On se souvient de l’onde de choc quand, lui-même surpris, Donald s’est emparé de la présidence la première fois en 2016. Outrés, des centaines de millions d’amoureux de la démocratie et de l’État de droit durent alors assister, tristement impuissants ou presque, à la débandade des paradigmes jusqu’alors considérés comme droits acquis : respect des institutions et de la règle de droit, et un minimum de décence politicienne.
Improvisant d’une sauvagerie à l’autre — on se souvient notamment du Muslim Ban, de la tentative de conserver criminellement le pouvoir à coup d’émeute, du mur à la frontière du Mexique et des enfants de réfugiés emprisonnés dans des cages de métal — Trump et ses sbires devaient annoncer un message d’une frigorifique puissance à l’Occident raisonnable et humaniste: le monde que vous aimiez n’existera plus, sous peu. On s’en charge.
Vint ensuite, en fin de mandat, la pandémie, où un mouvement stratosphérique pro connerie réussie à foutre le feu dans le filet d’intelligibilité névralgique à la poursuite de la discussion démocratique. Même pendant le hiatus Biden-Harris, impossible d’ignorer la fragilité des socles institutionnels et l’état de pourriture avancé du débat public, merci aux réseaux sociaux.
Tel un chevreuil, les yeux grands ouverts devant les phares d’un F-150, la démocratie, tétanisée, attendait maintenant son assassinat naturel.
Nous y voilà. Fort du Projet 2025, Donald met aujourd’hui en marche le plan machiavélique, mais pas tant subtil, de renversement de l’ordre démocratique établi.
Où je m’en vais avec ça? Juste ici : les trumpistes, pu capable. Allergie nec plus ultra.
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Pendant (trop) longtemps, à l’instar d’une tonne de semblable, je me serai entêté à poursuivre le dialogue, la conversation. De tenter de saisir ce qui se trame dans le coco d’un fan de Donald.
- Make America Great Again!!
- Tu vis à Saint-Jérôme…
- Les tarifs sont une bonne chose ! Trump défend son peuple !
- Tu vis à Saint-Jérôme…
Dans le cadre de petites capsules quotidiennes, que j’ai surnommée MAKE FASCISM GREAT AGAIN, mes abonnés et moi-même avons la chance de subir les foudres systématiques de nos trumpistes québécois, plus éloquents et renseignés les uns que les autres. Quelques échantillons :
– C’est de la marde, ce que tu dis !
– Quoi ça ?
– Toute !
– Et les sources médiatiques que je cite ?
– Des médias subventionnés !
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– Qui te paye, pour laver le cerveau du monde ?
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– Il n’y a jamais eu de pandémie, et Trump s’est fait voler l’élection de 2020…
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– Il y a de la dictature partout au Canada et tu ne la dénonces pas.
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– Bérard fait de la propagande dans les médias et les écoles.
– Comme quoi ?
– De la propagande !
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– Les arrestations et déportations de ICE, ça arrive chaque jour, au Québec. Pourquoi tu n’en parles jamais ?
– Pouvez-vous m’envoyer des vidéos ? Si oui, je publierai avec plaisir.
– Je n’ai pas juste ça à faire.
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– Bérard, tu es un gros cave, le peuple va t’arrêter et te juger bientôt.
– Quand ça ?
– Bientôt, tu vas voir !
– Mais quand, mettons ? J’ai-tu le temps d’aller me chercher une bière ?
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Reste qu’au-delà du caractère rigolo (et exténuant) de l’affaire, il y a plus grave, plus accablant, pour jouer l’euphémisme : ces vulnérables d’esprit, complètement manipulés par le narratif trumpiste, sont ainsi instrumentalisés afin de faire entrer, à grandes vagues, l’éthos du fascisme à même nos sphères publiques.
Pire, ils sont en ceci appuyés par quelques esprits brillants, médiatiquement parlant, lesquels les tiennent à bout de fil telles de vulgaires marionnettes. Ventriloques, ils leur feront mémoriser et débiter les cassettes de l’extrême droite états-unienne ou française, adaptées à la sauce québécoise.
Et pendant que ces mêmes cassettes jouent, inlassablement et en boucle — faisant invariablement diversion sur l’essentiel — le carnage des droits fondamentaux et autres assises démocratiques se poursuit sous les yeux, absolument jouisseurs, desdits ventriloques.
En bref, non seulement le dialogue, d’ordinaire nécessaire, est maintenant impossible, mais également délétère.
Parce que poursuivre la convo avec un trumpiste, qu’il soit vulnérable d’esprit ou fasciste pur jus, équivaut obligatoirement à légitimer sa présence démocratique et son discours, comme si l’ensemble des postures se valaient.
Comme si le fascisme, au final, se voulait une option telle une autre.
Comme si la haine, les déportations inconstitutionnelles vers le Salvador ou Guantanamo, et les arrestations de juge pouvaient, un tant soit peu, être considérées.
Comme si le mensonge endémique, la fin de la liberté d’expression, de presse et académique constituaient une avenue potentielle.
Comme si un coup de main à un génocide et à la construction de condos sur les cadavres d’enfants de celui-ci s’envisageait.
Comme si les saluts nazis, un président condamné pour viol et maintes violations au droit international humanitaire passaient la rampe de la décence morale.
Comme si la banalisation du racisme, la lutte à la science et aux droits de la femme, étaient potentiellement acceptables.
Non, justement.
Parce qu’à l’instar du fascisme lui-même, ces ambassadeurs, marionnettes ou ventriloques, sont à proscrire du débat public, à dénoncer haut et fort, sans ménagement. Comme vient de faire l’Allemagne avec l’AfD.
Justifiant son refus de participer à une discussion avec des intellectuels de l’extrême droite française, l’anthropologue Jean-Pierre Vernant, résistant de la Seconde Guerre mondiale, y alla de la petite perle suivante : «On ne discute pas de recettes de cuisine avec des anthropophages.»
M’y voilà.
Enfin.
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