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Élections municipales: Montréal peut-elle résoudre sa crise du logement?

Chacun des partis ont des stratégies différentes en matière de logement.

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Un ouvrier du bâtiment travaille sur le chantier d'un nouveau complexe immobilier à Montréal, le lundi 19 février 2024. Un ouvrier du bâtiment travaille sur le chantier d'un nouveau complexe immobilier à Montréal, le lundi 19 février 2024. (Christinne Muschi / La Presse Canadienne)

Les cinq partis en lice pour prendre le contrôle de l'hôtel de ville s'accordent sur un point: la crise du logement et des personnes en situation d’itinérance est l'un des plus grands défis de Montréal.

Chacun promet d'agir, qu'il s'agisse d'augmenter le nombre de logements abordables et de transition, de taxer les logements vacants ou d'accélérer la construction, mais leurs stratégies diffèrent.

Bien que le financement des logements sociaux et abordables relève généralement de la compétence du Québec, les experts estiment que Montréal peut jouer un rôle plus important.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News

L'accès à la propriété semble hors de portée pour beaucoup, et la crise touche principalement les locataires, qui représentent environ 60 % des Montréalais, explique Renaud Goyer, professeur de politique sociale à l'UQAM et membre du Collectif de recherche et d'action sur l'habitat (CRACH).

Il affirme ne pas voir de différences majeures entre les promesses des cinq partis.

Construire davantage n'est pas une solution miracle

À tous les niveaux de gouvernement, construire davantage est devenu la solution privilégiée.

«Et cela ne fonctionne pas, n'est-ce pas ?», a indiqué M. Goyer à CTV News, en citant une étude montrant que la plupart des logements vacants à Montréal sont principalement neufs et coûteux.

S'attendre à ce que le marché se stabilise de lui-même, a-t-il ajouté, relève de «l'utopie».

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Selon M. Goyer, la ville devrait plutôt se concentrer sur le retrait des logements existants du marché privé et leur conversion en logements sociaux.

Il fait également une distinction importante : les logements abordables sont basés sur la valeur marchande, tandis que les logements sociaux sont liés au revenu des locataires.

L'approche de Projet Montréal

Le chef de Projet Montréal, Luc Rabouin, affirme que c'est déjà ce que fait l'administration actuelle.

Depuis 2018, Montréal dispose d'un droit de préemption sur certaines propriétés, ce qui signifie qu'elle peut les acheter avant les promoteurs immobiliers. La ville a identifié 10 zones stratégiques et a mis de côté environ 18 millions de dollars pour acquérir les propriétés ciblées.

Mais la ville ne peut pas louer ou gérer elle-même les immeubles. Elle a besoin de partenaires à but non lucratif et de subventions gouvernementales pour mener à bien ses projets. Pour combler cette lacune, M. Rabouin promet un fonds de garantie de 100 millions de dollars pour aider les organismes à but non lucratif à obtenir du financement pour des logements abordables.

Il affirme que la ville dispose d'autres leviers pour aider à contrôler les loyers.

«Nous pouvons limiter AirBnb, nous n'avons pas besoin de l'approbation du Québec ou du gouvernement fédéral», a-t-il dit à CTV News dans une entrevue.

Mais il admet que la ville «a absolument besoin de la contribution du gouvernement provincial et fédéral» pour offrir des logements sociaux que les locataires à faible revenu peuvent vraiment se permettre.

Tous les partis promettent de trouver des moyens de réduire leur dépendance vis-à-vis du Québec, par exemple en utilisant mieux les biens immobiliers de la ville et en accélérant la construction. Ils promettent tous de réattribuer des terrains appartenant à la ville à des organisations à but non lucratif.

M. Goyer estime que c'est une bonne idée et que Montréal pourrait s'appuyer davantage sur ses organismes existants, tels que l'Office municipal d'habitation de Montréal (OMHM) et la Société d'habitation de Montréal (SHDM), qui ont des décennies d'expérience dans la gestion de logements sociaux.

