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Pas de vacances pour les tout-petits

«Les parents les gardent avec eux à la maison maximum trois ou quatre jours pendant tout l’été, et encore!»

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(Banque d'images Envato)

De plus en plus de parents prennent des vacances sans leurs enfants: une douzaine d’éducatrices de partout au Québec rapportent que les tout-petits restent à la garderie tout l’été, sans bénéficier de congés. Une situation préoccupante qui cache peut-être un enjeu plus large, disent-elles.

«Certains enfants n’ont plus de vacances durant l’été, confie Myriam, éducatrice à Montréal depuis dix ans. Les parents les gardent avec eux à la maison maximum trois ou quatre jours pendant tout l’été, et encore!»

Une autre éducatrice raconte à quel point ça lui brise le cœur de devoir consoler un enfant qui sait que son parent est en congé à la maison sans lui.

«C’est commun que les parents viennent porter leur enfant en maillot et robe soleil, ou en kit de golf», dit Mélanie, une éducatrice qui a vingt ans de métier. «Certains enfants n’ont aucune vacance de la garderie. Ça arrive de plus en plus souvent, bien plus souvent qu’il y a cinq ou six ans.»

Isabelle, une éducatrice de Sainte-Thérèse dans un groupe d’enfants de 4-5 ans, raconte que le sondage envoyé aux parents pour connaître leurs semaines de vacances et ainsi évaluer les besoins pendant l’été n’est même pas retourné : il n’est pas rempli.

«Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de vacances», dit-elle. «C’est juste pour pouvoir laisser leur enfant au CPE pendant leurs vacances. Ils veulent des vacances pour se reposer de leur travail et de leurs enfants.»

Productivité et performance

Valérie, éducatrice à Québec chez les 2-3 ans, parle de crises de larmes et de problèmes de comportement liés entre autres, selon elle, à de longues heures et de longues semaines passées au CPE.

« Je ne veux pas lancer la pierre aux parents, précise-t-elle, certains n’ont tout simplement pas de vacances… mais ce n’est pas la majorité. Ce que je vois, ce sont des enfants brûlés, turbulents, désorganisés. Ils voient bien qu’ils sont laissés derrière.»

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Des témoignages comme ceux de Myriam, Mélanie, Isabelle et Valérie, j’en ai reçu une douzaine. Ils pointent tous dans une direction: les choses ont changé, les tout-petits ont de moins en moins de vacances.

Pris dans la course infernale du métro-boulot-dodo, avec l’inflation et les prix qui ont augmenté pour des choses essentielles, comme le logement, l’épicerie, les vêtements et le transport, certains parents n’ont d’autres choix que de mettre les bouchées doubles.

Laisser leur enfant à la garderie n’est pas un caprice; ils ne sont pas disponibles. Ils travaillent de longues heures et ils ont peu de vacances dans l’année, point. L’été? L’été, ils font du remplacement, des heures supplémentaires, ils prennent un boulot supplémentaire.

Stress et solitude

Alexandra, une Montréalaise mère d’un bébé de 16 mois, me fait remarquer qu’elle a épuisé ses jours de vacances à cause de la grève et des nombreuses maladies et microbes typiques à la petite enfance: «Si les parents doivent prendre congé chaque fois, à un moment, il ne reste plus de congés en banque!»

Mais ce ne sont pas de ces parents dont les éducatrices me parlent: elles font ce constat chez des parents qui ont des vacances et qui ont des moyens financiers. Elles m’indiquent qu’il n’est pas rare que les tout-petits fassent des journées de neuf ou dix heures dans leurs locaux, cinq jours sur cinq, à longueur d’année.

«Certains parents ont remis en question la fermeture de la garderie les 24 juin et 1er juillet», laisse tomber Houda, éducatrice en garderie depuis quinze ans à Laval.

Que se passe-t-il dans la vie de ces parents ? Sont-ils isolés, sans réseau, sans filet de sécurité ? Est-ce le stress, l’accumulation, une sorte de ras-le-bol ? Ont-ils oublié de profiter de leurs enfants, particulièrement durant la petite enfance, une période importante ?

«Ils manquent de magnifiques moments, indique Isabelle. À cet âge, ça prend si peu pour qu’ils soient émerveillés, un pique-nique dans un parc, une balade dans un lieu inconnu…»

Vie de groupe

Il arrive que les éducatrices, ou un membre de la direction de la garderie, s’ouvrent sur le sujet aux principaux intéressés. En misant sur le développement de l’enfant et l’importance du lien d’attachement, elles tentent des explications nuancées.

«Mais ils sont bien avec to !» lance sarcastiquement Elena, une éducatrice de Repentigny, me relayant ce qu’une mère lui a répondu quand elle lui faisait remarquer que ses deux garçons méritaient une pause de la « vie de groupe » en CPE.

La vie de groupe avec les camarades, c’est un horaire réglé au quart de tour avec une routine bien établie, pour le meilleur et pour le pire. C’est fatiguant, être toujours entouré, être régi par les hauts et les bas des autres.

«J’aime profondément ma profession, mais parfois, la façon dont les parents traitent leurs enfants, ça m’épuise», dit Mélanie. «C’est tellement loin de mes valeurs… Si je quitte le navire un jour, ce sera l’une des principales raisons.»

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