Une milliardaire britanno-colombienne, qui a passé l'été à se battre pour ouvrir un grand magasin dans d'anciens locaux de La Baie d'Hudson, s'est retrouvée perdante face à une décision de la Cour supérieure de l'Ontario.
Le juge Peter Osborne a statué vendredi que les propriétaires du détaillant en faillite ne seront pas obligés d'accepter Ruby Liu comme locataire.
Dans un jugement de 48 pages, le juge a expliqué avoir de «sérieuses inquiétudes» quant à la capacité de Mme Liu à respecter les conditions des baux qu'elle souhaitait et a jugé «convaincants» les arguments avancés par les propriétaires qui s'opposaient à sa tentative de reprise des propriétés.
La Compagnie de la Baie d'Hudson a refusé de commenter sa décision, tandis qu'un porte-parole de Mme Liu n'a pas immédiatement répondu aux messages de La Presse Canadienne. Les deux parties ont la possibilité d'interjeter appel de la décision, bien qu'aucune n'ait annoncé son intention de le faire.
La décision du juge a été mûrie pendant des mois et a été prise après qu'il ait parcouru 25 600 pages d'arguments de la Compagnie de la Baie d'Hudson, d'un gratin de propriétaires commerciaux et de nombreux investisseurs.
C'est en mars dernier que La Baie d'Hudson, criblée de dettes de 1,1 milliard $, s'est placée sous la protection de ses créanciers. Incapable de trouver un acheteur, elle a ensuite liquidé ses 80 magasins et 16 autres de Saks, puis s'est tournée vers des actifs, tels que ses baux, sa propriété intellectuelle et ses œuvres d'art.
Un appel d'offres pour la location a permis de recueillir une dizaine d'offres pour 39 propriétés. YM, propriétaire de marques de centres commerciaux comme Bluenotes, en a remporté cinq pour 5,03 millions $. Un propriétaire en a remporté une pour 20 000 $.
Mais l'offre la plus importante est venue de Mme Liu, qui rêvait d'ouvrir une nouvelle chaîne de grands magasins à son nom. Elle souhaitait obtenir jusqu'à 28 baux pour y parvenir et, en mai, la Compagnie de la Baie d'Hudson a annoncé qu'elle était prête à les lui vendre.
Trois d'entre eux ont facilement obtenu l'approbation du tribunal, car ils se trouvaient dans des propriétés situées dans des centres commerciaux de Colombie-Britannique appartenant à la milliardaire: le Woodgrove Centre, le Mayfair Shopping Centre et Tsawwassen Mills.
Un manque d'expérience en cause
Les 25 baux restants sont devenus l'un des points les plus controversés du processus de liquidation de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Presque aussitôt après l'annonce de la cession des baux à Mme Liu pour 69,1 millions $, les propriétaires l'ont rencontrée et ont formulé de nombreuses objections.
La plupart d'entre eux ont déclaré l'avoir trouvée désemparée et ont souligné qu'elle ne leur avait même pas fourni de plan d'affaires initial. Bien que Mme Liu ait annoncé aux médias qu'elle créerait un grand magasin avec des espaces de restauration, de divertissement et de loisirs, les propriétaires ont affirmé que ces activités n'étaient pas autorisées par les baux qu'elle souhaitait reprendre.
Même si elles avaient été autorisées, les propriétaires ont déclaré que l'équipe qu'elle avait constituée n'était pas adaptée. Elle était composée de cadres inexpérimentés, ayant travaillé comme agents immobiliers et éducateurs de jeunes enfants, plutôt que de dirigeants de commerces de détail, ont-ils déclaré.
Le manque d'expérience a également frappé le juge Osborne.
«Bien que des propositions aient été faites pour embaucher certains anciens cadres et directeurs de la Compagnie de la Baie d'Hudson, ces efforts restent incomplets, a-t-il écrit dans son jugement. Le manque général d'expérience au niveau de la direction représente un risque important pour la viabilité opérationnelle du lancement et de la gestion de 25 grands magasins dans les délais prévus.»