Mais depuis les années 1990, ce type de construction a ralenti. Le Québec n'a construit aucun nouveau logement social (HLM) depuis qu'Ottawa a transféré les responsabilités en matière de logement aux provinces.

Débat autour de la règle 20-20-20

L'une des divisions les plus marquées entre les partis concerne le règlement 20-20-20 de Montréal, qui exige que les grands projets immobiliers comprennent 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux.

Ceux qui n'incluent pas de logements sociaux et abordables doivent payer une amende, ce que presque tous les promoteurs ont choisi de faire.

Tous les partis, à l'exception de Projet Montréal, veulent supprimer ce règlement.

Le site web de la ville indique que seuls huit projets de logements sociaux ont été approuvés depuis 2021, date à laquelle les règles sont entrées en vigueur. Montréal a également perçu 58 millions de dollars d'amendes, qui, selon elle, sont consacrés à des logements sociaux et abordables.

Les défenseurs de cette mesure affirment que cela prouve que la ville ne peut pas compter sur les promoteurs privés pour construire des logements sociaux et abordables.

Ensemble Montréal et Action Montréal soutiennent que cette règle a ralenti le développement et découragé les constructeurs. Ensemble souhaite utiliser l'argent des promoteurs privés pour financer des initiatives de logement social grâce à un zonage incitatif.

Futur Montréal souhaite instaurer une taxe sur les logements de luxe afin de créer un fonds dédié aux logements abordables à but non lucratif. Le parti souhaite également étudier des incitations fiscales pour les propriétaires qui baissent les loyers pour les étudiants ou créent des logements collectifs ou multigénérationnels.

Le leader de Transition Montréal, Craig Sauvé, adopte une position plus ferme, affirmant qu'il ne veut pas donner un centime de l'argent public aux promoteurs privés.

M. Rabouin défend le maintien du règlement 20-20-20, affirmant qu'il doit être amélioré, et non supprimé.

M. Goyer estime toutefois que la promesse de M. Rabouin est un aveu d'échec pour Projet Montréal, car elle n'a pas donné les résultats escomptés.

M. Sauvé souhaite augmenter les impôts sur les maisons d'une valeur supérieure à 3,5 millions de dollars afin de réinvestir dans le logement abordable et la prévention du sans-abrisme, et de mettre de côté 10 millions de dollars pour un programme d'aide au loyer.

Il souhaite également créer une nouvelle organisation paramunicipale appelée Bâtir Montréal afin de construire des logements hors marché, une mission qui, selon M. Goyer, existe déjà au sein de la SHDM et pourrait être mieux exploitée.

Qu'est-ce qu'un «logement hors marché»?

Plusieurs partis ont adopté le concept de «logement hors marché» (logements à but non lucratif ou coopératifs hors du marché privé) afin de favoriser l'accessibilité financière.

Mais le groupe de défense du logement FRAPRU estime que cela ne suffit pas et a critiqué tous les partis pour ne pas avoir inclus d'objectifs clairs.

«Même si ces logements sont à but non lucratif, sans engagement à les rendre sociaux, communautaires et accessibles aux locataires à revenus faibles et modérés, les loyers pourraient être trop élevés pour beaucoup lorsqu'ils seront livrés», a soutenu la porte-parole Catherine Lussier.

M. Rabouin rétorque que même si les logements hors marché ne sont pas immédiatement abordables pour les locataires à faible revenu, ils restent soumis à un contrôle des loyers et deviennent moins chers avec le temps. Ils peuvent également aider la classe moyenne, qui est de plus en plus précaire en matière de logement, a-t-il déclaré.

Le Québec autorise les propriétaires à augmenter librement les loyers pendant les cinq premières années suivant la construction, mais la ville et la province peuvent imposer des mesures de contrôle des loyers comme conditions pour l'octroi de subventions.

