Chroniques

Profits et génocide

La CDPQ devrait respecter sa propre politique en matière de… droits de la personne.

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(AP | Noovo Info)

Nous aurons pourtant été avertis depuis une mèche : regroupant 52 organisations diverses, dont la Fédération des femmes, le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, Québec solidaire, la Ligue des droits et libertés et le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), la Coalition du Québec Urgence Palestine dénonce depuis un brin l’implication financière de la Caisse de dépôt et de placements — laquelle, rappellons-le, gère le bas de laine québécois — à même les atrocités actuelles, à Gaza. On parle, dit-elle, d’investissements de 27,4 milliards dans 76 entreprises « complices des crimes d’Israël en Palestine »

Toujours en refusant de mâcher ses mots, elle poursuit : «Alors que leurs avions, bulldozers et autres équipements servent directement à la mise en œuvre du génocide à Gaza, ces compagnies choisissent de maintenir, voire d’accroître leurs contrats avec Israël. C’est notre responsabilité commune de sortir cet argent que gère la Caisse des crimes en Palestine.»

Quelques semaines après la diffusion du communiqué-marteau, la Coalition en ajoute une couche, s’insurgeant maintenant de la sortie de Charles Émond, PDG de la Caisse, en commission parlementaire. Ce dernier y aurait alors «justifié l’injustifiable», soit «une hausse de 70 % des investissements dans 24 entreprises militaires complices du génocide à Gaza».

Aucune réaction, ou presque. Ni vu ni connu, comme trop souvent. Parce que même si fondés en fait et en droit, ce genre de coup de gueule se heurte systématiquement au mur de l’indifférence collective. D’aucuns auront beau crier l’injustice et l’immoral, preuves à l’appui, peine perdue. A fortiori quand le sonneur d’alerte se veut un ramassis de « wokes », tel que caricaturé par bons entendeurs. Le messager ainsi peinturé, nulle chance d’accorder une quelconque crédibilité au message lui-même, aussi probant soit-il.

Coup de tonnerre, depuis, afin d’assourdir le silence complice. Cette fois d’un acteur hors Québec, l’ONU.

Son dernier rapport, intitulé De l’économie d’occupation à l’économie de génocide, est autant limpide que sans pitié, pour la Caisse : 48 entreprises impliquées dans ledit génocide ont reçu de celle-ci près de 10 milliards d’investissements récents.

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Plus spécifiquement, la CDPQ aura pratiquement, entre 2023 et 2024 «presque triplé ses investissements dans Lockheed Martin, quadruplé ses investissements dans Caterpillar et décuplés ses investissements dans HD Hyundai».

En conférence de presse, la rapporteuse responsable, Me Francesca Albanese, ajoute : «À l’évidence, pour certains, le génocide est profitable. Mon rapport expose un système, quelque chose de si structurel, de si répandu et de si systémique qu’il n’y a aucune possibilité de le réparer et de le redresser. Il doit être démantelé. La Palestine est une scène de crime sur laquelle il y aurait les empreintes digitales de nous tous.»

Toujours avec émotions, elle poursuit : «Les profits que ces entreprises sont en train de faire sont la mesure de leur implication dans ce génocide.»

Refusant initialement de réagir au rapport et conférence de presse, la principale intéressée en vint enfin à émettre une déclaration écrite, par laquelle elle «rejette fermement les allégations selon lesquelles elle pourrait faciliter ou encourager des crimes internationaux par le biais de ses investissements».

Ceux-ci, complète-t-elle «n’ont en grande majorité pas été faits par elle directement, mais sont plutôt gérés par des intermédiaires ou détenus à travers des produits standards offerts à l’ensemble des investisseurs».

Observations-rafales:

  1. Rejeter fermement les allégations, c’est bien, mais démontrer en quoi celles-ci ne tiennent pas la route, c’est mieux ;
  2. Si «une grande majorité n’a pas été faite par elle directement», il y a ainsi, au moins, une minorité qui l’est, non?
  3. Comme il est plausible que certains de ces investissements le soient par intermédiaires, admettons ainsi que la Caisse puisse légitimement s’excuser par ignorance. Or maintenant, merci aux preuves de l’ONU, elle sait. Plus difficile, voire impossible, de plaider aujourd’hui la bonne foi.

Solution pour la suite des choses, partant de la prémisse que la Caisse préfère justice aux profits immoraux? Tout simple: qu’elle respecte sa propre politique en matière de… droits de la personne.

Afin d’aligner ses pratiques avec les Principes directeurs des Nations Unies (NDLD : imbattable, côté ironie), la CDPQ s’engage à mettre en œuvre des efforts raisonnables afin :

  • D’assurer le respect des droits de la personne dans ses activités d’investissement et ses opérations ;
  • De continuer à développer des processus de diligence raisonnable permettant d’identifier, de prévenir et d’atténuer les incidences négatives découlant des enjeux liés aux droits de la personne dans ses activités ;
  • De faciliter l’accès à des voies de remédiation lors d’une violation grave en matière de droits de la personne.

Ça devrait faire le job.

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