Le plan d'affaires finalement élaboré par Mme Liu était «superficiel» et sa mise à jour «demeure insuffisante», a-t-il avancé.
Le premier plan estimait que Mme Liu pourrait rénover au moins 20 de ses magasins et les remettre en service dans les 180 jours suivant la signature des baux.
Les propriétaires jugeaient ce calendrier irréalisable et arguaient que son budget de 400 millions $ pour le projet — une somme dont ils doutaient qu'elle puisse disposer facilement, ses centres commerciaux ayant accumulé une dette de 19 millions $ au cours des deux dernières années — ne suffirait pas non plus.
Ruby Liu, qui a fait fortune dans l'immobilier chinois avant d'immigrer au Canada, a soutenu que ses trois centres commerciaux prouvent qu'elle a le potentiel. Elle arguait que les propriétaires la combattaient parce qu'elle était une «étrangère» et non leur locataire privilégié.
La Compagnie de la Baie d'Hudson et Pathlight Capital, le prêteur le plus susceptible de récupérer l'essentiel de la transaction conclue avec Mme Liu, ont déclaré que les propriétaires s'opposaient à cette transaction, car ils souhaitaient récupérer leurs biens.
S'ils en reprenaient le contrôle, ils pourraient louer leurs espaces les plus prestigieux aux locataires de leur choix, et facturer des loyers bien supérieurs aux loyers inférieurs au marché prévus par les baux de la Compagnie de la Baie d'Hudson, dont certains durent des décennies.
La restitution des biens permettrait également aux propriétaires de diviser les espaces en plusieurs unités plus petites pouvant accueillir plusieurs locataires ou de les réaménager en espaces à usage mixte ou résidentiel.
Des changements réclamés
Pour tenter de convaincre les propriétaires d'accueillir Mme Liu dans leurs biens, la Compagnie de la Baie d'Hudson lui a imposé des délais pour embaucher Liz Rodbell, ancienne PDG de l'enseigne, comme consultante, et KPMG comme conseil financier, ainsi que pour reprendre ses services d'avocat.
L'entreprise a proposé une réduction de 3 millions $ sur le prix des baux en échange de ces changements et a menacé de résilier le contrat et de conserver son acompte de 9,4 millions $ si elle ne les respectait pas.
Mme Liu a peaufiné son plan d'affaires et engagé son troisième cabinet d'avocats, mais n'a jamais fait appel à KPMG ni à Mme Rodbell. Elle a organisé des journées de recrutement et, contre l'avis de ses avocats, a écrit au juge Osborne pour s'attirer ses faveurs, ce qui lui a valu une réprimande judiciaire.
En juillet, ReStore, un autre prêteur de La Baie, était de plus en plus frustré. Plus l'accord avec Mme Liu restait lettre morte, plus son capital était englouti par les loyers et les honoraires professionnels, et plus ses chances de recouvrer des fonds devenaient vaines.
Il a demandé au juge de mettre fin à l'accord avec Mme Liu et de limiter les dépenses de la Compagnie de la Baie d'Hudson en nommant un «super contrôleur» chargé de renforcer la surveillance.
Le juge a refusé de nommer le super contrôleur, affirmant qu'il était peu probable que cela résolve les nombreux litiges entre créanciers dans le cadre de la procédure de protection des créanciers de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
Pour prendre sa décision concernant l'offre de bail de Mme Liu, le juge a dû tenir compte de l'article 11.3 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qui autorise le tribunal à céder un bail à un locataire potentiel malgré les objections des propriétaires.
La section lui a demandé de se questionner si Mme Liu était une acquéreuse «appropriée» capable de respecter les obligations du bail et si sa transaction bénéficiait du soutien du contrôleur, un tiers indépendant nommé par le tribunal qui examine régulièrement la protection de la Compagnie de la Baie d'Hudson contre ses créanciers.
Le contrôleur Alvarez & Marsal a mentionné qu'il pensait que Mme Liu était capable de respecter toutes ses obligations financières, mais qu'il existait un «risque très réel» qu'elle ne puisse pas mener à bien la tâche «monumentale» qu'elle s'était fixée, en raison de son inexpérience et de son manque de préparation.
