Le sort de 27 œuvres retraçant l'histoire de la Compagnie de la Baie d'Hudson a été décidé mercredi lors d'une vente aux enchères à Toronto qui a fait salle comble. Amateurs d'art, historiens et nostalgiques de la disparition de la plus ancienne entreprise du Canada ont dépensé collectivement 5,9 millions $.
Un portrait de Winston Churchill a été adjugé à 1,3 million $, sans les frais d'adjudication et les taxes, soit le prix le plus élevé parmi les 27 œuvres.
«Nous savions que la vente serait un grand succès, mais elle a marqué un tournant pour le marché de l'art canadien. Nous sommes ravis du succès rencontré par la Compagnie de la Baie d'Hudson. Tout a quadruplé et chaque lot semblait constituer un record», s’est réjoui Robert Heffel, vice-président de la maison de ventes aux enchères Heffel Fine Art.
La vente aux enchères, présidée par son frère David Heffel, a attiré une telle foule que la salle s'est retrouvée pleine à craquer. Les enchérisseurs présents, dont un homme tenant son teckel et imperturbable face à l'effervescence des enchères, ont dû patienter sur les côtés de la salle, située dans le quartier huppé de Yorkville. Ils étaient encore plus nombreux à suivre la vente en ligne.
Pendant une heure et demie, la foule a assisté à un spectacle où les enchérisseurs et leurs représentants levaient frénétiquement des palettes blanches pour indiquer leur intention de surenchérir de quelques milliers de dollars.
Parfois, quelques rangs seulement séparaient les rivaux. D'autres fois, le duel se jouait à coups d'enchères en ligne affichées sur un écran géant derrière M. Heffel ou par téléphone auprès des 14 employés de Heffel Fine Art présents dans la salle.
Toutes les pièces ont largement dépassé les estimations prudentes de Heffel, établissant même, dans certains cas, des records.
L'huile sur toile représentant Marrakech, réalisée par l’ancien premier ministre britannique Winston Churchill lors d’un séjour consacré à la peinture, était attendue comme une œuvre très prisée et susceptible d’atteindre un prix à sept chiffres.
L’œuvre de 1935, qui représente des femmes debout à l’ombre des palmiers au Maroc, a été offerte à La Baie d’Hudson par l’épouse de M. Churchill et sa valeur était estimée entre 400 000 $ et 600 000 $. Elle a finalement trouvé preneur pour une somme plus de eux fois supérieure.
«Si l’on regarde les 15 à 20 dernières années, ses œuvres se sont régulièrement vendues à plus d’un million de dollars», souligne Norman Vorano, professeur agrégé d’histoire de l’art à l’université Queen’s, à propos des œuvres de M. Churchill.
«Cette toile, en particulier, est si belle, avec ses couleurs pastel baignées de soleil, et il n’y a pas beaucoup de ses peintures de Marrakech sur le marché. En fait, l’une des dernières à avoir été mise en vente a été vendue par Angelina Jolie, après son divorce avec Brad Pitt, en 2021, pour environ 11,5 millions $.»
Des ventes au-delà des estimations
Un autre moment fort a été la vente de «Lights of a City Street» (Lumières d’une rue de la ville) de Frederic Marlett Bell-Smith.
Ce tableau de 1894 représente des piétons se promenant sous la pluie dans les rues Yonge et King à Toronto, tandis que des tramways passent devant eux et que des marchands de journaux vendent des exemplaires de l’«Evening Telegram» — peut-être une allusion aux nombreuses années pendant lesquelles M. Bell-Smith a dessiné pour le «Canadian Illustrated News».
L'oeuvre était estimée entre 100 000 $ et 150 000 $, mais elle a été vendue pour plus d’un demi-million de dollars, soit 575 000 $ avant frais.
Plus tôt dans l'après-midi, une toile de 1941 de Charles Fraser Comfort représentant deux commerçants de la Compagnie de la Baie d'Hudson à Tadoussac – dont l'un porte un manteau blanc orné des rayures emblématiques du détaillant – a suscité un vif intérêt.
David Heffel a lancé les enchères en plaisantant sur la fraîcheur ambiante, avant d'enfiler une veste assortie au sujet du tableau. «Ça me va bien», a-t-il lancé, vêtu d'un élégant costume noir et d'un nœud papillon assorti.
