L'architecte du virage numérique à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), Karl Malenfant, a été pris dans un mensonge à la commission Gallant, vendredi.
Il a déclaré sous serment, au troisième jour de son témoignage, qu'il n'avait jamais eu accès aux soumissions des firmes informatiques parce qu'elles lui étaient interdites.
Or, selon la preuve déposée à la commission, M. Malenfant avait mis la main sur la soumission de Deloitte en 2016 et se l'était envoyée à son courriel personnel.
Ce document devait pourtant rester «dans un bunker barré à clé», a souligné le procureur Alexandre Thériault-Marois. Devant ces révélations, M. Malenfant s'est dit «étourdi» et «déstabilisé».
«Honnêtement, je suis moi-même... je ne me souviens pas de ça», a-t-il dit, visiblement ébranlé.
Avant de décréter une pause, le commissaire Denis Gallant a cru bon de rappeler l'article 11 de la Loi sur les commissions d'enquête qui porte sur la question du parjure.
«Je m'attends à ce qu'un témoin, sous serment, dise la vérité», a averti Me Gallant à la reprise de l'audience.
Le procureur Thériault-Marois a enchaîné en brandissant un autre élément de preuve: un échange de textos entre Karl Malenfant et la consultante Louise «Loulou» Savoie.
«C'est du stock en criss. J'ai lu les 2070 pages de Deloitte vendredi soir et hier jusqu'à 22h30», écrit M. Malenfant à son amie. «Très complexe à analyser», lui répond celle-ci.
M. Malenfant a fini par reconnaître qu'il avait bel et bien vu les soumissions. C'est l'alliance LGS-SAP qui remportera le contrat de 458 millions $ pour la transformation numérique de la SAAQ.
La SAAQ «milliardaire»
Selon le postulat du procureur Thériault-Marois, M. Malenfant accordait peu d'importance au coût du virage numérique.
Lors d'un échange en avril 2025 avec Caroline Lortie de l'Autorité des marchés publics, M. Malenfant affirme que ce n'est pas «une question de prix», puisque la SAAQ est «milliardaire».
«On a 15 milliards $ à la Caisse de dépôt. On donne 2 milliards $ par année aux citoyens», plaide-t-il entre autres lors de cette conversation qui a été transcrite pour la commission.
Vendredi, Me Thériault-Marois lui a rappelé que la SAAQ est dans les faits déficitaire sur le plan des opérations, et que les milliards en fiducie appartiennent aux accidentés de la route.
«Ma priorité, c'est la pérennité technologique de la SAAQ», qui n'est quand même pas «la binerie du coin», a insisté M. Malenfant.
La commission Gallant est chargée de faire la lumière sur le virage numérique raté de la SAAQ. La vérificatrice générale estime qu'il coûtera au moins 1,1 milliard $ d'ici 2027, soit 500 millions $ de plus que prévu.
«Plus capable» de la vérification interne
Par ailleurs, un courriel envoyé à la consultante Madeleine «Mado» Chagnon en février 2016 révèle que, rapidement, Karl Malenfant en a contre la vérification interne de la SAAQ.
«Ils nous font brûler du gaz pour rien. Ne t'en occupe pas. On est tous pu capables, et quand je dis tous, c'est TOUS», écrit-il à son amie, qui digérait mal d'avoir été exclue du comité de sélection.
Puis, en mars 2017, il lui envoie par courriel la «synthèse du comité de sélection pour IBM», soulignant qu'ils ne sont pas «supposés savoir».
«Je te demanderais de ne pas partager avec l'équipe. Les normes font que nous ne sommes pas supposés savoir les résultats du comité. Une fois ton analyse faite, tu peux détruire.»
Son interlocutrice note «des écarts importants au niveau des ressources». C'est que LGS-SAP a réduit sa proposition initiale d'environ 700 000 heures de travail prévues.
En 2019, le fournisseur annoncera avoir sous-estimé le travail, ce qui provoquera un litige avec la SAAQ, puis une importante augmentation du budget du projet.
Jusqu'ici, M. Malenfant disait avoir été tenu dans le noir au sujet des heures. Si j'avais su, «j'aurais agi en conséquence», écrivait-il le 13 août dernier sur LinkedIn.
«Ce que je vous démontre, c'est que vous le saviez», lui a lancé le procureur.
Par ailleurs, la commission a calculé vendredi que seulement 14 des 48 personnes proposées par LGS ont bel et bien travaillé sur le virage numérique.
«LGS vous a présenté l'équipe A dans l'appel d'offres et au final, c'est l'équipe B qui s'est présentée», a observé Me Thériault-Marois.
Canaux non officiels
Plus tôt dans la journée, le procureur avait relevé que l'ex-VP de la SAAQ avait ses canaux «officiels» et «non officiels».
Dès 2014, Mme Savoie communiquait avec M. Malenfant via son courriel personnel et l'aidait à mener des discussions informelles avec la firme SAP.
En mars 2015, elle lui a envoyé un «argumentaire» pour répondre aux médias et aux «protestataires éventuels».
Quels sont les enjeux médiatiques? Qui sont les protestataires? a voulu savoir le commissaire Gallant. M. Malenfant a été incapable de répondre à ces questions.
Il s'est défendu d'utiliser son courriel personnel, affirmant ne pas pouvoir traîner le matériel de la SAAQ la fin de semaine à son chalet. Son témoignage se poursuivra lundi, à Montréal.

