloppes de développement et de production en cinéma;- Définir une cible claire pour le finance ment des productions autochtones et ethnoculturelles;- Mettre en place une aide corporative au développement pour les entreprises de production télévisuelle;- Créer un incitatif pour l’augmentation des budgets de production;- Soutenir les projets à fort potentiel d’exportation;- Stimuler le développement de projets adaptés d’une œuvre culturelle québécoise;- Faciliter la fusion des entreprises de production audiovisuelle;- Optimiser les crédits d’impôt pour stimuler la compétitivité des producteurs québécois;- Faire de la promotion et de la mise en marché une priorité;- Mieux soutenir les festivals;- Développer une vitrine de contenu québécois via un agrégateur neutre;- Favoriser la circulation et l’accessibilité aux œuvres;- Entretenir le réseau des salles de cinéma.

Les auteurs du rapport sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec ont reçu et consulté 115 mémoires.

Il est indiqué dans le rapport que l’audiovisuel est un moteur économique «puissant» au Québec qui soutient chaque année des dizaines de milliers d'emplois qualifiés.

Le secteur représente une valeur ajoutée de 3,27 G$ pour le PIB québécois. Les retombées économiques liées à l'audiovisuel surpassent celles de secteurs clés comme les mines, la foresterie ou encore les technologies de l’information. 

«Le Québec a tout ce qu’il faut pour prendre en main l’avenir de son audiovisuel, à condition de mobiliser ses forces, de structurer son action et d’agir avec courage.»
- Extrait du rapport sur l'avenir de l'audiovisuel au Québec, publié le 5 septembre 2025

«Pertinence et audace»

Dans un communiqué publié vendredi, l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision a tenu à souligner «la pertinence et l’audace des propositions présentées» dans le rapport sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec.

«Ce rapport trace un chemin porteur pour notre secteur. Les recommandations du Groupe de travail témoignent d’une vision claire et ambitieuse, qui reconnaît à la fois la valeur culturelle et l’importance économique de l’audiovisuel québécois», a déclaré Chantal Côté, directrice générale de l’Académie.

L’ACCT se réjouit particulièrement des orientations proposées en matière de remaniement des structures organisationnelles. «Ces mesures favoriseront une meilleure complémentarité entre les institutions, une efficacité accrue des ressources et, surtout, un appui renforcé à la créativité en télévision, en cinéma et en médias numériques», explique-t-on.

Marika Simard

Marika Simard

Journaliste multiplateforme