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À l’école, qui lit encore?

Faire résumer par ChatGPT un roman à lire dans le cadre d’un cours, est-ce une bonne idée? Est-ce tricher?

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(Montage Noovo Info | Envato)

Faire résumer par ChatGPT un roman à lire dans le cadre d’un cours, est-ce une bonne idée? Est-ce tricher? Est-ce grave? Ces questions sont plus d’actualité que jamais alors que les élèves utilisent l’intelligence artificielle générative de toutes sortes de façons… et c’est parfois initié par leurs parents.

Dans une publication sur le réseau social LinkedIn, une mère raconte qu’elle se demande si elle a aidé ou nui à sa fille de 8 ans après lui avoir appris à se servir de ChatGPT pour faire un sommaire d’un livre.

Son enfant, explique-t-elle, était partie en voyage avec son père et elle n’a pas lu les neuf chapitres d’un classique de la littérature anglaise, comme demandé. Pour ne pas «la décourager», écrit-elle, elle lui a montré comment «hacker» la performance.

Voici un extrait de ce qu’elle a publié mardi: «J’ai expliqué à ma fille comment ChatGPT fonctionnait et comment on pouvait s’en servir. Nous avons lu les deux premiers chapitres et avons demandé à ChatGPT de nous faire un résumé de dix minutes des sept autres chapitres. Ma fille a même pu poser des questions à ChatGPT pour être sûre de bien comprendre. En prime, on a demandé à ChatGPT de nous poser des questions pour tester nos connaissances.»

La mère reconnaît qu’elle est ambivalente par rapport à sa décision: est-ce une porte vers la facilité ou un nouvel outil intéressant pour optimiser son temps?

Une soixantaine de commentaires ont été laissés sous la publication de la mère et ils sont tous, à quelques exceptions près, en faveur de montrer le monde de possibilités qu’offre ChatGPT — incluant dans les devoirs et leçons à l’école (et qui plus est, à l’école primaire dans ce cas-ci).

Tout le monde le fait

J’avoue: cela m’étonne.

Vous me trouvez vieux jeu? Peut-être. Je m’intéresse de près à l’intelligence artificielle et particulièrement aux robots conversationnels comme ChatGPT, Claude AI, DeepSeek, Gemini et autres Copilot. Les IA génératives se multiplient de façon exponentielle et elles gagnent vite en rapidité, en efficacité, en puissance et en fluidité.

C’est pratique, on s’entend. C’est même salvateur.

À voir aussi: Quand l’IA prend trop de place à l’école

Des étudiants de deuxième cycle au secondaire et de cégep me confirment que la pratique est courante: faire résumer un roman par un robot conversationnel pour en saisir l’essence, c’est banal.

«Tout le monde fait ça, me raconte une collégienne de 18 ans. Qui lit encore?»

Elle et son groupe d’amis m’expliquent que ChatGPT vient à la rescousse de plusieurs types de clientèles: les étudiants qui n’aiment pas lire, ceux qui rencontrent des difficultés en lecture, ceux qui manquent de temps, ceux qui sont hyper performants, ceux qui sont paresseux et ceux encore qui n’ont tout simplement pas d’argent pour acheter les livres obligatoires.

«Même un gros lecteur y trouve son compte, poursuit l’étudiante qui a requis l’anonymat par peur de représailles de son établissement scolaire. Il peut vérifier sa compréhension ou skipper la lecture par manque d’intérêts.»

Une bonne note

Et que se passe-t-il à l’examen? Les questions sont tout de même basées sur une lecture… qui n’a pas été faite!

«J’ai quand même obtenu une très bonne note et j’avais juste lu le résumé produit par ChatGPT», avoue candidement l’étudiante.

Je n’ai pas été renversée par les révélations des jeunes qui ont accepté de me parler de leur relation à la lecture. Après tout, ChatGPT a pris d’assaut le monde dès la fin de 2022. Les premiers séduits, ceux qui appartiennent à la génération née avec la technologie au bout des doigts, connaissent tous les atouts de ces outils redoutables: les stratégies, les ruses et les astuces, ils les exploitent.

Est-ce un problème?

Au-delà de la question éthique, ce qui me dérange (beaucoup), c’est le déploiement de ces trucs dès le primaire… alors que certaines compétences, notamment en lecture, sont à développer.

Mission éducative

Elles ne sont pas encore acquises; et dans ce cas, l’exécution de la tâche a un objectif. Il remplit un but, une mission éducative. Apprendre de nouveaux mots, développer sa fluidité de lecture, comprendre la structure de phrases, saisir la conjugaison, la syntaxe… Tout cela développe la capacité à réfléchir, à construire sa pensée, à être critique. Et à aimer la lecture.

Exceptionnelle, la décision de substituer la lecture à un résumé signé ChatGPT n’est pas une catastrophe ni un présage à l’échec ou à la lâcheté.

Mais ce que notre enfant apprend, il ne le désapprendra pas. Son habileté à se servir de l’IA générative ne va qu’augmenter dans le temps. Il va gagner en aisance, en créativité, en tactique.

Tant mieux, direz-vous peut-être, puisque ces jeunes seront ceux qui, demain, auront à travailler avec l’IA, partout, tout le temps.

Et plus tard?

Oui, mais… est-ce que ce farwest numérique va durer? Ou est-ce que l’utilisation des chatbots sera mieux balisée et mieux encadrée dans un avenir rapproché?

Personne ne le sait. Même les experts n’osent prédire la trajectoire que prendra l’IA.

Une question se pose alors: est-ce bien prudent de remettre à des enfants les clés d’un outil dont on ignore la portée?

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