Adam Mongrain, de l'organisation de défense du développement durable Vivre en Ville, reconnaît que les logements hors marché sont utiles, mais affirme que la construction de nouveaux logements ne suffira jamais à résoudre le problème de l'accessibilité financière.

«C'est la pire solution pour les logements abordables, car c'est le seul moment où vous devez payer vos coûts de construction», a-t-il affirmé.

«Après 20 ans, le parc immobilier a généralement amorti ses coûts de construction... Les maisons construites il y a 40 ou 50 ans ne devraient pas valoir 1 million de dollars. Mais une façon de faire baisser leur prix serait d'augmenter les taxes foncières.»
- Adam Mongrain, directeur Habitation à Vivre en Ville

Mais, ajoute-t-il, cela ne fera gagner les élections à personne.

Qu'en est-il de la flambée des loyers?

La protection des logements locatifs existants est un autre enjeu majeur.

Selon les données de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), les loyers à Montréal ont presque doublé en six ans.

Le loyer moyen d'un logement locatif de deux chambres construit à cet effet est désormais de 1 176 dollars, et le loyer moyen d'un appartement de deux chambres est de 1 724 dollars. En 2018, le loyer mensuel moyen d'un appartement de deux chambres à Montréal était de 809 dollars.

Le Tribunal administratif du logement (TAL) a recommandé une augmentation moyenne de 5,9 % cette année, la plus forte depuis trois décennies.

Et les nouvelles propositions du Québec concernant la formule d'augmentation des loyers ne visent pas à atténuer cette hausse.

M. Sauvé souhaite la création d'un registre des loyers géré par la ville et l'interdiction totale des locations à court terme comme Airbnb, affirmant qu'elles sont pratiquement impossibles à réglementer.

Vivre en Ville a déjà créé un registre des locations qui est censé être détenu et géré par un gouvernement. M. Mongrain affirme que la ville pourrait le reprendre si elle s'engageait à le rendre universel, mais elle ne l'a pas encore fait.

Le responsable du logement d'Ensemble Montréal, Sylvain Gariépy, estime qu'un registre créerait trop de bureaucratie et devrait être géré par la province.

Ensemble souhaite limiter les locations à court terme aux résidences principales et les plafonner à 90 jours par an, et investir dans davantage d'inspecteurs afin de s'assurer que les règles sont correctement appliquées.

Projet Montréal maintiendrait sa règle actuelle autorisant les locations dans les résidences principales uniquement pendant l'été, qui est entrée en vigueur en septembre.

Réduire les formalités administratives

Même avec un financement, la construction de logements à Montréal est souvent un processus lent.

Selon M. Mongrain, cela s'explique par le fait que les règles municipales privilégient l'esthétique et l'uniformité plutôt que l'accessibilité financière.

«Les projets de logements sociaux sont également freinés par des exigences formelles contradictoires entre les programmes de financement et les règlements municipaux. Presque aucun projet ne parvient à obtenir le feu vert dans sa forme initiale, et les modifications sont lentes et coûteuses», a-t-il indiqué.

Il estime que la ville devrait simplifier les processus d'approbation plutôt que de se contenter d'investir de l'argent dans des organismes à but non lucratif.

M. Rabouin s'est engagé à rendre la règle 20-20-20 « plus prévisible » et à accélérer l'octroi des permis aux promoteurs immobiliers.

Une vision cohérente qui fait défaut

Certains experts s'accordent à dire que si tous les partis parlent d'accessibilité financière, aucun ne présente de vision claire, à long terme et globale sur la manière d'y parvenir.

À un an des élections provinciales, celui qui remportera les clés de l'hôtel de ville devra faire pression sur le Québec pour obtenir de l'aide, et ce, rapidement.

M. Goyer prévient que sans davantage de logements sociaux et publics, les loyers et les prix des logements ne se stabiliseront pas d'eux-mêmes.