Début du contenu principal.
Notre héritage chrétien et notre position subalterne de canadien-français nous ont rendus modestes.
Au Québec, l’anti-intellectualisme se sent chez nos décideurs publics et dans cette hostilité face à l’éducation. Dans ce dédain à y investir bien sûr, mais aussi dans cette manière de rejeter du revers de la main tout débat intellectuel. Notre gouvernement se targue d’être pragmatique en refusant toute conversation cérébrale, car, j’imagine, il se sait inapte en terrain abstrait.
L’anti-intellectualisme coule dans les veines de notre peuple. Notre héritage chrétien et notre position subalterne de canadien-français nous ont rendus modestes. Nés pour un petit pain.
Ici, nos querelles touchent aux choses tangibles. Les classes, les ponts, les infrastructures. On aime peu déborder en dehors de ce que l’on ne peut voir et toucher. Il y a un sentiment général, une certaine moquerie face aux gens des livres, ceux qui lisent et qui écrivent, ceux qui aiment les conversations débordant des affaires du concret.
On le sent dans cette hostilité face à Gabriel Nadeau-Dubois, on le trouvait prétentieux et arrogant. Cela en dit, en réalité, davantage sur nous que sur lui, sur notre mépris collectif pour les gens instruits, habiles avec les mots.
On a appris à se méfier de ceux qui détiennent le savoir avant d’être suspicieux des empereurs détenant le monde. On a convaincu les masses que l’élite et l’ennemi du peuple, ce sont les académiciens, les intellectuels. On nous a enseigné à les haïr parce que ceux qui ont le temps de penser remettent en cause l’ordre établi. Ils résistent. Pendant que nos élus pointent du doigt ceux qu’on dit responsables de nos malheurs, les gens instruits regardent autre part.
Je suis convaincue que l’anti-intellectualisme de notre époque est en cause dans notre perte d’empathie ambiante. Un monde où on ne lit pas est un monde sans empathie. La littérature est la seule forme d’art nous emmenant à visiter l’intérieur des gens. Elle nous apprend à nous mettre à leur place. C’est au fond, le cœur de ce qui fait de nous un bon être humain, cette capacité à voir l’autre réellement, comme aussi réel que nous le sommes.
Moi, ce qui me fait plus peur qu’un intellectuel, ce qui est plus dangereux qu’un monstre, ce sont ces gens qui n’ont pas ouvert un livre depuis leur secondaire, ceux qui n’ont de leur vie, jamais lu un livre volontairement. Mais on ne nous a pas appris à se méfier de ces gens-là.
L’abrutissement du monde et la célébration des ignorants sont l’arme de guerre du fascisme. Devant le nouvel opium du peuple qu’est ChatGPT, peut-être que la chose la plus révolutionnaire à faire, la forme de résistance la plus simple, mais aussi la plus importante, ce serait d’ouvrir un livre, de se prendre une carte de la bibliothèque plutôt que de se partir un podcast.
Pour recevoir toutes les chroniques d'Elizabeth Lemay, abonnez-vous à notre infolettre, Les débatteurs du samedi.