Chroniques

Jeunesse et espoir

Comme disait Camus: «Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.»

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(Montage Noovo Info et Envato)

Le soleil brille de tous ses feux, le fond de l’air est frais et du temps, j’en ai en masse. J’opte ainsi, plutôt que de passer une autoroute aux mornes paysages, pour de petits chemins de campagne, plus sympa-bucoliques les uns que les autres et qui m’amènent à destination. 

Arrivé au stationnement de l’imposante institution scolaire, le professeur responsable de l’événement me tend une main chaleureuse :

— Merci d’avoir accepté l’invitation, on regarde en classe tes capsules MAKE FASCISM GREAT AGAIN, ça me sert de matériel pour lancer des discussions sur la démocratie et les droits fondamentaux.

— Très cool, merci, ça me fait plaisir de venir les rencontrer. Quel niveau, déjà ?

— Quatre groupes de Secondaires 5. Je dois d’ailleurs t’aviser de quelque chose…

— Vas-y.

— Sois prêt, parce que j’ai quelques trumpistes, et disons qu’ils t’attendent avec une brique et un fanal. Je suis désolé de te dire ça.

— Des trumpistes à 17 ans ? Au Québec ?

— Te dis. Au moins 12-15. Ils sont souvent abonnés aux podcasts de masculinistes comme Andrew Tate, tu vois ? Il n’y a pas grand-chose que l’on peut faire pour les en empêcher. De là l’importance d’enseigner les principes démocratiques, les libertés publiques, le respect de l’Autre, etc.

— Je suis un peu sur le cul, là…

— T’as vu les sondages ? Plusieurs jeunes hommes au Québec sont dans le même piège. Ils sont frustrés, par exemple pour l’accès à la propriété, et sont réceptifs aux appels à la haine envers les immigrants, entre autres, et à tout ce qui est mesures d’égalité, notamment en ce qui a trait au féminisme. Bref, ce sont de bons kids, mais disons qu’internet leur a lavé le cerveau, pas mal.

Un peu secoué, donc, j’embarque sur la scène de l’amphithéâtre. Disons que rien n’est gagné. Est entassée une centaine de jeunes, aux yeux curieux pour la plupart, dubitatifs. Pour les autres, amassés en petits groupes mâles, on devine les regards un peu baveux, manifestement prêts à en découdre avec le gauchiste de service-invité par le prof.

Histoire de désamorcer la situation, j’y vais avec un de mes vieux trucs d’enseignement universitaire, soit d’engager directement l’auditoire :

— Qui, ici, considère que la démocratie est importante ?

Après hésitation, la plupart lèvent la main. On m’en explique, ici et là, les motifs. Des classiques, mais néanmoins rassurants. J’apprends les prénoms de mes interlocuteurs.

— Qui peut me dire ce qu’est le fascisme ?

L’un de ceux assis en avant, dans le groupe des (probables) baveux, se lance :

— C’était en Allemagne.

— En partie, oui. Ton prénom ?

 — Adolf…

Quelques secondes, je fige. Les classes se mettent à rire.

Bout de christ. Mais me voilà le dindon de la farce.

— Ce n’est pas drôle, pas drôle du tout. Faire des blagues avec l’Holocauste, c’est non seulement stupide, mais méchant. As-tu pensé aux millions de morts causés par Hitler ?

La salle rit encore plus fort. Certains se claquent les cuisses, la tête qui bascule par-derrière. Ben voyons. C’est quoi ce truc, je ne comprends pas ce qui se passe devant moi.

— C’est parce que monsieur, Adolf, c’est son vrai nom !!!

Dans la pénombre de la salle, je croise le regard du prof, en le suppliant silencieusement pour obtenir une confirmation. Ce qu’il fit, en hochant de la tête : oui, il s’appelle bien… Adolf.

Re-bout de christ.

— Mais son nom s’écrit « Adolphe », monsieur, pas avec un « f » !

— Eh ben, ça change tout.

Me voilà à me rappeler les scènes du rigolo film français, Le prénom. Un bijou de malaise.

Sauf que là, je fais quoi, exactement ? J’ai l’air de quoi, moi ? Allez, on passe à un autre appel. On enchaîne, dirait la grande Denise.

— Quel est le problème avec le fascisme, euh… Adolphe ?

— Je ne sais pas trop.

Évidemment.

On poursuit les échanges avec la classe. De plus en plus, le tout devient constructif.

Oui, on me demande de commenter de fausses nouvelles, lesquelles ont manifestement fait leur chemin à même ces cerveaux encore un peu candides.

Oui, on laisse entendre que les médias traditionnels sont majoritairement des désinformateurs, au contraire des Tate et Rogan de ce monde.

Oui, on y va de sous-entendu anti-immigrant.

Mais la communication est bonne, empreinte de respect.

Lorsqu’arrive un déclic :

— Monsieur, comment tu as fait pour entrer à Guantanamo ?

— OK, je vais vous raconter l’histoire.

Après une vingtaine de minutes, où aucune question n’est posée et le silence roi, je pose la question suivante :

— Savez-vous ce qui a rendu Guantanamo et sa torture possible ?

— C’est parce qu’on n’a plus de respect pour les droits et la démocratie.

— Très exactement. Bravo. Et selon vous, Donald Trump et ses amis, ils respectent les droits, la démocratie et l’égalité, notamment les femmes, ou pas vraiment ?

— Non.

— Faites attention au discours de haine, ce sont eux qui détruisent nos sociétés. Vous avez de grands défis devant vous, mais j’ai confiance.

La petite conférence aura, au final, duré le double du temps. Merci aux questions, surtout à celles des groupes que je pensais problématiques, au début. Certains d’entre eux, d’ailleurs, viendront poursuivre la convo, post-conférence.

Encore aujourd’hui, quelques-uns m’écrivent, sur les réseaux sociaux, pour me faire part de telle ou telle nouvelle, me faire part de leurs opinions.

Comme disait Camus: «Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.»

Ceci vaut, davantage et plus aisément, pour nos jeunesses.

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