Un super yacht, une assurance contre l’apocalypse, trente Ferrari, un mariage à 50 millions de dollars, un tour dans l’espace, un compte en banque chiffré à deux milliards… À quel moment est-on riche — et à quel moment devient-on trop riche?
Pour certains, le mariage de Jeff Bezos fait rêver. Pour un grand nombre de résidents de Venise et pour bien des citoyens ordinaires, dont je suis, c’est un cauchemar.
Deux cents invités qui débarquent en avion privé, qui envahissent et monopolisent un quartier du centre-ville et qui, en plus, nécessitent un investissement en fonds publics pour leur protection et sécurité, c’est grandiose, c’est hors normes… et c’est honteux.
Les protestations et les manifestations (regroupées sous la campagne «No Space for Bezos» soit «Pas de place pour Bezos»), se sont multipliées ces derniers jours. Le grand patron d’Amazon et sa fiancée, la journaliste et animatrice américaine Lauren Sanchez, ont flanché: ils ont finalement décidé de déplacer les festivités entourant leur mariage ailleurs, dans un quartier plus isolé de la ville.
Il n’en demeure pas moins que ce sera un bel étalage de la grande richesse de l’un des hommes les mieux nantis de la planète. Sa fortune personnelle est estimée par Forbes, en 2025, à 200 milliards de dollars américains.
Les autorités italiennes et les médias parlent d’un mariage qui coûtera entre 46 et 56 millions de dollars. Rien que ça!
Un cadeau de 34 cents
Cette orgie de luxe, cette débauche dégoulinante de caviar et de paillettes m’écœure: ce n’est pas de la jalousie, c’est de l’indignation.
Je trouve absurde la sale richesse, celle qui dépasse l’entendement, celle qui ne fait plus de sens. Elle écrase le reste, elle écrase l’humanité autour. En effet, si la société et le système en place ont permis à un seul individu d’être aussi riche, alors ne devrait-il pas être appelé, voire être contraint, à faire sa part, à donner aux suivants?
En échange de cette «location» de Venise, Bezos a remis des fonds (un million de dollars) à un centre de recherche environnemental local. C’est gentil, mais c’est nettement insuffisant — en fait, c’est une joke!
Un million, pour M. Amazon, c’est des peanuts. Si on fait un parallèle, c’est comme si le Québécois qui gagne le salaire moyen de 67 121 $ donnait… 34 cents. Wow! Tout un cadeau!
Immoral et outrageux
On va se le dire, c’est un alibi moral, une façon de se dédouaner, de se donner bonne conscience.
Si le couple était vraiment sensibilisé et engagé, il poserait un geste en lien avec les conséquences liées à la tenue l’événement, un investissement dans le tourisme durable, dans l’entretien de bâtiments historiques ou encore, un soutien réel et sincère aux habitants du secteur, perturbés dans leur quotidien par tout ce flafla mondain.
Au lieu de cela, les futurs mariés choisissent un geste symbolique — ils ne réparent en rien l’immoralité de leur choix, de leur mariage outrageux.
Parce que voilà, c’est de cela qu’il est question: est-ce qu’il y a une limite à la richesse? Peut-on être riche à craquer, en anglais on dit «filthy rich», sans aucun seuil ni balises?
Est-ce acceptable, est-ce moral d’être riche, d’être très, très, riche?
Déconnectés
Il y a une partie de moi qui valorise le fait de bien gagner sa vie quand on a travaillé fort, quand on a créé quelque chose, quand on a découvert quelque chose, quand on fait travailler des gens et qu’on a beaucoup de responsabilités. Je reconnais la proportionnalité de notre société capitaliste: work hard, play hard. Soit.
Mais là où je décroche, c’est lorsqu’on brandit la règle, simpliste, qu’on gagne ce qu’on mérite. Nos enseignantes, nos infirmières, nos éducatrices ne gagnent pas ce qu’elles méritent — loin de là. Et inversement, les ultrariches gagnent plus que ce qu’ils ne méritent.
Bien sûr, ce n’est pas eux qui vont s’en plaindre. D’ailleurs, pensez-vous que les Bezos, Musk, Zuckerberg et Trump de ce monde ont encore les deux pieds sur Terre? Quand on est plein aux as, peut-on encore faire preuve d’empathie envers monsieur et madame tout le monde? Peut-on encore être soi-même?
À voir aussi: Devenir riche en jouant à solitaire en ligne? On a fait le test!
Une question de valeurs
Selon une récente étude, dirigée par des chercheurs de l’Université de la Californie du Sud et de l’Université du Massachusetts, les gens qui valorisent l’égalité et la «pureté» voient généralement d’un mauvais œil les grandes fortunes alors que ceux qui ont à cœur l’autorité et la loyauté y sont plutôt favorables.
La même étude rapporte un fait étonnant: les résidents de pays riches, comme les Suisses, les Irlandais et les Américains, sont plus critiques envers la richesse extrême que ceux de pays plus pauvres (et inégalitaires) comme les Péruviens, les Argentins et les Mexicains.
Peut-être est-ce parce que les premiers reconnaissent les limites de l’argent, ses possibilités et ses dérives, alors que les deuxièmes perçoivent les ultrariches comme des modèles, des inspirations?
Trop riche
Personnellement, une fortune qui va au-delà d’un milliard, je trouve cela indécent.
À quel point a-t-on besoin d’accumuler encore plus? Ne devrait-il pas y avoir un plafond, une obligation à soutenir une communauté, une cause? Ou alors, les taxes ne devraient-elles pas être renforcées?
Parce que rendu là, être obscènement riche doit être utile à plus qu’une personne; ça doit servir à faire du bien.
Et à changer le monde.
Pour recevoir toutes les chroniques de Maude Goyer, abonnez-vous à notre infolettre, Les débatteurs du samedi.