Lorsque le lot a atteint 240 000 $, un murmure d'étonnement a parcouru l'assistance. Les enchères ont continué de grimper, l'un des principaux enchérisseurs plaisantant même en disant qu'il «vérifiait juste» son compte bancaire avant de surenchérir à 450 000 $. Il s’est retiré lorsqu'un concurrent a proposé un prix de 475 000 $, qui a été la mise finale.
Les premières œuvres vendues étaient des toiles peintes à l’huile par W.J. Phillips, un habitué des calendriers produits et distribués gratuitement par la Compagnie de la Baie d’Hudson dans ses grands magasins et ses comptoirs commerciaux de 1913 à 1970.
La première de ses œuvres mises aux enchères mercredi s’est vendue pour 37 500 $. «Tracking on the Athabasca» montre des hommes attachés à des bateaux le long d’une rivière de l’Alberta à l’époque où La Baie d’Hudson avait le monopole du commerce des fourrures. Les hommes sont penchés en avant et marchent péniblement le long des berges afin d’aider à stabiliser les bateaux commandés par des rameurs équipés de rames mesurant souvent six mètres.
Une deuxième peinture de W.J. Phillips a éclipsé la première en se vendant 130 000 $, ce qui, selon M. Heffel, est un prix record pour l’artiste. Elle représente le bateau York, que la Compagnie de la Baie d’Hudson utilisait pour transporter des marchandises sur les lacs et les voies navigables intérieures, flottant sur des eaux si brillantes qu’elles semblent presque être du verre.
Leurs ventes ont largement dépassé l’estimation de 15 000 $ à 25 000 $ que la Maison Heffel avait fixée pour chacune d’entre elles, et d’autres mises aux enchères plus tard dans la vente ont également dépassé le prix de départ.
Toutes ces peintures proviennent de la collection de 4400 œuvres d’art et artefacts du détaillant. Comme l’a déclaré David Heffel, directeur de la maison de vente aux enchères, avant le début des enchères, c’est un honneur de les vendre, mais aussi un privilège de les posséder, car elles «incarnent un héritage profondément ancré dans le tissu social canadien».
Des liquidités pour le détaillant en faillite
En plus de couvrir leur enchère gagnante, les acheteurs doivent également payer une prime de 25 % du prix d’adjudication jusqu’à 25 000 $, plus 20 % du prix d’adjudication au-delà de 25 000 $ et toute taxe de vente applicable.
Ces prix supérieurs aux estimations font le bonheur de La Baie d’Hudson. Le détaillant tente de générer autant de liquidités que possible depuis qu’il s’est placé sous la protection de la loi sur la faillite au début de l’année et a fermé tous ses magasins. Il s’efforce depuis lors de rembourser la dette de 1,1 milliard $ qu’il doit à ses créanciers.
Mis à part ses baux (qui sont en grande partie restés invendus parce que La Baie d’Hudson n’a pas réussi à convaincre les propriétaires de laisser une milliardaire de Colombie-Britannique, propriétaire d’un centre commercial, en acheter 25), les œuvres d’art du détaillant constituent sa meilleure chance de générer des liquidités.
Depuis que la société a évoqué la possibilité de vendre sa collection, les gens sont impatients d’en acheter une partie, ou du moins de s’assurer qu’elle ne finira pas à l’étranger, accrochée au mur d’un milliardaire, pour ne plus jamais être vue au Canada.
La Maison Heffel n’identifie publiquement ses enchérisseurs que par un numéro de palette, il est donc difficile de savoir qui a fait des offres pour les articles vendus mercredi. Certaines personnes cherchaient probablement à enrichir leurs propres collections, tandis que d’autres souhaitaient peut-être faire don de leurs achats à un musée, une galerie ou un institut d’archivage.
Dorota Blumczynska, cheffe de la direction du Musée du Manitoba, a indiqué que son institution n'a pas participé aux enchères de La Baie d’Hudson, car elle ne dispose pas d’un «budget d’acquisition suffisant».
Elle a toutefois ajouté que le musée serait «honoré» de recevoir tout objet correspondant à sa collection. Il possède déjà 27 000 objets, dont des meubles provenant de l’ancien siège social de la société à Londres, en Angleterre, et un canoë en écorce de bouleau datant du début du XXe siècle.

