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Des débris de fœtus dans les vaccins

«La pandémie m’aura assommé d’une évidence face à laquelle je m’aveuglais (très) volontairement, ou par ignorance pure.»

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(Banque d'images Envato)

J’ignore pour vous, mais perso, la pandémie m’aura assommé d’une évidence face à laquelle je m’aveuglais (très) volontairement, ou par ignorance pure. Laquelle? Celle de la puissance propagatrice des croyances irrationnelles, voire absurdes.

Je me souviens des premières fois où l’on vit circuler, sur les médias sociaux, les premières thèses complotistes: Bill Gates veut nous micropucer par l’entremise des vaccins. Ceux-ci provoquent l’autisme. Ils nous connectent (gratuitement) aux réseaux 5G. Sans compter la théorie des chemtrails, selon laquelle le gouvernement nous asperge joyeusement de substances pas trop catholiques. Et la manif anti-vaccins organisée par Samuel Grenier, devant le Stade olympique, comparant celui-ci à un abattoir. 

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Ma préférée? Probablement celle où divers lurons se prenaient en vidéos, collés sur leur frigo, jurant y être…magnétisés depuis leur dose. Du spectaculaire, ça, monsieur.

La question, incontournable: comment un esprit formé dans un système d’éducation comme le nôtre, imparfait mais parfaitement respectable, peut-il en venir à halluciner des âneries du genre?

Plus nommément, quel avantage, disons, pour un gouvernement de vouloir étamper ses électeurs au nouveau modèle de chez Brault et Martineau? De nous empoisonner à grands coups de chemtrails? De contribuer à une croissance de l’autisme?

Fascinant aussi de voir à quel point les diplômes et expertises classiquement reconnus ne revêtaient plus, soudainement, une quelconque valeur. Faites vos propres recherches, criait l’autre, avec arrogance inversement proportionnelle à ses compétences. De l’utracrépidarianisme à son meilleur: moins tu connais un truc, plus tu fais aller ta grande gueule.

Question subséquente, maintenant, davantage névralgique: comment assurer la démocratie en l’absence de lien rationnel? Parce que s’il est indubitable qu’une divergence d’opinion constitue le socle de l’univers démocratique, encore faut-il que l’on puisse s’obstiner à partir de bases factuelles. Ceux-ci, soit les faits, sont pourtant têtus, disait Lénine, lapalissade aussi reconnue par Hemingway: peu importe à quel point on nie la vérité, celle-ci continuera d’exister.

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Comment ainsi poursuivre un dialogue fructueux sur le bien commun avec quelqu’un croyant aux théories ci-haut mentionnées? D’aucuns répliqueront que ceux-ci constituent une minorité, ce qui est juste. Reste que si la minorité avoisine les 20%, ça fait du monde à messe.

Cette inquiétude est nécessairement galvanisée lorsque les politiciens se mettent de la partie, instrumentalisant la vulnérabilité citoyenne à de viles fins électorales. Le champion en ce genre? Donald, bien sûr. On se rappelle les improbables slogans à l’effet qu’il faille lutter contre «l’État profond», cette espèce de machination du diable, jamais d’ailleurs prouvée, selon laquelle des riches et puissants, acteurs d’Hollywood inclus, complotent sans cesse à l’encontre du bon peuple, organisant des réseaux de pédo-criminalité, se tapant des drogues constituées à même le sang des enfants kidnappés, ou violant ceux-ci au sous-sol d’une obscure pizzéria de Washington 

On se rappelle également que le président, lors de son premier mandat, clamait gaiment que la pandémie était un simple hoax, tout en conseillant simultanément à ses ouailles de boire de l’eau de javel afin de lutter contre la COVID.

Alors que l’on croyait avoir tout vu — moi du moins — Donald devait à nouveau refouler les paramètres de la décence en nommant le spectaculaire Robert Kennedy Jr. à titre de secrétaire d’État à la Santé, au point où 75 Prix Nobel ont déclaré s’opposer publiquement à ladite nomination.

Conspirationniste notoire, le fils de Robert F. Kennedy, assassiné en 1968, devait marquer rapidement une distance intellectuelle avec sa célèbre famille.

D’abord, en sommant quasi ou totalité des autorités scientifiques américaines de rompre essentiellement avec maintes méthodologies reconnues, flirtant allégrement, et de façon assumée, avec la post-vérité, en tassant quiconque à travers son chemin, et congédiant ici et là les meilleurs cerveaux en place au ministère de la Santé et au sein de diverses agences. Plus de 5200 victimes, selon le décompte.

Après, en récitant son mantra sur toute personne autiste, comme quoi celles-ci ne peuvent travailler, payer des impôts et surtout, jouer au baseball. Il lancera aussi son idée de «registre de l’autisme», piquant dès lors des données médicales privées pourtant d’ordinaire protégées. La prochaine étape? Répéter la fausse assertion que les vaccins causent l’autisme, justement.

La meilleure, maintenant : dans une sortie récente, le Secrétaire d’État allait déclarer, publiquement et sans sourciller, qu’il fallait comprendre et respecter ceux et celles qui refusaient les vaccins contre la rougeole, ces derniers contenant…. des débris de fœtus. La preuve ? Aucune, bien sûr. Et tout ceci, évidemment, alors que les scientifiques — du moins ceux encore en poste — alertent avec véhémence que les USA sont sur le point de bascule, côté endémie sauce rougeole, une maladie pourtant enrayée avant les dernières folies.

Morale de l’histoire? Que les charlatans ont remporté la mise, plaçant au pouvoir les plus talentueux d’entre eux.

La fin de la démocratie?

Dixit Hanna Arendt: «Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien […] Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et l’on peut faire ce que l’on veut d’un tel peuple.»

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