Chroniques

Vague de chaleur au Québec: suffocantes injustices

Comme c’est toujours le cas, cette vague de chaleur aura un impact disproportionné sur les populations marginalisées.

Mis à jour

Publié

(Montage Noovo Info et La Presse canadienne)

Alors qu’une vague de chaleur s’abat sur le Québec, de vives inquiétudes grimpent parmi les groupes communautaires, et à juste titre. 

Comme c’est toujours le cas, cette vague de chaleur aura un impact disproportionné sur les populations marginalisées. Pensons aux personnes en situation d’itinérance, aux personnes âgées, aux personnes avec un faible revenu ou vivant seules ou encore à celles qui habitent des logements insalubres et surpeuplés.

Une dynamique à l’image du réchauffement climatique qui frappe plus durement les pays du Sud global, même si ce réchauffement est causé par les pays les plus riches de la planète. En outre, il y a quelques jours à peine, des scientifiques éminents, dont plusieurs font partie du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ont de nouveau tiré la sonnette d’alarme. Selon eux, la fenêtre d’opportunité pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 degré Celsius, comme contenu dans l’Accord de Paris de 2015 (auquel le Canada a adhéré), se rétrécit dangereusement.

Qu’est-ce qu’une vague de chaleur?

Selon l’Institut de santé publique du Québec, on parle de vague de chaleur extrême, lorsque «la température atteint un certain seuil le jour et la nuit susceptible d’augmenter les décès, et ce, pendant trois jours consécutifs. […] Le jour, les seuils sont de 31 ou de 33 °C, alors qu’ils fluctuent de 16 à 20 °C la nuit. Les régions plus au sud affichent des seuils plus élevés que les régions du nord et de l’est du Québec.»

Environnement Canada a émis un avertissement signalant qu’une température ressentie pourrait atteindre les 45 degrés dans le sud du Québec. Dimanche, le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, en a même appelé sur son compte X aux écoles à ne pas hésiter à fermer les écoles pour «assurer la sécurité ET le bien-être des élèves & des équipes-écoles.»

À VOIR ÉGALEMENT | Vague de chaleur à venir dans le sud du Québec

Les vagues de chaleur ont des conséquences importantes sur la santé physique et mentale en plus de créer une pression notable sur les services de santé. Elles engendrent également des coûts importants pour la société. Notamment, au Canada, on estime que les coûts annuels des décès prématurés liés à la chaleur se chiffrent à 3,0 à 3,9 milliards de dollars d’ici 2050.

Les oubliés des vagues de chaleur

On ne peut analyser la question des îlots de chaleur sans l’imbriquer avec la question de la crise du logement, de la pauvreté ou de l’itinérance.

Au cours des dernières décennies, nombre de groupes communautaires ont interpellé le gouvernement du Québec afin qu’il se saisisse de la crise du logement et de l’itinérance de manière sérieuse.

Pourtant, une enquête journalistique étoffée du média Pivot a récemment illustré le conflit d’intérêts apparent d’une bonne partie de la classe politique québécoise. C’est que nombre d’entre eux sont eux-mêmes propriétaires plutôt que locataires. Ainsi, comment adopter des lois pour serrer la vis aux propriétaires lorsque nous en faisons nous-mêmes partie ?

Prenons un exemple tout bête: posséder une voiture.

J’ai passé la majeure partie de ma vie à me déplacer en transport en commun lorsque je vivais à Montréal. Le simple fait de voyager en métro ou en autobus sur une base régulière offre une fenêtre très privilégiée sur la société dans laquelle on vit.

J’ai vu de mes yeux l’augmentation des personnes en situation d’itinérance dans le métro de Montréal à travers les années au point où certaines stations semblaient presque être des dortoirs, quelque chose qui ne m’avait pas autant frappée lorsque j’étais plus jeune.

J’ai aussi remarqué le changement dans le profil des personnes vivant dans la rue, qui touche également de jeunes adultes qui sortent des services de la protection de la jeunesse ou des personnes immigrantes récemment arrivées au pays.

Certes, je comprends que les politiciens et politiciennes, pour plusieurs raisons (notamment de sécurité), ne peuvent utiliser le transport en commun de manière régulière. Cela étant dit, posséder une voiture nous coupe automatiquement des réalités d’une bonne partie de la population — et de notre électorat.

Cette ségrégation basée sur la classe sociale (actuelle et d’origine) de nos élus demeure un angle mort majeur des prises de décision à l’Assemblée nationale du Québec.

Cela donne des situations absurdes, comme un premier ministre qui croit sincèrement qu’il est possible de nourrir une famille d’un adulte et deux enfants avec 75 $ en 2018 ou encore qu’une ministre de l’Habitation, en 2023, sous-estime fortement le prix du loyer pour un 3 ½ à Montréal.

Loin des yeux, loin du cœur. Il est plus difficile de transformer en une priorité un phénomène que l’on ne vit pas soi-même dans sa chair tous les jours.

La fabrique des injustices

Les quartiers ayant une très forte densité de population, avec beaucoup de béton et peu de verdure ou encore avec un accès limité au transport en commun, sont aussi ceux avec où l’on retrouve des îlots de chaleurs. Il n’est pas anodin de constater le lien avec la surreprésentation des personnes racisées dans ces quartiers.

Lorsqu’on parle de quartiers «défavorisés» ou «à risque», il importe de déconstruire ce que l’on entend par là. Bien que ce vocabulaire reflète une réalité matérielle qu’il faut nommer, ces appellations lourdes de sens finissent parfois par être intériorisées par celles et ceux que l’on affuble de ces étiquettes.

Pour certains jeunes de ces quartiers, cela peut presque devenir une «identité» en soi, ce qui est fort dommageable pour la perception que l’on se fait de soi-même et de notre place dans une société donnée.

Pourtant, ce sont des quartiers que l’on défavorise — sur les plans social, économique et environnemental. Ces injustices sont créées par une élite puissante qui veut nous faire croire qu’elle n’y est absolument pour rien dans ces processus de marginalisation. Ainsi, pour parler de crise environnementale, il faut le faire sous le prisme de la justice environnementale.

Pour recevoir toutes les chroniques de Kharoll-Ann Souffrant, abonnez-vous à l'infolettre Les débatteurs du samedi.