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Québec et les médecins: quelle est la sortie de crise ?

Victor Henriquez vous partage son bilan et quelques pistes de solution.

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(Montage Noovo Info et La Presse canadienne)

Quelle semaine dans le dossier de la rémunération des médecins ! Et ici, on peut véritablement parler d’une crise. 

Samedi dernier, vers 3h du matin, le gouvernement a fait adopter sa loi 2, qui vient modifier de façon substantielle et unilatérale le mode de rémunération des médecins, mais qui va beaucoup plus loin. Cette loi gèle les enveloppes de rémunération jusqu’en 2028, met en place des mesures de surveillance contre la désobéissance et prévoit une série de règlements qui viendront façonner la relation du gouvernement avec ses médecins.

Bien entendu, cette loi spéciale a entraîné une importante levée de boucliers dans la profession médicale, allant même jusqu’à inciter certains médecins à appeler le premier ministre ontarien, Doug Ford, pour se magasiner un nouvel emploi, et entraînant la difficile démission de Lionel Carmant de son poste de ministre. Comme public, nous avons passé la semaine à lire et entendre toutes les réactions, les cris du cœur et les inquiétudes que cette situation entraîne.

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En gestion de crise, on incite nos clients à faire une évaluation continue de leurs actions, de leurs communications et des résultats, pour s’ajuster et tenter de sortir de la crise. Je me permets de vous partager mon bilan et quelques pistes de solution.

Rétablir la confiance

On savait qu’une loi spéciale aurait un effet très négatif sur la perception que les médecins ont de leur gouvernement, mais la fracture est assurément plus profonde qu’anticipée. À cet effet, la démission du ministre Carmant est la démonstration de la gravité de la situation. Comment un des ministres les plus loyaux de ce gouvernement se retrouve-t-il obligé de démissionner de son poste et de quitter le caucus de son parti, par solidarité pour sa famille qui est directement affectée par le projet de loi ? S’il n’a pas réussi à rassurer sa famille dans les heures qui ont suivi l’adoption de la loi, la question se pose à savoir si quelqu’un peut le faire au sein de ce gouvernement.

Cela nous amène donc à dire que la solution à ce conflit, pour le ministre et l’appareil gouvernemental, vient probablement de l’externe. Le projet de loi établit de nouvelles règles du jeu, mais propose aussi des règles transitoires assez flexibles pour permettre au gouvernement d’avoir une approche exploratoire dans l’implantation de celui-ci.

En effet, jusqu’en 2028, le gouvernement peut décider d’appliquer le nouveau mode de rémunération par région, par spécialité ou par catégorie de professionnel. Cette flexibilité est importante pour rassurer les professionnels les plus inquiets, mais la conversation est impossible tant que la confiance ne sera pas rétablie. Pour ce faire, les gestes seront plus importants que les paroles, mais il faut que le dialogue reprenne. Je vois mal les médecins s’asseoir avec une personne qui a appuyé activement cette loi, mais il existe certainement des gens qui peuvent entamer ce dialogue pour s’assurer que l’on recommence au moins à se parler.

Penser au public

Du côté des fédérations médicales, il faut également faire des constats d’échec. À un an d’une élection, si le gouvernement a décidé d’imposer une loi spéciale, c’est parce qu’il est convaincu que le public sera de son côté et que le « prix politique » ne sera pas fatal.

À ce titre, les deux fédérations médicales n’ont pas réussi à aller chercher l’appui de la population dans leurs revendications. Les gens aiment leurs médecins et sont reconnaissants de leur travail, mais ils pensent aussi que ce sont des gens privilégiés, payés par les fonds publics, et qui bénéficient de conditions salariales auxquelles la quasi-unanimité des gens ne pourra jamais aspirer. Ils sont donc très peu réceptifs aux arguments des syndicats de médecins et risquent de ne pas très bien réagir aux mots «grève des étudiants», « moyens de pression » ou «exode» que l’on entend dans les derniers jours. À part inciter les gens à miser sur d’autres professionnels du secteur de la santé, cela ne donne pas grand-chose auprès de la population.

Pour changer la posture du public, les médecins doivent leur apporter des solutions, meilleures que celles que propose actuellement le gouvernement. Que peuvent-ils faire pour favoriser plus de prise en charge sans changer la rémunération ? Comment le système actuel donne-t-il de meilleurs résultats que celui que l’on nous propose ? Et surtout, quels changements les dirigeants des fédérations médicales vont-ils effectuer face à l’échec de leur stratégie ? De leur côté également, les gens par qui vont passer les prochaines discussions avec le gouvernement devront certainement être changés ou, à tout le moins, devront changer leur discours, car le public est sensible aux témoignages que l’on entend des médecins, particulièrement des femmes et des jeunes de la profession, mais pas à ceux des dirigeants de fédérations.

Les patients au centre

Pour moi, c’est LA solution à cette crise: remettre le patient au centre. Dans toutes les conversations au sujet du système de santé, ceux qui paient sont trop souvent ceux dont on parle le moins.

Actuellement, dans tous les impôts et les taxes que l’on paie collectivement, plus de 60 % vont directement à notre système de santé. Les débats sur le meilleur système, la meilleure structure ou le meilleur mode de rémunération des médecins sont essentiels, mais ils doivent se faire avant tout afin de répondre le mieux possible aux besoins de la population.

Dans les prochaines semaines, la population prendra certainement le bord de ceux qui auront le mieux démontré comment leur position est celle qui nous assurera d’en avoir le plus pour notre argent, et ce, au-delà de toute partisanerie. Cela passera donc par le bon discours, les bons porte-parole, le bon ton et surtout, la bonne attitude dans cette discussion. Toutes les parties doivent se rappeler que le citoyen observe, et il sera celui qui sera appelé à décider dans cette discussion qui sera certainement au centre de la prochaine élection.

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